Poésies érotiques (Parny)/17 — La Rechute

Poésies érotiquesIsle de Bourbon (p. 30-32).
◄  MADRIGAL
À M. DE F  ►


LA RECHUTE.


        C’en est fait, j’ai brisé mes chaînes,
        Amis, je reviens dans vos bras ;
        Les Belles ne vous valent pas,
        Leurs faveurs coûtent trop de peines ;
        Je leur dis adieu pour toujours.
        Bouteille long-tems négligée
        Remplace chez moi les amours,
        Et distrais mon ame affligée.
        Buvons, ô mes amis, buvons.
        C’est le seul plaisir sans mêlange ;
        Il est de toutes les saisons ;
        Lui seul nous console et nous venge
        Des maîtresses que nous perdons.

Que dis-je, malheureux ! ah ! qu’il est difficile
De feindre la gaîté dans le sein des douleurs !

La bouche sourit mal quand les yeux sont en pleurs.
Repoussons loin de nous ce nectar inutile.
Et toi, tendre amitié, plaisir pur & divin,
Non, tu ne suffis plus à mon ame égarée.
Au cri des passions qui couvent dans mon sein,
En vain tu veux mêler ta voix douce et sacrée.
Tu gémis de mes maux qu’il falloit prévenir ;
Tu m’offres ton appui lorsque la chûte est faite,
Et tu sondes ma plaie au lieu de la guérir.
Va, ne m’apporte plus ta prudence inquiète ;
Laisse-moi m’étourdir sur la réalité ;
Laisse-moi m’enfoncer dans le sein des chimères,
Tout courbé sous les fers chanter la liberté,
Saisir avec transport des ombres passagères,
        Et parler de félicité,
        En versant des larmes amères.

            Ils viendront ces paisibles jours,
Ces momens du réveil, où la raison sévère

Dans la nuit des erreurs fait briller sa lumière,
Et dissipe à nos yeux le songe des amours.
        Le tems qui d’une aîle légère
Emporte, en se jouant, nos goûts & nos penchans,
Mettra bientôt le terme à mes égaremens.
Ô mes amis ! alors échappé de ses chaînes,
Mon cœur dans votre sein déposera ses peines ;
Ce cœur qui vous trahit revolera vers vous.
Sur votre expérience appuyant ma foiblesse,
Peut-être je pourrai d’une folle tendresse
        Prévenir les retours jaloux.
        Sur les plaisirs de mon aurore
Vous me verrez tourner des yeux mouillés de pleurs,
Soupirer malgré moi, rougir de mes erreurs,
Et même en rougissant, les regretter encore.