Poésies érotiques (Parny)/14 — Fragment d’Alcée


FRAGMENT D’ALCÉE,
Poète Grec.


Quel est donc ce devoir, cette fête nouvelle,
Qui pour dix jours entiers t’éloignent de mes yeux ?
Qu’importe à nos plaisirs l’Olympe & tous les Dieux,
Et qu’est-il de commun entre nous et Cybèle ?
De quel droit m’ose-t-on arracher de tes bras ?
Se peut-il que du Ciel la bonté paternelle
Ait choisi pour encens les malheurs d’ici-bas ?
Reviens de ton erreur, crédule Éléonore.
Si tous deux égarés dans l’épaisseur du bois,
Au doux bruit des ruisseaux mêlant nos douces voix,
Nous nous disions sans fin, je t’aime, je t’adore ;
Quel mal feroit aux Dieux notre innocente ardeur ?
Sur le gazon fleuri, si près de moi couchée,
Tu remplissois tes yeux d’une molle langueur ;

Si ta bouche brûlante à la mienne attachée
Jettoit dans tous mes sens une vive chaleur ;
Si mourant sous l’excès d’un bonheur sans mesure
Nous renaissions encor, pour encor expirer ;
Quel mal feroit aux dieux cette volupté pure ?
La voix du sentiment ne peut nous égarer,
Et l’on n’est point coupable en suivant la nature.

    Ce Jupiter qu’on peint si fier & si cruel,
Plongé dans les douceurs d’un repos éternel,
De ce que nous faisons ne s’embarrasse guère.
Ses regards déployés sur la nature entière
Ne se fixent jamais sur un foible mortel.
Va, crois-moi, le plaisir est toujours légitime ;
L’amour est un devoir, l’ennui seul est un crime.

    Laissons la vanité riche dans ses projets
Se créer sans effort une seconde vie ;
Laissons-la promener ses regards satisfaits

Sur l’immortalité ; rions de sa folie.
Cet abyme sans fond où la mort nous conduit
Garde éternellement tout ce qu’il engloutit.
Tandis que nous vivons, faisons notre Élysée ;
L’autre n’est qu’un beau rêve inventé par les Rois,
Pour ranger leurs sujets sous la verge des loix ;
Et cet épouvantail de la foule abusée,
Ce tartare, ces fouets, cette urne, ces serpens,
Font moins de mal aux morts que de peur aux vivans.