Poètes et romanciers de l’Italie/Leopardi



POÈTES
MODERNES
DE L’ITALIE.

iii.
LEOPARDI.

Le nom seul de Leopardi est connu en France ; ses œuvres elles-mêmes le sont très peu, tellement qu’aucune idée précise ne s’attache à ce nom résonnant et si bien frappé pour la gloire. Quelques-uns de nos poètes qui ont voyagé en Italie ont rapporté comme un vague écho de sa célébrité :

Leopardi dont l’ame est comme un encensoir,

lisions-nous, l’autre jour, dans l’album poétique d’un spirituel voyageur. De telles notions sont loin de suffire. M. Alfred de Musset, il y a deux ans, publiant en cette Revue[1] quelques-uns de ces vers aimables que lui dicte la fantaisie en ses meilleurs jours, a parlé de Leopardi plus en détail, bien qu’à l’improviste et avec une sorte de brusquerie faite d’abord pour étonner. Le poète, se fâchant contre les versificateurs et rimeurs qui délaient leur pensée, s’écriait :

Non, je ne connais pas de métier plus honteux,
Plus sot, plus dégradant pour la pensée humaine
Que de se mettre ainsi la cervelle à la gêne,
Pour écrire trois mots quand il n’en faut que deux,
Traiter son propre cœur comme un chien qu’on enchaîne,
Et fausser jusqu’aux pleurs que l’on a dans les yeux.

Ô toi qu’appelle encor ta patrie abaissée,
Dans ta tombe précoce à peine refroidi,
Sombre amant de la Mort, pauvre Leopardi,
Si, pour faire une phrase un peu mieux cadencée,
Il t’eût jamais fallu toucher à ta pensée,
Qu’aurait-il répondu, ton cœur simple et hardi ?

Telle fut la vigueur de ton sobre génie,
Tel fut ton chaste amour pour l’âpre vérité,
Qu’au milieu des langueurs du parler d’Ausonie,
Tu dédaignas la rime et sa molle harmonie,
Pour ne laisser vibrer sur ton luth irrité
Que l’accent du malheur et de la liberté.

De tels traits, à coup sûr, sont caractéristiques du noble talent que le poète français invoque ici en témoignage. Pourtant, si l’on a trouvé singulier que Boileau, s’adressant à Molière, lui dise tout d’abord par manière d’éloge :

Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime,

il peut sembler également assez particulier que le premier éloge accordé ici à Leopardi soit de s’être passé de la rime, ce qui est possible en italien, mais à de tout autres conditions qu’en français, et ce qui d’ailleurs ne paraît point absolument vrai du savant poète dont il s’agit. Dans tous les cas, il y a sur Leopardi, comme sur Molière, bien d’autres caractères distinctifs qui frappent à première vue.

Trop étranger que je suis habituellement à l’étude approfondie des littératures étrangères, persuadé d’ailleurs que la critique littéraire n’a toute sa valeur et son originalité que lorsqu’elle s’applique à des sujets dont on possède de près et de longue main le fonds, les alentours et toutes les circonstances, il semble que je n’aie aucun titre spécial pour venir parler ici de Leopardi, et je m’en abstiendrais en effet si le hasard ou plutôt la bienveillance ne m’avait fait arriver entre les mains des pièces manuscrites, tout-à-fait intéressantes et décisives, sur l’homme éminent dont il s’agit, et ne m’avait encouragé à une excursion inaccoutumée, pour laquelle je vais redoubler d’attention en même temps que je réclame toute indulgence.

Le comte Jacques Leopardi naquit le 29 juin 1798, à Recanati dans la marche d’Ancône ; fils aîné du comte Monaldo Leopardi et de la marquise Adélaïde Antici, des plus nobles familles du pays, il reçut une éducation soignée sous les yeux de son père. Un prêtre de l’endroit, l’abbé Sanchini, lui enseigna les premiers élémens du latin ; quant au grec, l’apprenant dès l’âge de huit ans dans la grammaire dite de Padoue, l’enfant jugea cette grammaire insuffisante, et, décidé à s’en passer, il se mit à aborder directement les textes qu’il trouvait dans la bibliothèque de son père ; il lut ainsi sans maître, et bientôt avec une surprenante facilité, les auteurs ecclésiastiques, les saints Pères, tout ce que lui fournissait en ce genre cette très riche bibliothèque domestique ; le premier débrouillement fait, il lut méthodiquement, par ordre chronologique, plume en main, et, de même que, chez Pascal avec qui on l’a comparé, le génie mathématique éclata comme par miracle, ainsi le génie philologique se fit jour merveilleusement chez le jeune Leopardi ; il devint un véritable érudit à l’âge où les autres en sont encore à répéter sur les bancs la dictée du maître.

On a souvent remarqué cette alliance, au premier abord singulière, du génie poétique et du génie philologique ; mais ici elle a cela de plus particulier encore que le poète énergique et brillant qui va nous apparaître ne finit point par la philologie, ne s’y retira point après son premier feu jeté, mais qu’il débuta par là, et que, si ses souffrances précoces ne l’avaient impérieusement détourné des études suivies, c’est de ce côté sans doute qu’il aurait, avant tout, frayé sa voie et poussé sa veine patiente.

J’ai sous les yeux tous les manuscrits de Leopardi qui datent de cette époque, manuscrits confiés par lui-même à M. de Sinner, si capable d’en bien juger, et qui en a publié des extraits[2]. En tête d’un cahier contenant le texte correct de la Vie de Plotin, par Porphyre, avec traduction latine et commentaire, on lit cette attestation de la main du père de Leopardi :

« Oggi 31 agosto 1814, questo suo lavoro mi donò Giacomo mio primogenito figlio, che non ha avuto maestro di lingua greca, ed è in età di anni 16, mesi due, giorni due.

« Monaldo Leopardi. »

Un juge compétent à qui ce travail manuscrit a été communiqué, Creuzer, dans le 3e volume de son Plotin, en a tiré le sujet de plusieurs pages de ses addenda. Lui qui a travaillé toute sa vie sur Plotin, il trouve quelque chose d’utile dans l’ouvrage d’un jeune homme de seize ans.

Les travaux philologiques et les excursions érudites de Leopardi, vers cette époque de son adolescence et de sa première jeunesse, feraient une longue et trop sèche énumération, si on la voulait complète ; singulier prélude, ouverture bien austère, à la destinée toute poétique qui suivra. Nous trouvons, en 1814, des commentaires de lui sur la vie et les écrits de quelques rhéteurs du second siècle, tels que Dion Chrysostôme, Œlius Aristide, Hermogène et Fronton. M. Mai n’avait pas encore publié les lettres exhumées de Fronton à Marc-Aurèle. Elles parurent à Milan en 1815 ; l’année suivante, Leopardi les traduisait. Le docte éditeur lut plus tard le travail manuscrit de Leopardi et en tint compte dans l’édition de Rome. Le même savant prélat tint compte aussi pour son Denys d’Halicarnasse d’une lettre critique à ce sujet, que Leopardi adressa en 1817 à son ami Giordani. Un Essai sur les erreurs populaires des Anciens (Saggio sopra gli errori popolari degli Antichi), composé par Leopardi dans l’espace de deux mois, au commencement de 1815, nous présente déjà les résultats d’un esprit bien ferme, mais contenu encore dans les limites d’une foi sincère. Le jeune érudit, sans se perdre dans de vagues considérations et tout en se laissant guider d’une pensée jusqu’à un certain point philosophique, expose et démêle, moyennant des textes précis qui témoignent d’une immense lecture, les divers préjugés des anciens sur les dieux, les oracles, la magie, les songes, etc., etc. Un seul chapitre, celui des Pygmées, a été imprimé par M. Berger de Xivrey[3]. Le jeune auteur, en concluant, adressait à la religion une espèce d’hymne, une vraie prière d’action de graces, et ceci fait trop de contraste à ce que nous verrons plus tard pour ne pas être ici relevé :

« Religion très aimable, s’écriait-il, il est doux pourtant de pouvoir terminer en parlant de toi un travail qui a été entrepris en vue de faire quelque bien à ceux qui recueillent tes bienfaits de chaque jour ; il est doux de pouvoir, d’une ame ferme et assurée, conclure qu’il n’est point vraiment philosophe celui qui ne te suit ni ne te respecte, et que te respecter et te suivre, c’est être par là même assez philosophe. J’ose dire aussi qu’il n’a point un cœur, qu’il ne sent point les doux frémissemens d’un amour parfait, qu’il ne connaît point les extases dans lesquelles jette une méditation ravissante, celui qui ne sait point t’aimer avec transport, qui ne se sent point entraîné vers l’objet ineffable du culte que tu nous enseignes… Tu vivras toujours, et l’erreur ne vivra jamais avec toi. Lorsqu’elle nous assaillira, lorsqu’essayant de couvrir nos yeux d’une main ténébreuse, elle menacera de nous entraîner dans les abîmes entr’ouverts sous nos pieds par l’ignorance, nous nous tournerons vers toi et nous trouverons la vérité sous ton manteau. L’erreur fuira comme le loup de la montagne poursuivi par le pasteur, et ta main nous conduira au salut. »

Il y a loin de ces très jeunes élans aux réflexions amères et inexorables qui ont fait de Leopardi un des plus éloquens poètes du désespoir ; il fut quelques années encore avant d’en venir à cette transformation, à cette conversion profonde et définitive de tout son être, à travers laquelle ses croyances en périssant toutes, il faut le dire, ne montrèrent pourtant que plus à nu sa nature généreuse. Dans une note manuscrite de lui que j’ai sous les yeux, et qui a pour titre Supplemento generale a tutte le mie carte, je lis une dernière indication relative à un projet d’hymnes chrétiennes : le simple canevas respire encore les mêmes sentimens de piété affectueuse qu’exprimait la conclusion précédente[4]. Ce papier doit être d’une date peu postérieure à 1819. On ne saurait se tromper en reportant la grande conversion philosophique de Leopardi entre les années 1820-1823.

