Poésies érotiques (Parny)/19 — Ma retraite

Poésies érotiquesIsle de Bourbon (p. 34-36).


MA RETRAITE.


        Solitude heureuse et champêtre,
        Séjour du repos le plus doux,
        Le printems me ramène à vous ;
        Recevez enfin votre maître.
        La jeune Amante du Zéphir
        A ranimé vos tristes plaines ;
        Échappé de mes lourdes chaînes,
        Comme elles, je vais rajeunir.
Vous donnez à mes sens une nouvelle vie ;
        Mon ame trop long-tems flétrie,
        Aux rayons naissans du plaisir,
        Déjà commence à s’entrouvrir.

            Ô maîtresse toujours plus chère !
        De ces lieux tu fais l’ornement.
        Dans ces lieux tu fais sans mystère
        Le bonheur du plus tendre amant.


    La simplicité seule orna mon hermitage.
On ne voit point chez moi ces superbes tapis
Que la Perse, à grands frais, teignit pour notre usage.
Je ne repose point sous un dais de rubis ;
        Mon lit n’est qu’un simple feuillage.
Eh qu’importe ? le somme est-il moins consolant ?
Les rêves qu’il nous donne en sont-ils moins aimables ?
Le baiser d’une Amante en est-il moins brûlant,
        Et les voluptés moins durables ?
        Pendant la nuit, lorsque je peux
        Entendre dégoutter la pluie,
        Et les fiers enfans d’Orythie
        Ébranler mon toit dans leurs jeux ;
        Alors si mes bras amoureux
        Entourent ma craintive amie,
        Puis-je encor former d’autres vœux ?
        Qu’irois-je demander aux dieux
        À qui mon bonheur fait envie ?


            Je suis au port, & je me ris
        De ces écueils où l’homme échoue.
        Je regarde avec un souris
        Cette fortune qui se joue
        En tourmentant ses favoris ;
        Et j’abaisse un œil de mépris
        Sur l’inconstance de sa roue.
Gémisse qui voudra sur le sort des humains ;
        Trop foibles pour être coupables,
        Ou trop méchans pour être plaints,
        Ils ne valent pas les chagrins
Que laisse dans mon cœur l’aspect des misérables.
        L’humanité n’est qu’un abus ;
        La haine est triste & trop pénible ;
        Une indifférence paisible
        Est la plus sage des vertus.