Poésie - Ariane, Salomé, Thallo

Poésie - Ariane, Salomé, Thallo
Revue des Deux Mondes4e période, tome 151 (p. 691-695).
POÉSIE


ARIANE



Ah ! quelle âme amoureuse et souvent désolée
Comme vous à Naxos ne se vit exilée
Dans une île d’attente et de lointain espoir ?
Que mon rêve un moment sur votre rêve plane.
Douce sœur du regret, langoureuse Ariane.
Je veux songer à vous et vous aimer ce soir.

Je vous penche au métier, au clair de la croisée
Entr’ouverte, ourdissant la trame entre-croisée
Du tissu fabuleux de vos tristes amours ;
Le fil qui se dévide au vol de la navette,
N’a-t-il guidé celui que votre ennui regrette
Dans l’obscur labyrinthe et ses sournois détours ?

Et dans votre mémoire, au plus secret méandre
D’un passé si perfide, et cependant si tendre,
Toujours le même fil se déroule, parmi
Tous les longs souvenirs d’une âme inapaisée
Pour, au fond du dédale, ainsi que fit Thésée
Réveiller votre amour comme un monstre endormi,

Mais l’Oubli, du métier va détendre le voile
Dont vous aviez brodé la merveilleuse toile
Dans la mélancolie et dans l’isolement ;
Des plaisirs d’autrefois vous en tressiez la chaîne,
Ariane, et pourtant prête à l’ardeur prochaine
Vous vous en parerez pour le prochain amant.

Vous ne contemplez plus l’étincelante crête
Du flot qui bat aussi le bord natal de Crète
Ni le grand pâturage où paît un taureau blanc ;
L’automne vous a prise en ses pourpres étranges
Et le vent porte, avec l’ivresse des vendanges,
Comme un bourdonnement de tambourin tremblant.

Et pourtant vous pourriez, sage, vivre en vos songes,
Sur la trame sans fin variant leurs mensonges,
Avoir le long bonheur d’un espoir toujours vain.
Pourquoi recommencer l’éternelle aventure,
À tout jamais la même et passée et future ?…
Le regret de l’amour seul l’a rendu divin.


LA RENCONTRE DE PERSÉPHONE



C’est un soir de printemps, au bord de la fontaine,
Que je t’ai rencontrée assise, et mélangeant
Les iris ténébreux aux narcisses d’argent ;
Et ta robe était sombre et ta beauté lointaine.
Et tu liais tes fleurs d’un lien diligent.

Je t’ai dit : « D’où viens-tu ? Tes Lèvres et tes joues
Sont pâles ; tes iris sont couleur de tes yeux ;
Dis-moi le nom du fleuve où dans le fond vaseux
Plongeaient les tiges des nénuphars dont tu noues
Le nocturne bouquet de ces grands pavots bleus.

« Ils ont fleuri sans doute au sein de la nuit même.
Ils sont beaux ; je voudrais les cueillir chaque soir.
Ah ! prends garde ! dans l’eau tu vas les laisser choir…
Donne-les-moi plutôt, dis ? Le veux-tu ? Je t’aime
D’avoir aimé ces fleurs, passante au manteau noir. »

Et tu m’as répondu : -Prends mes fleurs, prends-les toutes.
Douce enfant ; assieds-toi près de moi ; l’air est pur.
Le printemps tout entier dort dans mon cœur obscur
Et c’est moi qui L’entraîne aux taciturnes routes.
us. L’herbe embaume et le croissant verdit l’azur. »

Puis entr’ouvrant pour moi ta grenade pourprée
Tes lèvres ont pressé mes lèvres longuement.
J’ai goûté la douceur furtive du moment
Qui passe… mais ces grains qui m’ont désaltérée
Causeront désormais ma soif et mon tourment.

Le désir et l’effroi d’une chose inconnue
Me charme et m’épouvante ; et maintenant je sais
Ton nom terrible et tendre, hélas ! et je me plais
Au regret languissant du jour où je t’ai vue,
Puisque depuis ce jour je suis triste à jamais.


