Poésies. — Le Crieur de nuit. Le Coucher du petit garçon


POÉSIES.[1]


I.
Le Crieur de Nuit.


Éveillez-vous, gens qui dormez !
Sur vos toits minuit passe et pleure ;
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure :
Pour les morts qui vous ont aimés,
Éveillez-vous, gens qui dormez !

« Toi qui ne pleures rien encore,
Ô mon Ange ! ne tremble pas !
Viens verser un secret tout bas
Dans un cœur vivant qui t’adore,
Toi qui ne pleures rien encore ! »

Éveillez-vous, gens qui dormez !
Sur vos toits minuit passe et pleure ;
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure :
Pour les morts qui vous ont aimés,
Éveillez-vous, gens qui dormez !

« Sous les jasmins de ta fenêtre,
Nul passant ce soir ne me nuit :
J’ai gagné le crieur de nuit ;
Descends donc, pour me reconnaître.
Sous les jasmins de ta fenêtre ! »

Éveillez-vous, gens qui dormez !
Sur vos toits minuit passe et pleure ;
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure :
Pour les morts qui vous ont aimés.
Éveillez-vous, gens qui dormez !

« Sans laisser tomber une rose
Sur le front de ton fiancé,
Minuit s’en va triste et lassé ;
Et ta blanche fenêtre est close,
Sans laisser tomber une rose ! »

Éveillez-vous, gens qui dormez !
Sur vos toits minuit passe et pleure :
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure :
Pour les morts qui vous ont aimés,
Éveillez-vous, gens qui dormez !

« Minuit fera lever l’aurore !
Dit l’Ange qui se dévoila.
Ô mon fiancé ! me voilà :
Si vous sonnez long-temps encore,
Minuit fera lever l’aurore ! »

Éveillez-vous, gens qui dormez !
Sur vos toits minuit passe et pleure ;
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure :
Pour les morts qui vous ont aimés,
Éveillez-vous, gens qui dormez !

« Dieu ! dit la mère de famille,
Jamais, pour les morts mécontens,
Minuit n’a pleuré si long-temps ;
Il aura fait peur à ma fille !
Paix dans les cieux à ma famille ! »

Éveillez-vous, gens qui dormez !
Sur vos toits minuit passe et pleure ;
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure
Pour les morts qui vous ont aimés,
Éveillez-vous, gens qui dormez !

Des petits enfans et des mères
Racontèrent le lendemain
À l’Ange riant sous sa main
Qu’un mort prolongeait les prières
Des petits enfans et des mères !


*
II.


Le Coucher d’un petit Garçon.




Couchez-vous, petit Paul ! il pleut, c’est nuit, c’est l’heure.
Les loups sont au rempart, le chien vient d’aboyer ;
La cloche a dit : Dormez ! et l’Ange gardien pleure,
Quand les enfans si tard font du bruit au foyer.

— « Je ne veux pas toujours aller dormir ! et j’aime
À faire étinceler mon sabre au feu du soir ;
Et je tuerai les loups ! je les tuerai moi-même ! »
Et le petit méchant, tout nu ! vint se rasseoir.

Où sommes-nous, mon Dieu ! donnez-nous patience ;
Et surtout soyez Dieu ! soyez lent à punir :
L’âme qui vient d’éclore a si peu de science !
Attendez sa raison, mon Dieu ! dans l’avenir.

L’oiseau qui brise l’œuf est moins près de la terre ;
Il vous obéit mieux : au coucher du soleil,
Un par un descendus dans l’arbre solitaire,
Sous le rideau qui tremble ils plongent leur sommeil.

Au colombier fermé nul pigeon ne roucoule,
Sous le cygne endormi l’eau du lac bleu s’écoule,
Paul ! trois fois la couveuse a compté ses enfans ;
Son aile les enferme ; et moi, je vous défends !

La lune qui s’enfuit toute pâle et fâchée,
Dit : Quel est cet enfant qui ne dort pas encor !
Sous son lit de nuage elle est déjà couchée ;
Au fond d’un cercle noir la voilà qui s’endort.

Le petit mendiant perdu seul, à cette heure,
Rôdant avec ses pieds las et froids, doux martyr !
Dans la rue isolée où sa misère pleure,
Mon Dieu ! qu’il aimerait un lit pour s’y blottir !

Et Paul, qui regardait encor sa belle épée,
Se coucha doucement en pliant ses habits :
Et sa mère bientôt ne fut plus occupée
Qu’à baiser ses yeux clos par un ange assoupis !


Mme  Desbordes-Valmore.
  1. Ces deux pièces de vers font partie d’un charmant recueil de poésies de madame Desbordes-Valmore qui paraîtra très prochainement sous le titre de : Les Pleurs.