Poésies érotiques (Parny)/29 — L’Heure du berger

Poésies érotiquesIsle de Bourbon (p. 57-62).


L’HEURE DU BERGER.


Hier Lisette
Toute seulette
Au bois filant,
Alloit chantant
La chansonnette.
Elle s’assit
Au bord de l’onde
Claire & profonde :
Deux fois s’y vit
Jeune & mignonne,
Et la friponne
Deux fois sourit ;
Puis avec grâce
Ses pieds penchoient
Et se jouoient
Sur la surface.


    Discret témoin,
Son chien fidèle
Étoit près d’elle ;
Tandis qu’au loin
Dans la prairie
L’agneau naissant
Alloit paissant
L’herbe fleurie.

    Le long du bois
Je fais silence,
Et je m’avance
En tapinois ;
Puis en cachette
Me rapprochant,
Et la tirant
Tout doucement
Par la manchette :

Salut à vous,
Bonjour, ma Reine !
N’ayez courroux
Qu’on vous surprenne.
À vos chansons
Nous vous prenons
Pour Philomèle.
Aussi bien qu’elle
Vous cadenciez,
Ma toute Belle ;
Mais mieux feriez
Si vous aimiez
Aussi bien qu’elle.
Plaire, charmer,
Sur-tout aimer,
C’est le partage,
C’est le savoir

Et le devoir
Du premier âge.

    J’ai quatorze ans,
Répond Lisette ;
Suis trop jeunette,
Et je n’entends
Propos d’amans.
Une Fillette
Ne trouve rien
En amourette
Que du chagrin.
On a beau faire ;
Tous les Galans
Sont inconstans,
Me dit ma mère.

    Lors un soupir

Vint la trahir,
Et du plaisir
Fut le présage.
Le lieu, le tems,
L’épais feuillage,
Gazons naissans
À notre usage,
Tout me servoit
Contre Lisette ;
À sa défaite
Tout conspiroit.
Elle s’offense,
Menace, fuit,
Puis s’adoucit,
Puis recommence,
Pleure, gémit,
Se tait, succombe,
Chancelle & tombe…


    En rougissant
Elle se lève,
Sur moi soulève
Son œil mourant,
Et me serrant
Avec tendresse,
Dit : cher Amant !
Aimons sans cesse !
Que nos amours
Ne s’affoiblissent
Et ne finissent
Qu’avec nos jours !