SALOMÉ



Son corps svelte vêtu d’une soie à rosaces
Traîne l’obscur velours d’un ourlet empourpré
Sur le dallage blanc des plus hautes terrasses
Où l’arabesque luit dans le marbre nacré.

Au rebord du balcon où son rêve l’exile
Elle étend ses bras frais et joue avec ses doigts ;
Son attitude semble une danse immobile,
La fleur de ses cheveux s’effeuille à ses pieds froids.

Sans doute courtisane et surtout enfantine,
Être doux et pervers et toujours trop aimé,
Insensible sourire, orgueil de la narine,
Charme de ce qu’on sent perfide, Salomé.

Sa taille ploie, et sous le long sourcil qui s’arque
Son regard est cruel, innocent et lascif ;
Est-ce d’avoir dansé devant le vieux tétrarque
Ou d’avoir soupesé le plat deux fois massif ?

Elle regarde au loin. D’un argent mat et terne,
La lune, au ciel couvert, s’arrondit lentement.
Elle écoute. Le vent gronde dans la citerne
Ou quel râle lointain en monte sourdement ?

Quel morne chef coupé, — souvenir ou présage, —
Flotte dans le halo de l’astre pluvieux ?
Mais Salomé n’a pas détourné son visage,
Nul effroi ne la trouble et n’obscurcit ses yeux.

Qu’importe que la tête horrible roule, et saigne,
Et pèse un poids trop lourd à son geste ingénu,
Et que son pas dansant de ce sang noir s’imprègne
Et qu’un roi paternel convoite son corps nu ?

Sa figure naïve est puérile et claire
Entre l’écartement lisse de ses bandeaux,
Et sa robe revêt la grâce singulière
D’un torse adolescent qui cambre un souple dos.

Elle s’attarde ainsi sur la terrasse blanche,
— Qu’est-ce que tout cela, petite fille ? Rien. —
Et songe, en admirant son sein rond et sa hanche.
Qu’elle se trouve belle et qu’elle danse bien.


LA CHEVELURE DE BÉRÉNICE



Écoute. Sois très sage et ne dérobe pas
Ton méchant petit front dans tes deux petits bras
Pour avoir vu le peigne et la brosse d’ivoire.
Viens. Je vais te conter une très belle histoire.
Mets-toi là, sans bouger, droite entre mes genoux.
Et je démêlerai tes cheveux longs et doux.
Mais ne détourne pas la tête, que je puisse
Les dérouler plus beaux que ceux de Bérénice.
Elle était reine ; et toi, seras-tu reine un jour ?
Et qui sait, si l’été, sous le peigne à son tour
À chacun de ses fils ta natte étincelante
Ne fera pas briller quelque étoile filante ?
Eclair brusque, ou clarté sereine, ou bien encor
Comète fabuleuse à la crinière d’or,
Ces mèches par tes jeux tant de fois emmêlées
Rayonneront au « ici en boucles constellées ;

Ta coiffure étoilée, ô petit front royal,
Ornera lumineusement le soir austral ;
Et tu verras aussi ta grande chevelure
Eblouir le silence où dort la nuit obscure ;
Et de ta tresse éparse en un long flamboiement
L’astre déchevelé poindre au noir firmament.


THALLO


Lorsque vous m’étendrez au bûcher de santal,
Avant que je devienne une cendre légère,
Eloignez de mes doigts l’obole de métal.

Je veux que ce qui fut ma grâce passagère
Charme encor d’un baiser le passeur infernal
Quand vous de ces baisers n’aurez que la poussière.

Puisque l’ennui de vivre et l’effroi, tour à tour,
De la mort, ont toujours tourmenté mes pensées
Et que triste et divin fut mon terrestre amour.

Que je rentre à jamais dans les choses passées
Et que de ma beauté l’on parle quelque jour
Quand je serai lointaine aux mémoires lassées.

Mon âme, fleur funèbre, ô Nuit, t’embaumera ;
Papillon ténébreux que le sort fit diurne,
Son aile d’ombre errante en l’ombre se perdra.

Et moi qui fus si grande, une très petite urne
D’argile ou de cristal transparent, contiendra
Ma chair voluptueuse et mon cœur taciturne.