Jusqu’ici donc, nous n’avons affaire qu’à un jeune homme précoce, qui, confiné dans sa ville natale et du fond du nid paternel, dévore, jour et nuit, les livres anciens, ne s’effraie d’aucune étude épineuse, s’attache, par choix, à défricher les portions les plus ingrates, ce semble, du champ de l’érudition et de la critique, recueille les fragmens des Pères grecs du second siècle ou des historiens ecclésiastiques antérieurs à Eusèbe, rassemble, commente en six mois (1815) les débris, les œuvres authentiques ou supposées de Jules Africain, et semble préluder en ces sillons pénibles avec la vocation opiniâtre d’un Villoison ou d’un Tillemont. Il serait trop extraordinaire pourtant que celui dont on admirera tout à l’heure le génie mâle et la pureté sévère n’eût pris d’abord l’antiquité que par ce côté des rhéteurs, des sophistes ou même des écrivains ecclésiastiques, et qu’il eût négligé précisément les chefs-d’œuvre de grandeur et de grace qu’elle nous a légués. C’est que Leopardi, en effet, ne les négligeait pas ; son ardeur studieuse suffisait à tout, et dans les essais de sa jeunesse, dans ceux particulièrement qui marquent sa collaboration au Spectateur[5] de Milan durant les années 1816-1817, on trouverait bon nombre de morceaux de lui qui préparent et dénoncent le poète. Il ne se contente pas de disserter sur la Batrachomyomachie, il la traduit en vers, en sizains coulans et faciles, comme aussi il fera pour le Moretum de Virgile. Il ne se borne pas à éclaircir en critique les circonstances peu connues de la vie de Moschus, il aspire à en vulgariser les charmantes idylles en sciolti plus ou moins fidèles, premier coup d’essai, que bientôt son goût plus mûr répudiera. L’Odyssée le tente ; pour être plus à l’aise en son entreprise, il n’a pas lu les deux premiers chants publiés à cette date par Pindemonte, et il marche seul et ferme en présence de son modèle, s’appliquant à en reproduire et presque à en calquer les traits de couleur et de caractère. En tête d’un fragment traduit de la Théogonie d’Hésiode (la bataille des Dieux et des Titans) il se livre à des réflexions approfondies et vives sur le mérite propre de cette poésie d’Hésiode, surtout dans les Travaux et les Jours ; il la met presque au-dessus de celle d’Homère pour une certaine sincérité et ingénuité incomparable (schiettezza), il incline fort à la croire du moins supérieure en âge, et à ce propos il s’étend sur les conditions diverses qu’exige la traduction des poètes anciens. Ici se déclare le studieux et passionné disciple, dont toute l’émulation va d’abord à les adorer. Il s’estimerait à jamais heureux de s’enchaîner comme traducteur à quelque illustre classique des premiers âges : « Qui ne sait, s’écrie-t-il, que Caro vivra autant que Virgile, Monti autant qu’Homère, Bellotti autant que Sophocle ? Oh ! la belle destinée, de ne pouvoir plus mourir sinon avec un immortel ! » Des jugemens très particuliers sur les divers traducteurs italiens les plus admirés montrent à quel point ces questions de style l’occupaient, et combien il travaillait déjà à tremper le sien. Il insiste surtout (avec toutes sortes de précautions et de révérentes excuses) sur ce qu’Annibal Caro, en donnant à sa traduction de Virgile une couleur de simplicité aimable et de noble familiarité, un certain air dégagé (scioltezza) ou, si l’on veut, de désinvolture, a légèrement faussé la noblesse de ton et la magnificence habituelle de l’original. Il en vient à conclure que le style de Parini serait plus sincèrement virgilien que celui de Caro. Lui-même, en 1817, il publia un essai de traduction en vers du second livre de l’Énéide qu’il admirait entre tous les autres, et qu’il ne lisait jamais sans larmes.

Ce goût philologique qu’il avait développé et aiguisé dans la lecture des anciens, Leopardi le portait aussi dans l’étude et l’usage de sa propre langue ; il revenait à Dante et aux vrais maîtres d’avant la Crusca. Une petite dissertation sur le participe reso (pour renduto) et le verbe sortire (dans le sens de uscire), que la Gazette de Milan avait compris en une même condamnation, atteste à quel point il ne laissait passer aucun détail, et combien il se préparait à être un vigilant écrivain. Il conclut d’une quantité d’exemples que, des deux mots proscrits par la Gazette puriste, le premier, c’est-à-dire reso, est du très bon italien, tout-à-fait usité et recommandable, et que le second, sortire pour uscire, est italien aussi, mais de bas aloi. Quelques années plus tard (1826), Leopardi publiera une traduction d’une ancienne chronique sacrée grecque ou copte (Martyre des saints Pères du mont Sinaï), traduction censée faite sur une version latine par quelque bon italien du XIVe siècle (1350), en prose contemporaine de celle de Boccace, et il trompera à première vue les connaisseurs les plus exercés. Le vieil Antonio Cesari, grand expert en fait de trécentistes, y fut pris et y donna son approbation. Ainsi, chez nous, Paul-Louis Courier jouait à l’Amyot. C’est par de telles études préparatoires, quand on ne s’y oublie pas, c’est par de tels ingénieux secrets, longuement médités, que les vrais poètes savent ressaisir, d’un puissant effort, les langues et les styles aux âges de décadence, parviennent à les arrêter au penchant, ou même leur font remonter avec honneur les pentes glorieuses.

En mai 1817, Leopardi se permettait une autre supercherie qui sent davantage son Chatterton ou son Macpherson ; il publiait dans le Spectateur une traduction en vers d’un prétendu hymne grec à Neptune, qu’il donnait comme nouvellement découvert. Le tout était accompagné de notes et de commentaires destinés à jeter une docte poussière aux yeux. Enfin deux odes grecques dans le goût d’Anacréon s’ajoutaient comme provenant du même manuscrit. Leopardi, pour surcroît d’authenticité, produisait le texte de ces deux petites odes (de sa façon), et il s’excusait de ne les point traduire, sur ce qu’on ne traduit pas Anacréon. L’une de ces odes n’offre qu’une des mille variantes de l’Amour enchaîné de roses, l’autre est à la Lune ; cette dernière a droit de passer pour un fort gracieux pastiche et très propre à faire illusion.

Pour achever de noter ce qu’il y a de mémorable dans ces préludes de Leopardi avant l’âge de vingt ans, j’indiquerai encore une dissertation de lui sur la réputation d’Horace chez les anciens (décembre 1816). Le jeune critique s’autorise d’un passage de Fronton, du silence de Velleius et de quelques autres indices, pour conjecturer qu’Horace, dans le siècle qui suivit le sien et même un peu au-delà, était loin d’avoir acquis cette renommée classique incontestée qui ne s’est consolidée que plus tard. Il y aurait eu, du temps de Fronton, un retour aux anciens, aux plus anciens qu’Horace, et celui-ci en aurait souffert, comme, par exemple, Boileau, de nos jours, a pu souffrir d’un retour vers Régnier. Horace, en effet, selon Leopardi et selon quelques autres, aurait été en son temps un grand novateur, un artiste aussi habile que peu timoré en fait de langage ; il s’était de plus montré sévère ou dédaigneux pour ses prédécesseurs, pour Plaute, pour Catulle, et dans cette réaction archaïque un peu tardive, dont Fronton était l’un des chefs, on le lui faisait payer.

Cependant, à travers cette diversité de travaux précoces, Leopardi mûrissait au talent, et le poète original en lui allait éclater. En 1818, c’est-à-dire à vingt ans, il fit imprimer à Rome ses deux premières canzones, l’une à l’Italie, l’autre sur le monument de Dante qui se préparait à Florence. Une troisième parut à Bologne, en 1820, adressée à Angelo Mai au sujet de la République, par lui retrouvée, de Cicéron. Le caractère de ces premières pièces et de celles qui suivirent est grandiose, mâle, généreux, et d’une inspiration patriotique aussi élevée que douloureuse. Les deux premières canzones avaient en tête une dédicace à Monti :

« Je vous dédie, seigneur cavalier, ces canzones, parce que ceux qui aujourd’hui plaignent ou exhortent notre patrie ne peuvent que se consoler en pensant que vous, avec un petit nombre d’autres (dont les noms se déclarent assez d’eux-mêmes quand on les passerait sous silence), vous soutenez la gloire dernière de l’Italie, je veux parler de celle qui lui vient des études et particulièrement des lettres et des beaux-arts ; tellement qu’on ne pourra dire encore que l’Italie soit morte. Si ces canzones étaient égales au sujet, je sais bien qu’elles ne manqueraient ni de grandiose ni de véhémence… »

Elles en sont empreintes en effet : bien que le sujet en semble aujourd’hui un peu usé, roulant sur cette plainte perpétuelle et cette désolation tant renouvelée depuis Dante, et se prenant à cette moderne Italie, à celle même d’Alfieri, de Corinne et de Childe-Harold, et de laquelle Manzoni a dit qu’elle était

Pentita sempre e non cangiata mai,
Repentante toujours et jamais convertie ;

malgré cet inconvénient inévitable en telle rencontre, le poète se sauve ici du lieu-commun par son impression sentie et profonde. Pas un mot inutile n’est accordé à la phrase ou à l’harmonie ; c’est la pensée même qui jaillit dans son cri impétueux :

« Ô ma patrie, je vois les murs, et les arcs, et les colonnes, et les statues, et les tours désertes de nos ayeux, mais la gloire, je ne la vois pas, je ne vois ni le laurier ni le fer dont étaient chargés nos pères d’autrefois. Maintenant désarmée, tu montres ton front nu et nue ta poitrine. Hélas ! que de blessures, quelles plaies livides, que de sang ! Oh ! dans quel état te vois-je, ô très belle Dame ! Je demande au ciel et au monde : Dites, dites, qui l’a réduite ainsi ? Et le pire, c’est qu’elle a les deux bras chargés de chaînes, de telle sorte que, cheveux épars et sans voiles, elle est assise à terre, délaissée et désolée, se cachant la face entre les genoux, et elle pleure. Pleure, car tu en as bien sujet, ô mon Italie, née pour surpasser les nations et dans la bonne fortune et dans la mauvaise.

