Poésie - Les Vitraux de la cathédrale - Le Consentement d'Apia

Poésie - Les Vitraux de la cathédrale - Le Consentement d'Apia
Revue des Deux Mondes4e période, tome 133 (p. 931-934).
POÉSIE

LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE


LE CONSENTEMENT D’APIA


Comme, nimbé d’or, sous des suites de portiques,
Saint Hilaire, menant des clercs en dalmatiques,
Au long de son jardin marchait silencieux,
Des jeunes gens, des fleurs aux doigts, l’amour aux yeux,
Saluèrent sa fille Apia. Saint Hilaire,
Qui les vit, ne les put regarder sans colère,
Si courtois, et charmans, et blonds comme le blé ;
Et les rires de ces galans ayant troublé
Son cœur, il dit à ceux pour qui sa patience
N’avait jamais assez de foi, ni de science :
« Reprenez, sans tarder, chacun votre chemin. »

Et tous, en le quittant, lui baisèrent la main.
Et leur groupe décrut derrière les balustres.

Alors il descendit vers Apia, qu’illustres,
Avec des mots très doux, hélas ! et désastreux
Priaient les jouvenceaux de prononcer entre eux.
Mais elle, qui prenait plaisir à leur querelle,
Et qu’amusait ce jeu, combien nouveau pour elle,

Quand tout d’une parole aurait été fini,
Sans plus s’en expliquer, disait non et nenni.
Eût-il même très haut vanté son héritage,
Un fils de roi n’eût rien obtenu davantage.
Seulement ses regards allaient plus volontiers
Vers un enlumineur tout jeune de psautiers,
Le plus timide, fier pourtant comme une épée.
Et certe elle en était dans son âme occupée,
Et sa mère, près d’elle assise, en y songeant,
Dit : Soit ! et l’approuvait d’un sourire indulgent,
Si bien que, le bonheur de vivre étant sur elles,
S’abattit à leurs pieds un vol de tourterelles.

Mais vivre c’est aller au tombeau pas à pas,
Aveuglément ! La joie est d’en haut. Ce n’est pas
Sur la terre, parmi ses peuples misérables,
Dans l’épreuve, que sont les voluptés durables :
Le ver au cœur du fruit pend de l’arbre séché.
Illusion, mensonge et mort, toute au péché
Donnée et du péché pour jamais coutumière,
Elle ignore la paix heureuse et la lumière.
Honte et douleur à qui s’en est émerveillé !
Elle est fange : le pied qui la foule est souillé ;
Ténèbres : le marcheur le plus ferme y trébuche ;
Avarice : le dol y cache son embûche ;
Fureur : le meurtre y guette et brandit son couteau.
Qu’on aborne le bois, la plaine ou le coteau,
C’est un abîme ouvert que la règle mesure,
Et ce qu’appelle Amour son désir est Luxure.
O chair des vierges ! chair des vierges ! pureté !
Gracilité des cols ! bras fouettés de clarté !
Splendeurs ! refusez-vous ! Laissez aux pécheresses
Les alanguissement et l’horreur des caresses.
Vous, fuyez-les. Pas de baisers ! La passion
Est souillure, l’étreinte est profanation.
Vous êtes la blancheur souveraine et le temple
Où, renfermée, attend, prie, espère et contemple
Une âme ! Et sur ce temple, entre tous précieux,
Vous laisseriez errer des mains. errer des yeux,
Et, s’affolant dans sa victoire inassouvie,
Une bouche qui vous dirait ! Je suis la Vie !
Mais cette bouche, mais ces mains, ces yeux, la Mort
Est en eux déjà qui les corrompt et les mord

Sur ce lit même où votre fatigue retombe,
Et vous ne mariez que la tombe à la tombe.

Les jeunes gens étaient partis. Le Saint parlait.


II


Et voici qu’il reprit : « Hors des siècles, il est,
Dans le jour d’où sans fin le méchant se recule
Et qui n’a pas d’aurore et pas de crépuscule,
D’autres noces de vie ardente et de clarté,
Dont la douceur et dont l’amour sont chasteté,
Et qui n’ont que l’azur du ciel pour draperie.
La terre ? fuis la terre, O ma fille ! Aime et prie.
Fuis la terre odieuse et vile, où constamment
Tout nous éprouve, tout nous déçoit, tout nous ment
Car c’est l’Esprit du mal, pour que tu te perdisses,
Qui t’égarait avec ses perfides blandices
En ces enchantement dont je te délivrai,
Et je ne t’ai pas dit un mot qui ne fût vrai !
Fuis la terre, O ma fille aimée, et sois bénie.
Ses fleurs ont nom péché, manquement, félonie.
Ses fruits sont de poussière et de cendre. Mais vois !
Au milieu des concerts d’instrumens et de voix
Et salué par les harpes et les cantiques,
Il vient vers toi, l’Époux, dans les parvis mystiques
D’où montent les filets d’azur des encensoirs.
Admiré du soleil et des astres des soirs,
Il vient vers toi Celui qui rendit témoignage
De son père, le fils d’ineffable lignage,
Sur qui rien ne prévaut, dont le règne est sans fin,
Que servent, inclinés, l’ange et le séraphin,
Et dont le sang versé ruisselle en nos calices !
O noces de victoire et de gloire ! ô délices !
Qu’il te donne l’anneau de sa foi ! que, liés
Par lui-même à ton col, s’épandent ses colliers !
Voici ton manteau d’or tramé. Blanche épousée,
Qu’il ait ton amour tout entier et ta pensée
Tout entière de qui le mal fut écarté,
Et ton âme, ô ma fille, et ta virginité !
Parce que c’est l’Époux, celui-là, qui, ravie
En son cœur, te peut seul dire : Je suis la Vie,
Et près de qui le roi le plus grand est petit. »

Et regardant sa mère, Apia consentit.

Le Saint alors se mit en prière près d’elle,
Et pour qu’à son amour elle restât fidèle,
Car le démon veillait. Quand il se releva,
Très calme, il lui toucha l’épaule et lui dit : Va !
Au même instant, miroirs d’or où se réverbèrent
Les cieux profonds, les yeux de l’enfant se fermèrent
Elle pencha sa tête et joignit ses deux mains.

Plus de veilles pour elle, et plus de lendemains !
Vierge, son père à son Epoux l’avait donnée.
Mais, sa mère pleurant d’en être abandonnée,
Les anges devant elle accoururent parmi
Les fleurs, et, soutenant ce doux corps endormi
Qu’ils emportaient dans un envolement de toiles,
Frères aînés, ils la couronnèrent d’étoiles.


ROBERT DE LA VILLEHERVE.