Poésie - Renaissance

Poésie - Renaissance
Revue des Deux Mondes3e période, tome 120 (p. 210-212).
POÉSIE

RENAISSANCE

VAUCLUSE


Celui-là qui vécut sous ta roche, ô Vaucluse,
Et conduisit la gloire en tes âpres ravins,
Ne fut pas seulement le rimeur aux pleurs vains
Qui gémit de son mal, le caresse ou l’accuse.

Soumis plus qu’à l’Amour aux leçons de la Muse,
Il aspira surtout vers les lauriers divins ;
Car la Rome éternelle et ses beaux écrivains
Habitaient en son âme inquiète et recluse ;

Le désir l’avait pris de survivre comme eux,
De mettre un nom toscan parmi les noms fameux
Que l’immortalité transmet aux races brèves.

Sur les chemins nouveaux où le monde est entré,
Nous tendons notre effort au but qu’il a montré.
Et Pétrarque a tracé la route de nos rêves.


DIVAE. LVCRETIAE. BORGIAE


Oh ! n’avoir pas vécu chez Madame Lucrèce
Dans la docte Ferrare au seuil hospitalier !
Oh ! n’avoir pas servi, triomphant chevalier,
Ces yeux, trônes d’orgueil et miroirs de caresse !

Elle fut la clémente et bénigne maîtresse.
Qui sut goûter le prix du sonnet familier ;
Elle eut les bons rimeurs en souci singulier
Et leur laissa baiser les crins d’or de sa tresse.

L’autel de marbre est frêle et le temps le disjoint ;
Mais pour vivre à jamais, Duchesse, ne crains point
Que les ans ni l’oubli de ton espoir te frustrent ;

Car on t’adore encor par delà le tombeau,
Borgia très divine et très chaste, qu’illustrent
Les chansons d’Arioste et les vers de Bembo.


MARGUERITE DE FRANCE
DUCHESSE DE SAVOIE


Les poètes énamourés
Ont dit la grâce et les mérites
De la perle des Marguerites
Eclose dans les royaux prés.

Tous servaient ses autels sacrés ;
Du Bellay célébrant ses rites
S’écriait : « Venez, ô Charités,
À l’ombre des grands lis dorés ! »

Leurs meilleurs vers étant pleins d’elle,
La princesse, tendre et fidèle.
Les aima comme des amis ;

Et si son nom garde une histoire,
C’est que le grand Ronsard a mis
Un peu d’amour sur sa mémoire.


À JOACHIM DU BELLAY


Le dégoût douloureux des jours que tu menais
Dans la Rome papale en éternelle fête
Te révéla le charme et la douceur secrète
De ton Liré natal, des bois, et des genêts.

L’amour qui te reprit du sol d’où tu venais
Jaillit en flot plaintif de ta plume inquiète ;
Et pour te célébrer comme il sied, ô poète.
J’emprunte le modèle à tes divins sonnets.

De tant d’illustres lieux où coulaient tes journées
Nul ne valait celui de tes jeunes années,
Fût-ce le Capitole ou le mont Palatin.

Mais tout autre est l’ennui de mon âme fidèle ;
Rome, dont tu souffrais, je ne regrette qu’elle :
Ma jeunesse est là-bas, près du Tibre latin.


SONNET POUR HELENE


Lorsque Ronsard vieilli vit pâlir son flambeau
Et connut le néant des gloires passagères.
Il voulut échapper aux amours mensongères
Et d’une chaste fleur couronner son tombeau.

Faisant don de sa muse et de son cœur nouveau
À la jeune vertu d’Hélène de Surgères,
Il confia ce nom à des rimes légères
Et son dernier amour ne fut pas le moins beau.

Ils se plaisaient ensemble à fuir les Tuileries
Et devisaient d’amour sur les routes fleuries,
— D’Amour, honneur des noms qu’il sauve de périr !

Le poète songeait, triste qu’elle fût belle
Alors qu’il était vieux et qu’il allait mourir ;
Mais elle souriait se sachant immortelle.


P. DE NOLHAC.