« Si mes yeux étaient deux sources vives, je ne pourrais assez pleurer pour égaler ton malheur et encore moins ta honte, parce que tu étais maîtresse et que tu n’es plus qu’une pauvre servante. Quel est celui qui, parlant ou écrivant de toi, ne dise au souvenir de ton renom passé : En voilà une qui fut grande et qui ne l’est plus ! Pourquoi, pourquoi ? Où est la force antique, où sont les armes, la valeur et la constance ? qui t’a pris l’épée à ta ceinture ? qui t’a trahie ? quelle ruse, ou quel long effort, ou quelle si grande puissance fut capable de t’enlever le manteau et les bandelettes d’or ? comment et quand es-tu tombée d’une telle hauteur en si bas lieu ? personne ne combat-il pour toi ? n’es-tu défendue par aucun des tiens ? des armes, ici, des armes ! moi seul je combattrai, je tomberai seul ; et fasse le ciel que pour les cœurs italiens mon sang devienne flamme !

« Où sont tes fils ? J’entends le son des armes et des chars, et des voix et des timbales ; dans les contrées étrangères tes fils combattent. Attention, Italie ! prête l’oreille. Je vois ou crois voir tout un flot de fantassins et de cavaliers, fumée et poussière, et briller les épées comme les éclairs dans la nue. Et tu te tais et tu pleures, et tu n’as pas même la force de tourner ton tremblant regard vers la lutte douteuse ! Pour qui donc combat dans ces champs la jeunesse italienne ? Ô dieux, ô dieux ! les glaives italiens combattent pour la terre étrangère. Ô malheureux qui tombe à la guerre, non point pour la défense des rivages paternels, pour la pieuse compagne et les fils chéris, mais frappé de la main d’ennemis qui ne sont pas les siens, pour le compte d’autrui, et qui ne peut dire en mourant : Douce terre natale, la vie que tu m’as donnée, la voici, je te la rends !

« Oh ! bienheureux et chers et bénis les âges antiques, où les nations couraient par bandes à la mort pour la patrie ; et vous, soyez à jamais honorées et glorieuses, ô gorges de Thessalie, où la Perse tout entière et le destin furent de bien moindre force qu’une poignée d’ames héroïques et généreuses… »

Et apostrophant ici les rochers, les arbres et la mer, le poète leur redemande le récit de cette mort invincible, de cette chute triomphante, et il refait hardiment le chant perdu de Simonide.

On l’a déjà remarqué avant nous[6], Leopardi s’est toujours beaucoup préoccupé de Simonide : il ne l’a pas seulement reproduit et restitué dans l’héroïque, il a traduit ses deux morceaux mélancoliques d’élégie. J’ajouterais qu’il n’a pas omis non plus le morceau satirique sur les femmes, si cette pièce ne paraissait devoir être attribuée à un autre Simonide. Mais, en tout, il semble que Leopardi, parmi les modernes, puisse être dit un poète du même ordre et de la même variété que Simonide parmi les anciens. À côté des élans les plus enflammés de l’hymne et de la louange des héros, il a trouvé les accens les plus douloureux et les plus directs de la plainte humaine.

Son second chant, sa seconde messénienne, comme on peut l’appeler, au sujet du monument préparé à Dante, est dans le même ton que la première, mais encore plus empreinte, s’il se peut, de sombre et patriotique amertume. C’est à Dante poète, à Dante surtout citoyen et patriote qu’il s’adresse et qu’il demande assistance et recours dans cet abaissement du présent :

« Ô père illustre du mètre toscan, si à vos sacrés rivages il parvient quelque nouvelle encore des choses de la terre et de cette patrie que tu as placée si haut, je sais bien que tu ne ressens point de joie pour toi-même, car moins solides que la cire et que le sable sont les bronzes et les marbres au prix du renom que tu as laissé de toi ; et si tu as jamais pu, si tu pouvais un jour tomber de notre mémoire, que croisse notre malheur s’il peut croître encore, et que ta race inconnue de l’univers soit vouée à d’éternels gémissemens !

« Mais non, ce n’est pas pour toi que tu te réjouis, c’est pour cette pauvre patrie, à l’idée que peut-être l’exemple des pères et des ayeux réveillera assez les fils assoupis et malades pour qu’ils relèvent tout d’un coup leur regard. Hélas ! de quel long outrage t’apparaît flétrie celle qui te saluait, déjà si malheureuse, alors que tu montas la première fois au paradis ! Et pourtant, auprès de ce que tu la vois aujourd’hui, elle était alors heureuse maîtresse et reine. Une telle misère lui ronge le cœur que peut-être, en la voyant, tu n’en crois pas tes yeux. Je veux taire les autres ennemis et les autres sujets de deuil, mais non la France scélérate et mauvaise (la Francia scelerata e nera), par qui ma patrie à l’extrémité a vu de près son dernier soir. »

Je ne crains pas de rétablir ici le nom de la France, que Leopardi a supprimé dans ses corrections dernières, tout en laissant subsister le passage et en substituant par manière d’adoucissement l’appellation de cruelle (fera). Il ne pardonnait pas à la France la diminution et la confiscation de l’Italie sous l’Empire ; ces impressions d’enfance lui demeurèrent durables et profondes. Il redevenait de 1813, en écrivant cinq ans plus tard, et son accent répondait, on l’a remarqué, au cri d’imprécation des généreux Allemands Henri Kleist, Arndt et Kœrner. Ainsi, dans ce chant au Dante, il peint en traits sanglans la perte des légions italiennes durant la campagne de Russie, ces hommes du Midi ensevelis sous les glaces et, dans leur dernier regard vers leur mère adorée, se disant :

« Plût au ciel que ce ne fussent ni les vents, ni les tempêtes, mais le fer qui nous moissonnât, et pour ton bien, ô notre patrie ! Voilà que loin de toi, quand le plus beau de notre âge nous sourit, inconnus du monde entier, nous mourons pour cette nation qui te tue. » — « Et leur plainte, ajoute le poète, ne fut entendue que du désert boréal et des forêts sifflantes. Ainsi ils rendirent le dernier soupir, et leurs cadavres abandonnés à découvert sur cette horrible mer de neige furent déchirés des bêtes féroces ; et le nom des braves et des meilleurs restera à jamais l’égal de celui des lâches et des méprisables. »

Mais le sentiment qui sera bientôt la clé du cœur même de Leopardi et que nous surprenons déjà, ce sentiment stoïque du calme fondé sur l’excès même du désespoir, lui inspire cette sublime consolation :

« Ames chéries, bien que votre calamité soit infinie, apaisez-vous, et que cela vous serve de réconfort, que vous n’en aurez aucun ni dans cet âge ni dans les suivans. Reposez au sein de votre affliction sans mesure, ô les vrais fils de celle dont le suprême malheur ne voit que le vôtre seul capable de l’égaler ! »

Nous retrouverions ailleurs encore des éclats de cette colère de Leopardi contre la France. Remarquons toutefois que cette colère même n’était pas de l’indifférence, ni même de la haine, et qu’il y a souvent plus près de la colère à l’amour que d’une froide et tiède amitié. À un certain moment, Leopardi songea sérieusement à venir habiter en France ; il croyait que ce n’est que là encore qu’on peut vivre hors de la patrie[7]. Le jour où il voudra exprimer nettement sa pensée la plus chère, une profession de foi faite pour être montrée, nous verrons que c’est en français tout naturellement qu’il la consignera. Enfin, dans ses préventions pessimistes, contre lesquelles protestaient assez hautement ses propres efforts et ceux de plusieurs de ses nobles compatriotes, il estimait que la différence littéraire actuelle entre la France et l’Italie, c’est qu’en France il y avait encore quelques personnes qui cherchaient à bien écrire, et qu’en Italie il n’y en avait plus.

Un beau réveil pourtant s’opérait sur toute la péninsule en ces années ; Leopardi, l’un des précurseurs, le présageait, sans assez y croire, dans son chant à Angelo Mai. Ce savant et actif investigateur venait de retrouver la République de Cicéron après les Lettres de Fronton : on se demandait où s’arrêteraient de telles découvertes. Quoi ? les antiques ayeux ressuscitaient de la tombe, et les vivans n’y répondaient pas ! Oh ! du moins, lors de la grande renaissance des lettres, la ruine de l’Italie n’était pas consommée ; l’étincelle du génie circulait dans l’air au moindre souffle. Les cendres sacrées de Dante étaient chaudes encore, et le doux luth de Pétrarque n’avait pas cessé de frémir. Leopardi part de là pour célébrer le hardi Colomb, et l’Arioste, et le Tasse, en des couplets qui sont tour à tour de la plus gracieuse ou de la plus fière beauté. Je reprends le chant à ce qu’il dit de Pétrarque :

« Et tes douces cordes murmuraient encore au toucher de tes doigts, Amant infortuné. Hélas ! c’est par la douleur que naît et commence le chant italien. Et pourtant il pèse et mord moins cruellement le mal qui blesse avec douleur, que l’ennui qui étouffe. Ô bienheureux toi dont les pleurs furent la vie ! Pour nous, l’ennui nous a serrés dans ses nœuds ; pour nous, près du berceau comme sur la tombe, s’assied immobile le néant.

