Poésies (1820)/Élégies/Le Concert

PoésiesFrançois Louis (p. 37-38).


LE CONCERT.


Quelle soirée ! ô Dieu ! que j’ai souffert !
Dans un trouble charmant je suivais l’Espérance ;
Elle enchantait pour moi les apprêts du concert…
Et je devais y pleurer ton absence !
Dans la foule cent fois j’ai cru t’apercevoir ;
Mes vœux toujours trahis n’embrassaient que ton ombre ;
L’Amour me la laissait doucement entrevoir,
Pour l’entraîner bientôt vers le lieu le plus sombre.
Séduite par mon cœur toujours plus agité,
Je voyais dans le vague errer ta douce image,
Comme un astre chéri qu’enveloppe un nuage,
Par des rayons douteux perce l’obscurité.
Pour la première fois insensible à tes charmes,
Art d’Orphée, art du cœur, j’ai méconnu ta loi :
J’étais toute à l’Amour, lui seul régnait sur moi,
Et le cruel faisait couler mes larmes !
D’un chant divin goûte-t-on la douceur,
Lorsqu’on attend la voix de celui que l’on aime !..…
Je craignais ton charme suprême,
Il nourrissait trop ma langueur ;

Les sons d’une harpe plaintive,
En frappant sur mon sein, le faisaient tressaillir ;
Ils fatiguaient mon oreille attentive,
Et je me sentais défaillir…
Que faisais-tu, mon idole chérie,
Quand ton absence éternisait le jour ?
Quand je donnais tout mon être à l’amour,
M’as-tu donné ta rêverie ?
As-tu gémi de la longueur du temps ?
D’un soir… d’un siècle écoulé pour tattendre ?
Non ! son poids douloureux accable le plus tendre !
Seule, j’en ai compté les heures, les instans !
J’ai langui sans bonheur, de moi-même arrachée ;
Et toi, tu ne m’as point cherchée !…
Mais quoi ! limpatience a soulevé mon sein ;
Et, lasse de rougir de ma tendre infortune,
Je me dérobe à ce bruyant essaim
Des papillons du soir, dont l’hommage importune.
L’heure, aujourd’hui si lente à s’écouler pour moi,
Ne marche pas encore avec plus de vitesse ;
Mais je suis seule, au moins, seule avec ma tristesse,
Et je trace, en rêvant, cette lettre pour toi…
Pour toi, que j’espérais, que j’accuse, que j’aime !
Pour toi, mon seul désir, mon tourment, mon bonheur ;
Mais je ne veux la livrer qu’à toi-même,
Et tu la liras sur mon cœur !