« Mais ta vie était alors avec les astres et avec la mer, audacieux enfant de Ligurie, quand au-delà des colonnes d’Hercule, et par-delà les rivages où l’on croyait sur le soir entendre frémir l’onde au plonger du soleil, te confiant aux flots infinis, tu retrouvas le rayon de ce soleil qu’on croyait tombé et le jour qui naît quand pour nous il a disparu. Tout le contraste de la nature fut rompu par toi, et une terre inconnue, immense, servit de trophée de gloire à ton voyage et aux périls de ton retour. Hélas ! hélas ! le monde mieux connu ne s’accroît point, mais plutôt il diminue, et l’éther résonnant, la féconde terre et la mer paraissent bien plus vastes au tout petit enfant qu’au sage.

« Où sont-ils allés nos songes fortunés qui nous montraient de ce côté l’inconnue retraite d’habitans inconnus, ou bien le lieu d’abri des astres durant le jour, et le lit mystérieux de la jeune Aurore ; et le sommeil caché du grand astre durant les nuits ? Voilà qu’ils se sont évanouis en un instant, et le monde est figuré sur une carte étroite ; voilà que tout devient semblable, et la découverte ne fait qu’accroître le néant. Le vrai à peine touché t’interdit à nous, ô imagination chérie ; notre esprit se retire de toi pour toujours ; les années viennent nous soustraire à ton premier pouvoir si plein de prodiges, et la consolation de nos chagrins périt.

« Tu naissais cependant aux doux songes, et le premier soleil te donnait en plein dans le regard, ô chantre aimable des armes et des amours… »

Je m’arrête, mais on comprend tout ce que va gagner en poésie et en fraîcheur ce portrait de l’Arioste venant aussitôt après les teintes sévères de la réalité. Ce beau chant finit par un salut sympathique et un cri ardent vers Alfieri, que Leopardi appelle Vittorio mio et auquel il se rattache comme au dernier de la noble race, au seul que ces temps de ruine aient laissé debout. Dans la préface en prose de cette canzone, Leopardi rappelait le mot de Pétrarque : Ed io son un di quei che’l pianger giova, et moi aussi je suis de ceux qui se plaisent à la plainte : « Je ne dirai pas, ajoute-t-il, que la plainte soit ma nature propre, mais une nécessité des temps et de la fortune. »

Et en effet on ne peut douter, rien que d’après ces débuts, de la nature avant tout mâle et antique de Leopardi : elle continuera de se dessiner de plus en plus. Au milieu même de ses plaintes les plus tendres et de ses mélancoliques élégies, la sobriété mettra le cachet ; pas une parole n’excédera le sentiment, et le stoïcien invincible se retrouvera au fond, jusque dans les amertumes les plus épanchées. La date de cette canzone à Angelo Mai (1820), était celle également du Carmagnola de Manzoni ; le drapeau d’une réforme littéraire flottait donc enfin, et toute une jeune milice s’ébranlait à l’entour. L’Anthologie de Florence allait s’ouvrir pendant des années à d’honorables et ingénieuses tentatives[8]. Plus jeune d’âge que la plupart des hommes de ce premier mouvement, le précoce Leopardi se trouve débuter en même temps qu’eux ; il va en ligne avec les Manzoni, les Berchet, et ne vient à la suite de personne : il se lève de son côté, tandis qu’eux marchaient du leur. Le rapprocher de ces hommes éminens, de ces écrivains généreux, marquer les rapports exacts et les différences, conviendrait à des juges mieux informés et plus compétens que nous. Il nous semble que si, par ses audaces et ses rajeunissemens de langage, par son culte de la forme retrouvée, Leopardi appartient à l’école des novateurs, il était du moins le classique par excellence entre les romantiques. Les autres se préoccupaient davantage de l’Allemagne, du moyen-âge et des théories dramatiques : lui, il resserra et poussa uniquement ses efforts dans la haute poésie lyrique, et aussi dans des écrits en prose d’une extrême perfection. Je ne sais si Leopardi rendait toute justice au mouvement italien contemporain, dont il n’était lui-même qu’un des nobles organes, et s’il y reconnaissait autant de signes de parenté avec lui qu’on croit en découvrir à distance, mais je me plais à enregistrer ici le mot de Manzoni sur son talent : « Vous connaissez Leopardi, disait-il vers 1830 à un voyageur, avez-vous lu ses essais de prose ? On n’a pas assez fait attention à ce petit volume ; comme style, on n’a peut-être rien écrit de mieux dans la prose italienne de nos jours. » La candeur de l’illustre auteur des Promessi Sposi se reconnaît en cette parole.

Quant à ses vers, Leopardi se rattachait directement au style des anciens par Alfieri et Parini, et en remontant plus haut. La langue italienne a cela de particulier, d’avoir offert, depuis cinq siècles, plusieurs momens vrais de renaissance ; elle le doit à ce qu’à ses débuts elle eut le bonheur de compter des chefs-d’œuvre. Le courant dans l’intervalle peut s’égarer ; mais il suffit de se remettre en communication avec les sommets pour retrouver le jet de la source. Après Dante, Pétrarque et Boccace, la langue italienne faiblit ; la renaissance grecque et latine l’encombre de débris et semble l’étouffer. Il fallut que Politien avec Laurent de Médicis rouvrît la route à l’Arioste et aux autres grands poètes de ce siècle. Après le Tasse, autre décadence ; les concetti abondent et corrompent tout. Des hommes de talent au XVIIIe siècle, Parini, Alfieri et Monti, essayent un retour généreux et sévère ; mais la révolution française interrompt et contrarie les efforts ; l’invasion implante moins de gallicismes qu’on ne dit, elle nuit pourtant comme toute invasion ; il fallut que cette œuvre de Parini et d’Alfieri fût reprise par Manzoni, Leopardi et autres, et elle le fut avec un vrai succès. On ne saurait, en France, comparer ce privilége heureux de l’Italie à nos efforts estimables et incomplets d’archaïsme studieux. Les Grecs avaient Homère à l’horizon, les Italiens ont Dante : voilà des marges immenses. Notre lointain horizon, à nous, ce n’est qu’une ligne assez plate. Nous ne remontons guère par la pratique au-delà de Rabelais ou de Ronsard, et encore que d’efforts et de faux pas pour y arriver ! Aussi le siècle de Louis XIV reste aisément, pour l’aspect de la langue, notre bout du monde ; la colline est admirable de contour, mais elle est bien prochaine ; entre elle et nous il n’y a guère d’espace pour ces évolutions que présente l’Italie, qu’accomplissait la Grèce, que l’Angleterre elle-même se peut librement permettre moyennant son Shakspeare.

Le caractère technique et la qualité des vers de Leopardi seraient à déterminer ; il emploie assez volontiers, mais non pas du tout exclusivement, ni même le plus habituellement, les sciolti : à quelle école appartiennent les siens ? Les critiques italiens en distinguent de deux sortes et comme de deux familles : ceux qui datent de Frugoni, plus fastueux, plus pompeux, plus redondans et colorés, et ceux de Parini, plus sobres, plus châtiés, d’une élégance plus discrète. À la première espèce on rapporte, comme variétés, les sciolti de Cesarotti et ceux même, si perfectionnés, de Monti ; dans la seconde se rangent ceux d’Alfieri, de Foscolo, de Manzoni. On me fait remarquer que ceux de Leopardi, en se rattachant à cette dernière école pour la netteté, paraissent avoir gardé de la facilité de l’autre : les connaisseurs diront le degré exact et à quel point ils les jugent bien frappés.

La rime joue d’ailleurs un rôle très savant et compliqué dans les couplets des canzones de Leopardi ; elle reparaît de distance en distance et correspond par intervalles calculés, comme pour mettre un frein à toute dispersion. Elle fait bien l’effet de ces vases d’airain artistement placés chez les anciens dans leurs amphithéâtres sonores, et qui renvoyaient à temps la voix aux cadences principales. Qu’il nous suffise de signaler cette science de structure et d’harmonie dans les strophes de Leopardi, en réponse à ceux qui croiraient encore qu’il a dédaigné la rime.

C’est aux environs de l’année 1820, et probablement avant son premier voyage à Rome, que dut s’opérer un changement complet dans les croyances intimes de Leopardi : il passa de la première soumission de son enfance à une incrédulité raisonnée et invincible, qui s’étendait non seulement aux dogmes de la révélation, mais encore aux doctrines dites de la religion naturelle. On a cherché à expliquer par des circonstances accidentelles cette révolution morale dans un homme d’une pensée supérieure et d’une sensibilité exquise, comme si l’esprit humain, quand il s’élève et que l’orage du cœur s’en mêle, avait un si grand nombre de chances entre les solutions. Leopardi, sous plus d’un aspect, semblait primitivement destiné par la nature à la force, à l’action, à la beauté virile : le feu de son regard, son accent vibrant, le timbre pénétrant de sa parole, une sorte de fascination involontaire qui s’exerçait d’elle-même sur ceux qui l’approchaient, et dont la nature a fait l’une des prérogatives du génie, tout semblait le convier à l’expansion de la vie, au charme des relations partagées. Mais de bonne heure son organisation délicate s’altéra, son corps frêle ne réussit point à triompher du travail de la puberté ; avant même que sa santé fût totalement perdue, une inégalité d’épaule se prononça, et on a cherché à expliquer en lui par un douloureux ressentiment cette amertume incurable qui se répandit dès-lors sur les objets et qui en toute occasion s’en prenait au sort. Byron a ressenti non moins amèrement un inconvénient beaucoup moindre. On a parlé aussi d’une autre circonstance. L’abbé Gioberti, à qui l’on doit cette justice que, chrétien et prêtre, il n’a jamais parlé de Leopardi qu’en des termes pleins de sympathie et d’une admiration compatissante[9], a raconté qu’ayant connu le poète à Florence, en 1828, et l’ayant accompagné dans un petit voyage à Recanati, il entendit chemin faisant, de sa bouche, le récit de sa conversion philosophique, c’est ainsi que Leopardi la nommait : la première impulsion lui serait venue d’un personnage qu’il admirait beaucoup, littérateur influent par son esprit et par ses ouvrages. Mais, de quelque part que soit arrivée au jeune homme la première provocation au doute et à l’examen, et quand il en aurait reçu l’initiative dans la conversation de quelqu’un de ses amis philosophes, comme Giordani ou tout autre, il faut reconnaître que l’esprit seul de Leopardi fit les frais de cette nouvelle opinion dans laquelle il s’engagea, et qui lui devint aussitôt comme un progrès naturel et nécessaire de sa pensée, un sombre et harmonieux développement de son talent et de sa nature. Nous aurons assez d’occasions d’en étudier les traits et la forme tout originale entre les diverses sortes d’incrédulité et de désespoir.

Cette tournure décisive que prirent les opinions philosophiques de Leopardi, aussi bien que ses exhortations de réveil patriotique, eurent pour effet d’aliéner de lui son père, qu’on dit homme distingué lui-même, écrivain spirituel, mais qui ne pardonna point à son fils d’embrasser une cause contraire. Toute la suite de l’existence du poète en fut entravée et resta sujette à la gêne. Il ne put s’éloigner du gîte natal, qui lui devenait insupportable, sans que les ressources domestiques lui fussent parcimonieusement marchandées, ou même totalement refusées à la fin. Les détails précis qu’on pourrait donner sur certains instans de détresse d’un si noble cœur seraient trop pénibles.

Au mois d’octobre 1822, cédant aux instances de quelques amis, Leopardi quitta pour la première fois Recanati et se rendit à Rome, où ses relations s’étendirent. Il fut chargé de dresser le catalogue des manuscrits grecs de la bibliothèque Barberine. Il fit la connaissance de Niebuhr, qui l’apprécia dignement, et qui essaya même de lui faire donner un emploi par le cardinal Consalvi ; mais on n’y consentait qu’à la condition que Leopardi embrasserait la carrière ecclésiastique. Niebuhr essaya encore d’attirer son jeune ami comme professeur à l’université de Berlin. Dans sa seconde édition des vers retrouvés de Merobaudes ayant profité de ses observations, il lui a rendu un éclatant hommage[10]. En quittant Rome, il le recommanda vivement à M. Bunsen, avec qui le poète noua des relations toujours continuées. Pendant son séjour à Rome, Leopardi inséra dans les Effemeridi letterarie Romane, de savans articles sur le Philon arménien d’Aucher, sur la République de Cicéron publiée par Mai ; il donna une grande dissertation critique sur la Chronique d’Eusèbe publiée par le même infatigable Mai conjointement avec Zohrab. Ce sont, assure-t-on, les plus importans parmi ses travaux de ce genre ; le jugement de Niebuhr nous dispense d’y insister davantage. Ce séjour de Rome fut peu propre d’ailleurs à faire revenir Leopardi de certaines préventions et aversions déjà conçues. À côté des satisfactions fort douces qu’il y recueillit, il ressentit bien des ennuis, bien des gênes, sans parler de celles qui tenaient à sa situation personnelle. Il éprouva, comme Courier, la jalousie et les mauvais tours de certain bibliothécaire (Manu) qu’il a fustigé sous l’allégorie du Manzo (bœuf) dans des sonnets satiriques un peu trop conformes au sujet[11].

En 1824, parut à Bologne le premier recueil de ses Canzoni, contenant les trois premières déjà publiées et sept autres inédites. Le poète était retourné de Rome à Recanati, à l’abborrito e inabitabile Recanati, comme il l’appelle. Sa santé s’altérant de plus en plus, et les études philologiques lui devenant presque impossibles, la douleur et la solitude lui inspirèrent un redoublement de révolte et de plainte ; sa poésie en prit un plus haut essor, et son malheur, comme à tant d’autres, fit sa gloire. Il faudrait analyser chacune des canzones nouvelles de ce volume, car chacune a son caractère et ses beautés. Pour les noces de sa sœur Paolina, il compose un épithalame héroïque qui semble destiné à Cornélie : « Tu auras des fils ou malheureux ou lâches : préfère-les malheureux ! » — En adressant une sorte de chant pindarique à un jeune homme vainqueur au ballon (ces sortes de jeux et de victoires ont beaucoup de solennité en Italie), il passe vite de la félicitation triomphante à un retour douloureux : l’antique palestre était une école de gloire ; on courait de l’Alphée et des champs d’Élide à Marathon ; mais ici, qu’est-ce ? L’éphèbe, vainqueur des jeux, survit à la patrie ; il a sa couronne, et elle n’en a plus : « La saison est passée ; personne, aujourd’hui, ne s’honore d’une telle mère. Mais pour toi-même, ô jeune homme ! élève là-haut ta pensée. À quoi notre vie est-elle bonne, sinon à la mépriser ? » — Le chant au printemps, où il redemande à la nature renaissante l’âge d’or des fables antiques, développe une pensée que nous avons déjà entendu exprimer au poète au sujet de la découverte de Colomb ; il se reprend d’un regret passionné à ces douces illusions évanouies, irréparables :

« Hélas ! hélas ! puisque les chambres d’Olympe sont vides et que l’aveugle tonnerre, en errant aux flancs des noires nuées et des montagnes, lance à la fois l’épouvante au sein de l’innocent et du coupable, puisque le sol natal, devenu étranger à sa race, ne nourrit que des ames contristées, c’est à toi d’accueillir les plaintes amères et les indignes destinées des mortels, ô belle nature, à toi de rendre à mon esprit l’antique étincelle, si toutefois tu vis, et s’il existe telle chose dans le ciel, si telle chose sur la terre féconde ou au sein des mers, qui soit, oh ! non pas compatissante à nos peines, mais au moins spectatrice !

Pietosa no, ma spettatrice almeno ! »

Le dernier Chant de Sapho, tout vibrant d’une sauvage âpreté et tout chargé des plus sombres couleurs de l’Érèbe, peut sembler, sous ce masque antique, un cri presque direct de l’ame du poète, à l’une de ces heures où, lui aussi, il fut tenté de lancer sa coupe au ciel et de rejeter l’injure de la vie :

......Lucemque perosi
Projecere animas
.......

Mais c’est autour de la pièce intitulée Bruto minore (Brutus le jeune, celui de Philippes), qu’il faut surtout nous arrêter, parce qu’ici est la clé de toute la philosophie négative de Leopardi, le cachet personnel et original de son genre de sensibilité poétique.

La pièce, dans l’édition première (Bologne, 1824), est précédée d’une préface en prose : Comparaison des pensées de Brutus et de Théophraste à l’article de la mort ; on a eu le tort de supprimer ce morceau capital dans les éditions subséquentes. Brutus, on le sait, près de se percer de son épée, s’écria, selon Dion Cassius : « Ô misérable vertu, tu n’étais qu’un nom, et je te suivais comme si tu étais une réalité ; mais tu obéissais à la fortune. » Et le vieux Théophraste, comblé de jours et d’honneurs, à l’âge de plus de cent ans, interrogé par ses disciples au moment d’expirer, leur répondit par des paroles moins connues, non moins mémorables, et qui revenaient à dire qu’il n’avait suivi qu’une fumée, et qu’il se repentait de la gloire, autant que Brutus de son côté se repentait de la vertu. Or, vertu et gloire, chez les anciens, c’étaient deux noms divers pour désigner à peu près le même objet idéal, but des grandes ames. Aujourd’hui, remarque très bien Leopardi, ces reniemens et, pour ainsi dire, ces apostasies des erreurs magnanimes qui embellissent ou mieux qui composent notre vie, et lui donnent proprement ce qu’elle tient de la vie plutôt que de la mort, ces sortes de paroles sceptiques sont très ordinaires et n’ont plus de quoi surprendre : l’esprit humain, marchant avec les siècles, a découvert la nudité, et comme le squelette des choses ; le christianisme a changé le point de vue de la sagesse, et elle consiste à dénoncer à l’homme sa misère plutôt qu’à la recouvrir et à la dissimuler. Mais il n’en était pas ainsi chez les anciens, accoutumés, selon l’enseignement de la nature, à croire que les choses étaient des réalités et non des ombres, et que la vie humaine était destinée à mieux qu’à la souffrance. Leopardi discute donc, avec une curiosité aussi ingénieuse que pénétrante, le sens et la valeur de ces paroles, alors si étranges, de deux sages. Il agite très longuement celle de Théophraste, plus étrange encore, selon lui, en ce qu’elle semble moins motivée. Quant au cri de Brutus, il le considère volontiers comme le dernier soupir de l’antiquité tout entière, au moment où va expirer l’âge de l’imagination. Brutus meurt le dernier des anciens, et il crie au monde qu’il s’est trompé dans sa noble espérance. À partir de ce jour-là, l’humanité dépouilla sa robe virile et entra dans les années de deuil et de triste expérience. Les sages, éclairés sur la vérité toute nue, durent chercher un autre recours, non plus contre la fortune, mais contre la vie elle-même. Rejetés de la terre, qui n’était plus tenable, ils émigrèrent ailleurs ; ils essayèrent (c’est Leopardi qui parle) des perspectives chrétiennes et de l’autre vie, comme consolation dernière.

Tel est le point de vue de Leopardi, le pôle fixe auquel il rapporte désormais tous ses jugemens et ses sentimens. Il considère Brutus comme le dernier des anciens, mais c’est lui qui l’est. Il est triste comme un ancien venu trop tard. Il n’a pas voulu rendre son épée, et est près de s’en percer dix fois le jour. Mélancolie haute et généreuse, invincible attitude, fierté muette et indomptable, il y a dans ce désespoir aussi bien des traits d’originalité[12].

Notre âge a compté d’autres poètes et peintres du désespoir : Byron, Shelley, Oberman. Ces trois noms suffiraient pour parcourir une triple variété frappante d’incrédulité, de scepticisme et de spinosisme. Shelley abonde plutôt en ce dernier sens qu’il embellit, qu’il orne et revêt des plus riches couleurs ; on a volontiers chez lui l’hymne triomphal de la nature. Oberman, étranger à toute ivresse, promène sur le monde son lent regard gris et désolé. Byron, si capable de retour éclatant vers l’antique, est celui qui a le plus de rapports avec Leopardi ; et certes, l’un comme l’autre, ils durent méditer bien souvent ce sublime et désespéré monologue d’Ajax prêt à se tuer, en face de son épée. Mais Leopardi garde en lui, nous le répétons, ce trait distinctif qu’il était né pour être positivement un ancien, un homme de la Grèce héroïque ou de Rome libre, et cela sans déclamation aucune et par la force même de sa nature. Il croyait que là seulement l’homme avait eu une vue simple des choses, un déploiement heureux et naturel de ses facultés. Il regrettait cette vie publique de l’agora et cette existence expansive en face d’une nature généreuse. Il oubliait un peu que Socrate déjà avait dit qu’il était impossible de vaquer aux choses publiques en honnête homme et de s’en tirer sain et sauf, et que Simonide avait déjà déploré amèrement la misère de la race des hommes ; ou plutôt il ne l’oubliait pas, mais il croyait qu’à travers ces plaintes et ces écueils inévitables, il y avait lieu, en ces temps-là, de vivre d’une vraie vie, au lieu d’être, comme aujourd’hui, jeté dans le monde des ombres.

Comme il faut pourtant qu’on soit toujours (si peu qu’on en soit) du temps où l’on vit, Leopardi en était par le contraste même, par le point d’appui énergique qu’il y prenait pour s’élancer au dehors et le repousser du pied. Mais de plus lui-même, sans s’en douter, il avait gardé du christianisme en lui ; les anciens n’aimaient pas, à ce degré de passion qu’on lui verra, l’amour et la mort ; quelques-unes de ses pièces semblent être d’un Pétrarque incrédule et athée (pardon d’associer ces mots !), mais d’un Pétrarque encore.

Car qu’on ne croie pas que Leopardi était tout entier dans les énergiques et farouches accens dont nous avons déjà cité maint exemple, et dont la paraphrase qu’il donne des paroles de Brutus est chez lui l’expression la plus superbe[13] : on a là le côté, pour ainsi dire, historique de son talent ; c’est comme la ruine romaine dans le grand paysage ; mais souvent il s’y promène seul, rêveur, et animé d’une mélancolie personnelle, toujours profonde et à la fois aimable. Il publia à Bologne, en 1826, un petit volume pour compléter les Canzoni, et qui y fait par le ton un gracieux contraste. Les idylles, les élégies y tiennent la meilleure place. Nous oserons en reproduire quelques-unes en vers, prévenant le lecteur, une fois pour toutes, que nous savons toute l’infériorité de l’imitation, que nous avons par instans paraphrasé plutôt que traduit, et que bien souvent, par exemple, nous avons mis cinq mots là où il n’y en a que trois. Chez Leopardi, je le rappelle, pas un mot inutile n’est accordé ni à la nécessité du rhythme ni à l’entraînement de l’harmonie : la simplicité grecque primitive diffère peu de celle qu’il a gardée et qu’il observe religieusement dans sa forme. Malgré tout, nous croyons avoir mieux réussi de cette façon à donner quelque idée de la muse tendrement sévère[14].

L’INFINI.

J’aimai toujours ce point de colline déserte,
Avec sa haie au bord, qui clôt la vue ouverte,
Et m’empêche d’atteindre à l’extrême horizon.
Je m’assieds : ma pensée a franchi le buisson ;
L’espace d’au-delà m’en devient plus immense,
Et le calme profond, et l’infini silence,
Me sont comme un abîme ; et mon cœur bien souvent
En frissonne tout bas. Puis, comme aussi le vent
Fait bruit dans le feuillage, à mon gré je ramène
Ce lointain de silence à cette voix prochaine :
Le grand âge éternel m’apparaît, avec lui
Tant de mortes saisons, et celle d’aujourd’hui,
Vague écho. Ma pensée ainsi plonge à la nage,
Et sur ces mers sans fin j’aime jusqu’au naufrage.

LE SOIR DU JOUR DE FÊTE.

Douce et claire est la nuit, sans souffle et sans murmure ;
À la cime des toits, aux masses de verdure,
La lune glisse en paix et se pose au gazon,
Et les coteaux blanchis éclairent l’horizon.

Déjà meurent les bruits des passans sur les routes ;
Les lampes aux balcons s’éteignent presque toutes,
Ma Dame, et vous dormez ; car le sommeil est prompt
À qui n’a point d’ennui qui lui charge le front,
Et votre cœur ignore, en sa calme retraite,
Ma blessure profonde et que vous avez faite.
Vous dormez ; et je viens, sous l’aiguillon cruel,
À ma fenêtre ouverte, en face du beau ciel,
Saluer cette antique et puissante nature,
Mais qui, pour moi chétif, ne fut jamais que dure :
« Loin de toi l’espérance, enfant, m’a-t-elle dit ;
Oui, même ce rayon, l’espoir t’est interdit.
Qu’en aucun temps tes yeux ne brillent que de larmes ! »

— Ce jour-ci, qui finit, fut pour vous plein de charmes,
Ma Dame, un heureux jour, de divertissement,
De triomphe ; et peut-être encore, en ce moment,
Quelque songe léger vous rend à la pensée
Ceux à qui vous plaisiez dans la foule empressée,
Ceux aussi qui plaisaient… Oh ! non pas moi, jamais !
Un souvenir, c’est plus que je ne m’en promets.

Cependant je me dis ce qui me reste à vivre,
Je cherche quand viendra le moment qui délivre,
Et je me jette à terre et j’étouffe mes cris.
Jours affreux à passer sous les printemps fleuris !

Non loin d’ici j’entends à travers la campagne
Quelque chant d’ouvrier atardé, qui regagne
Sa chétive demeure, oublieux et content ;
Et j’ai le cœur serré de penser que pourtant
Tout fuit, sans laisser trace ; et déjà la semaine
À la fête succède, et le flot nous emmène.
Qu’est devenu le bruit des peuples d’autrefois,
Des antiques Romains et des citoyens-rois ?
Tes faisceaux, où sont-ils, colosse militaire,
Dont le fracas couvrait et la mer et la terre ?
Tout est paix et silence, et le monde aujourd’hui
Ne s’informe plus d’eux qu’à ses momens d’ennui.

Dans ma première enfance, alors qu’un jour de fête
Nous rend impatiens de l’heure qui s’apprête,
Ou le soir, au sortir du grand jour écoulé,
Tout douloureux déjà, dans mon lit éveillé,

Si quelque chant au loin, gai refrain de jeunesse,
M’arrivait prolongeant sa note d’allégresse,
Et d’échos en échos dans les airs expirait,
Alors comme aujourd’hui tout mon cœur se serrait.

L’ANNIVERSAIRE.

Ô lune gracieuse, un an déjà s’achève
Qu’ici, je m’en souviens, dans ces lieux où je rêve,
Sur ces mêmes coteaux je venais, plein d’ennui,
Te contempler ; et toi, belle comme aujourd’hui,
Tu baignais de tes flots la forêt tout entière.
Mais ton visage, à moi, ne m’offrait sa lumière
Que tremblante, à travers le voile de mes pleurs ;
Car ma vie était triste et vouée aux douleurs.
Elle n’a pas changé, lune toujours chérie ;
Je souffre ; et de mes maux pourtant la rêverie
M’entretient et me plaît ; j’aime le compte amer
De mes jours douloureux. Oh ! combien nous est cher
Le souvenir présent, en sa douceur obscure,
Du passé, même triste, et du malheur qui dure !

LE PASSEREAU.
Sicut passer solitarius in tecto.

Du haut du toit désert de cette vieille tour
Tu chantes ta chanson, tant que dure le jour,
Passereau solitaire, et ta voix isolée
Erre avec harmonie à travers la vallée.
Dans les airs le printemps étincelle et sourit ;
C’est sa fête, et tout cœur, à le voir, s’attendrit.
Il fait bondir la chèvre et mugir la génisse ;
Et les oiseaux des bois, sous son rayon propice,
Célèbrent à l’envi leur bonheur le plus vif
Par mille tours joyeux : mais toi, seul et pensif,
Tu vois tout à l’écart, sans te joindre à la bande,
Sans ta part d’allégresse en leur commune offrande ;
Tu chantes seulement : ainsi fuit le meilleur,
Le plus beau de l’année et de ta vie en fleur.

Combien, hélas ! combien ta façon me ressemble !
Et rire et jeunes ans qui vont si bien ensemble,

Et toi, frère enflammé de la jeunesse, amour,
Délicieux orage au matin d’un beau jour !
D’eux tous mon triste cœur n’a rien qui se soucie,
Ou je les fuis plutôt et d’eux je me défie.
Seul et presque étranger aux lieux où je suis né,
Je passe le printemps qui m’était destiné.
Ce jour dont le déclin fait place à la soirée
Est la fête du bourg, à grand bruit célébrée.
Un son de cloche au loin emplit l’azur profond ;
De villas en villas l’arquebuse répond.
La jeunesse du lieu, dans ses atours de fête,
Sort des maisons, s’épand sur les chemins, s’arrête
Regardant, se montrant, doux et flatteur orgueil !
Moi, pendant ce temps-là, je m’en vais comme en deuil
Par ce côté désert, évitant qu’on me voie,
Ajournant à plus tard tout plaisir, toute joie ;
Et derrière les monts, dans les airs transparens,
Le soleil m’éblouit de ses rayons mourans ;
Et d’un dernier regard il semble aussi me dire
Que l’heureuse jeunesse avec lui se retire.

Pour toi, sauvage oiseau, lorsque le soir viendra
Des jours qu’à vivre encor le ciel t’accordera[15],
Tu ne te plaindrais point, docile à la nature,
Passereau solitaire, et ton secret murmure
N’ira pas regretter la saison du plaisir ;
Car c’est le seul instinct qui fait votre désir.
Mais, moi, si je n’obtiens de l’étoile ennemie
D’éviter la vieillesse et sa triste infamie,
Quand ces yeux n’auront plus que dire au cœur d’autrui,
Quand suit tout lendemain plus terne qu’aujourd’hui,
Quand le monde est désert, oh ! comment jugerai-je
Alors l’oubli présent, ma perte sacrilége ?
J’en aurai repentir, et d’un cri désolé
Je redemanderai ce qui s’en est allé.

Nous aurions pu choisir d’autres pièces encore dans ce même caractère plaintif et passionné : ce sont les sujets familiers et chers à tout poète, premier amour, fuite du temps, perte de la jeunesse, réveil du cœur (il Risorgimento), mais relevés ici par une manière particulière de sentir, variations originales sur le thème lyrique éternel. On voit déjà, par le peu que nous avons cité, que Leopardi a aimé ; il a l’air de n’avoir eu que deux amours (ce qui me paraît, en effet, très suffisant), celui qu’il appelle il primo amore, d’où l’on peut conclure que ce ne fut pas le seul, et celui de la personne qui chantait si bien et qui mourut, celle du Songe, de la Vie solitaire, de Silvia, des Souvenirs (le Ricordanze). Le chant de la personne aimée joue un grand rôle dans ces diverses pièces. L’éclair de désir passionné qui se reflète si vivement dans la pièce à Aspasie ne mérite pas le nom d’amour. Il résulterait de ces témoignages poétiques que Leopardi n’a connu de ce sentiment orageux que la première, la plus pure, la plus douloureuse moitié, mais aussi la plus divine, et qu’il n’a jamais été mis à l’épreuve d’un entier bonheur. Mais ce ne sont là que des conjectures sur le coin le plus mystérieux de ce noble cœur.

Leopardi partagea entre Milan et Bologne les années 1825-1826. Obligé, par la sévérité de son père, de demander secours à sa plume, il publia une édition des vers de Pétrarque avec commentaires (Milan, 1826) ; puis une Chrestomathie italienne, ou choix des meilleurs auteurs, vers et prose (2 vol., Milan 1827-1828). Les lecteurs de Pétrarque ne sauraient désirer un meilleur guide dans les mille sentiers du charmant labyrinthe ; il s’y moque finement, à la rencontre, du commun des lettrés italiens qui ne remontaient si haut ni si avant. J’ai omis de dire que l’édition de ses poésies de Bologne (1824) était accompagnée d’un commentaire grammatical de sa façon, dans lequel il se défendait contre les mêmes lettrés prétendus puristes. Ce commentaire affecte un ton de plaisanterie assez opposé d’ailleurs à son caractère, et n’a été écrit qu’en vue de la circonstance, pour faire niche à quelques pédans, à qui il se plaît à en remontrer en fait de classique.

De 1826 à 1831, Leopardi passa la plus grande partie de son temps à Florence, sauf un voyage qu’il fit à Recanati. Participant à la rédaction de l’Anthologie, entouré d’une société d’élite et d’amis déjà éprouvés (Capponi, Pucci, etc.), il y aurait trouvé quelque bonheur sans doute, si ses infirmités n’avaient augmenté de jour en jour. Il recueillit et publia, en 1827, ses Essais de morale (Operette morali, Milan), dont la plupart avaient précédemment paru dans divers journaux ; c’est le livre de prose auquel Manzoni décerne un si bel éloge. Leopardi, tout en y étant fidèle à lui-même, nous y apparaît sous un nouveau jour : le grand moraliste, que recèle tout grand poète, se déclare ici et se développe en liberté sous vingt formes ingénieuses et piquantes. On peut trouver que, pour le cadre, l’auteur s’est souvenu des Dialogues du Tasse, et il le met effectivement en scène dans l’un des siens. Quant au fond, il ne relève que de lui-même et se classe, par la profonde et amère ironie, à côté de Lucien, de Swift et de Voltaire. Nous nous sommes souvenu, en plus d’un endroit, des Contes philosophiques et de Candide ; mais Leopardi ne s’en souvenait pas ; il est plus sérieux que Voltaire, alors même qu’il plaisante, et puis il va jusqu’au bout. On peut dire que le déisme de Voltaire est une inconséquence et souvent une dérision de plus. Leopardi a le malheur d’habiter en un scepticisme sans limites, et sa sincérité, lorsqu’il écrit, n’en suppose aucunes. Il a rang parmi le petit nombre de ceux qui ont le plus pénétré et retourné en tout sens l’illusion humaine. Un des dialogues les plus originaux et les plus frappans est celui de Ruysch et de ses momies. Ce grand anatomiste se trouve une nuit éveillé par le bruit des morts de son cabinet qui se sont remis à vivre, qui dansent en ronde et chantent en chœur une hymne à leur grande patronne la mort : c’est par cette hymne en vers que le dialogue commence. Ruysch éveillé regarde à travers les fentes de la porte, et a un moment de sueur froide malgré toute sa philosophie ; il entre pourtant : « Mes enfans, à quel jeu jouez-vous ? ne vous souvenez-vous plus que vous êtes des morts ? que signifie tout ce tintamarre ? Serait-ce par hasard la visite du czar[16] qui vous aurait monté la tête, et croyez-vous n’être plus soumis aux mêmes lois qu’auparavant ?… » Et l’un des morts lui apprend que ce réveillon ne tire pas à conséquence, que c’est la première célébration de la grande année mathématique qui s’accomplit en ce moment, et que les morts n’en ont plus de ce rare sabbat périodique que pour un quart d’heure. — Ruysch en profite pour les interroger sur tant de choses qu’ils doivent savoir mieux que les vivans ; et le quart d’heure est bientôt passé, même un peu trop vite pour le philosophe et avant qu’il ait obtenu toutes les réponses satisfaisantes[17]. — Dans le dialogue intitulé Parini ou de la Gloire, Leopardi met dans la bouche du sage poète Parini, sous forme de conseils à un jeune homme, ses propres réflexions, qui sont comme le développement des paroles de l’antique Théophraste. Mais, après avoir touché une à une toutes les vanités, tous les caprices de la gloire, l’avoir poussée et harcelée en ses derniers retranchemens, Parini n’en conclut pas moins qu’il faut suivre sa vocation d’écrivain quand elle est telle, et obéir coûte que coûte à son destin, avec une ame forte et grande[18]. Ce petit traité fait songer à celui de Cicéron sur la gloire, qu’on a perdu ; il en est la réfutation subsistante. — Sous le titre des Dits mémorables de Philippe Ottonieri, Leopardi nous donne son propre portrait en Socrate, ses propres maximes pratiques ; c’est là encore qu’on sent à chaque mot un ancien né trop tard et dépaysé. Le tout se résume dans cette épitaphe composée par Ottonieri pour lui-même :

LES OS
DE PHILIPPE OTTONIERI,
NÉ POUR LES ŒUVRES DE VERTU
ET POUR LA GLOIRE :
IL A VÉCU OISIF ET INUTILE ;
IL EST MORT SANS RENOM,
NON PAS SANS AVOIR CONNU
SA NATURE ET SA
FORTUNE.

Le caractère de l’ironie socratique n’a jamais été mieux analysé et défini qu’au début de ce dialogue, digne d’être lu après Platon.

Comme je n’ai pas la prétention d’enregistrer au complet tous les écrits de Leopardi, je note seulement, au nombre de ses derniers travaux qui tiennent encore à la philologie, sa traduction de la chronique grecque précédemment indiquée (Martyre des saints Pères du mont Sinaï), en style trécentiste, qu’il publia en 1826 ; et peu après, en 1827, la traduction qu’il donna d’un discours de Gémiste Pleton, grand orateur et, qui plus est, penseur du Bas-Empire, venu trop tard ou trop tôt, et avec lequel il pouvait se sentir de certaines affinités. Vers 1830, la santé de Leopardi, âgé seulement de trente-deux ans, était tellement perdue qu’elle ne lui permettait que de rares instans d’application. Une édition de ses poésies, qui parut alors à Florence, était précédée de cette préface si touchante et si lamentable :

« Florence, 15 décembre 1830.
« Mes chers amis,

« C’est à vous que je dédie ce livre, où je cherchais, comme on le cherche souvent par la poésie, à consacrer ma douleur, et par lequel à présent (et je ne puis le dire sans larmes) je prends congé des lettres et de l’étude. J’avais espéré que ces chères études soutiendraient un jour ma vieillesse, et je croyais, après la perte de tous les autres plaisirs, de tous les autres biens de l’enfance et de la jeunesse, en avoir acquis un du moins qu’aucune force, qu’aucun malheur ne me pourrait enlever ; mais j’avais vingt ans à peine quand, par suite de cette maladie de nerfs et de viscères, qui me prive de l’usage de la vie et ne me donne même pas l’espérance de la mort, ce cher et unique bien de l’étude fut réduit pour moi à moins de moitié ; depuis lors, et deux ans avant l’âge de trente ans, il m’a été enlevé tout entier, et sans doute pour toujours. Car, vous le savez, je n’ai pu lire moi-même ces pages que je vous offre, et il m’a fallu pour les corriger me servir des yeux et de la main d’autrui. Je ne sais plus me plaindre, mes chers amis ; la conscience que j’ai de la grandeur de mon infortune ne comporte pas l’usage des paroles. J’ai tout perdu ; je suis un tronc qui sent et qui pâtit. Sinon que, pour consolation en ces derniers temps, j’ai acquis des amis tels que vous ; et votre compagnie qui me tient lieu de l’étude, et de tout plaisir et de toute espérance, serait presque une compensation à mes maux, si la maladie me permettait d’en jouir comme je le voudrais, et si je ne prévoyais que bientôt peut-être ma fortune va m’en priver encore, en me forçant à consumer les années qui me restent, sevré des douceurs de la société, en un lieu beaucoup mieux habité par les morts que par les vivans ; votre amitié me suivra toutefois, et peut-être la conserverai-je même après que mon corps, qui déjà ne vit plus, sera devenu poussière. Adieu.

« Votre Leopardi. »

Qui ne serait touché de la sensibilité profonde qui s’exhale en cette espèce de testament du poète ? Elle ne cessa d’animer jusqu’au dernier soupir les accens de Leopardi. Oserai-je exprimer ici une manière d’interprétation que me suggère ce mélange, ce contraste en lui d’incrédulité orgueilleuse et d’épanchement affectueux ? Il semble que, lorsqu’on se met en rapport par la croyance, par la confiance, par la prière (et encore mieux selon les rites sacrés, qui sont comme des canaux établis), avec la grande ame du monde, on trouve appui, accord, apaisement. Que si la créature humaine s’en détache au contraire et ne trouve pas de raison suffisante pour croire et pour espérer, comme, à la rigueur, elle en a peut-être le droit, car les preuves de raisonnement laissent à désirer, elle en est à l’instant punie par je ne sais quoi d’aride et de désolé. Mais, lorsqu’elle est noble et généreuse, elle trouve une amère consolation dans le sentiment même de sa lutte sans espoir et de sa stoïque résistance au sein des choses. Que si, de plus, elle est tendre, elle a pourtant besoin de chercher autour d’elle des équivalens. Leopardi, qui ne croyait plus à Dieu, se mit à croire d’autant plus tendrement et pieusement à l’amitié dans tous ses sacrifices et ses délicatesses. Ainsi l’ame humaine en détresse se donne le change.

À partir de 1830, nous avons un témoignage direct et continu de ses pensées et de ses souffrances dans une correspondance familière et tout intime. M. de Sinner vit en 1830 Leopardi à Florence ; l’érudition fit le premier lien, mais d’autres convenances plus précieuses s’y joignirent. Leopardi, gagné à une entière estime et amitié, confia, en octobre 1830, tous ses manuscrits philologiques à M. de Sinner, qui ne cessa depuis lors d’en faire le plus libéral usage, les extrayant, les communiquant aux savans d’Allemagne qu’il savait occupés des mêmes matières, et pourvoyant en toute occasion à la gloire de son ami[19]. Durant les six années qui suivirent (1831-1837), une correspondance aussi fréquente que le permettait l’état de santé de Leopardi se continua entre eux. Après un court séjour à Rome (1831-1832) et un retour passager à Florence, Leopardi était allé s’établir à Naples en 1834, déterminé par un ami dont le nom restera désormais inséparable du sien. Antonio Ranieri, écrivain distingué lui-même, auteur d’une Histoire du Royaume de Naples, avait connu pour la première fois Leopardi à Florence, le 29 juin 1827, jour anniversaire de la naissance du poète (l’amitié aussi, dans les cœurs passionnés, a ses dates mémorables) ; il fut saisi aussitôt de ce je ne sais quoi d’attrayant qu’exerçait cette nature douloureuse et puissante ; après quelques absences, Pylade rejoignit son Oreste, il s’attacha à lui dès novembre 1830, pour ne le plus quitter jusqu’à la mort : « Ranieri, écrivait Leopardi, que la foudre seule de Jupiter pourrait arracher d’auprès de moi ; col quale io vivo, e che solo il fulmine di Giove potrebbe dividere dal mio fianco. » Nous donnerons deux ou trois passages de cette correspondance avec M. de Sinner ; elle est d’ordinaire en italien, et je traduis.

« De Rome, 24 décembre 1831.

« Je retournerai certainement à Florence à la fin de l’hiver pour y rester autant que me le permettront mes faibles ressources déjà près de s’épuiser : lorsqu’elles viendront à manquer, le détestable et inhabitable Recanati m’attend, si je n’ai pas le courage (que j’espère bien avoir) de prendre le seul parti raisonnable et viril qui me reste[20]

« Vous attendez peut-être que je vous dise quelque chose de la philologie romaine. Mais ma santé ici a été jusqu’à présent si mauvaise que je ne puis vous donner aucune information satisfaisante à ce sujet, étant obligé de garder presque toujours la maison. Il est bien vrai que j’ai souvent l’honneur de recevoir des visites littéraires ; mais elles ne sont pas du tout philologiques, et en général on peut dire que, si l’on sait ici un peu plus de latin que dans la haute Italie, le grec est presque ignoré et la philologie presque entièrement abandonnée en faveur de l’archéologie. Comment celle-ci peut-elle se cultiver avec succès sans une profonde connaissance des langues savantes ? je vous le laisse à penser. Il ne se trouve pas cette année à Rome de philologues étrangers de réputation. Je vois assez souvent le bon ministre de Prusse, le chevalier Bunsen, qui était ami du pauvre Niebuhr ; il réunit toutes les semaines chez lui une société de savans, dont je n’ai pu encore profiter à cause de ma santé et de la distance où il demeure… »

Mais voici un passage curieux, dans lequel, à l’occasion d’un article sur lui qu’avait inséré un journal de Stutgard, l’Hesperus, Leopardi, au beau milieu d’une lettre écrite en italien, s’exprime tout d’un coup en français, comme pour rendre plus nettement sa pensée et pour adresser sa profession de foi à plus de monde. Je laisse subsister les deux premières lignes en italien comme elles sont :

(Florence, 24 mai 1832.)

« Ho ricevuto i fogli dell’ Hesperus, dei quali vi ringrazio carissimamente. Voi dite benissimo ch’egli è assurdo l’attribuire ai miei scritti una tendenza religiosa. Quels que soient mes malheurs, qu’on a jugé à propos d’étaler et que peut-être on a un peu exagérés dans ce journal, j’ai eu assez de courage pour ne pas chercher à en diminuer le poids ni par de frivoles espérances d’une prétendue félicité future et inconnue, ni par une lâche résignation. Mes sentimens envers la destinée ont été et sont toujours ceux que j’ai exprimés dans Bruto minore. Ç’a été par suite de ce même courage, qu’étant amené par mes recherches à une philosophie désespérante, je n’ai pas hésité à l’embrasser toute entière ; tandis que, de l’autre côté, ce n’a été que par effet de la lâcheté des hommes, qui ont besoin d’être persuadés du mérite de l’existence, que l’on a voulu considérer mes opinions philosophiques comme le résultat de mes souffrances particulières, et que l’on s’obstine à attribuer à mes circonstances matérielles ce qu’on ne doit qu’à mon entendement. Avant de mourir, je vais protester contre cette invention de la faiblesse et de la vulgarité, et prier mes lecteurs de s’attacher à détruire mes observations et mes raisonnemens plutôt que d’accuser mes maladies. »

J’ajoute, avant de donner le commentaire, cette autre phrase d’une lettre écrite de la campagne près de Naples (22 décembre 1836), et qui touche dans un sentiment plus doux et avec délicatesse cette idée de la vie d’au-delà ; cette fois je traduis :

« Adieu, mon excellent ami, j’éprouve un continuel et bien vif désir de vous embrasser, mais comment et où le pourrai-je satisfaire ? Je crains fort que ce ne soit seulement κατ’ άσφοδελὸν λειμώνα (le long de la prairie d’Asphodèle)[21]. Ranieri vous honore et vous salue de toutes ses forces. Parlez-moi de vos études et aimez-moi toujours ; adieu de tout cœur. »

Ainsi, cette fois, à l’ami qu’il aurait voulu revoir et qu’il désespérait d’embrasser encore, Leopardi ne disait pas tout-à-fait non, et il lui donnait rendez-vous avec un sourire attendri et presque avec un peut-être d’espérance, parmi ces antiques ombres homériques de la prairie d’Asphodèle. — Quant au passage décisif et qui concerne sa profession de foi, il se rattache de près à la pièce lyrique qui peut sembler la plus belle du poète, et qu’on dirait avoir été composée à la suite de cette lettre irritée : je veux parler de son chant intitulé l’Amour et la Mort, dans lequel le ton le plus mâle s’unit à la grace la plus exquise. Il faut désespérer de faire comprendre un tel chef-d’œuvre autre part que dans l’original ; qu’on me pardonne de l’avoir osé traduire et légèrement paraphraser, et qu’on devine, s’il se peut, à travers le plâtre et la terre de la copie, la fermeté primitive et tout le brillant du marbre.

L’AMOUR ET LA MORT.
Celui qu’aiment les Dieux meurt jeune.
Ménandre.

Frère et sœur à la fois, naquirent fils du Sort,
Éclos le même jour, et l’Amour et la Mort.
Le monde ni le ciel n’ont vu choses si belles :
De l’un naît tout le bien aux natures mortelles,

Et le plus grand plaisir, ici-bas départi,
Sur ce vaste océan d’où chaque être est sorti.
L’autre à son tour fait taire, apaise en souveraine
Tout mal, toute douleur, si vive qu’elle prenne.
C’est une enfant très belle, et non point telle à voir
Que de lâches effrois la veulent concevoir :
L’enfant Amour souvent l’accompagne et l’emmène ;
Ils volent de concert sur cette route humaine,
Portant à tout cœur sage allégeance et confort.
Et cœur ne fut jamais plus sage ni plus fort
Qu’atteint d’amour : jamais mieux qu’alors il ne prise
La vie à son vrai taux, et souvent il la brise ;
Car, partout où l’Amour se fait maître et seigneur,
Le courage s’implante ou renaît plein d’honneur,
Et la sagesse alors, non celle qu’on renomme,
Mais celle d’action, devient aisée à l’homme.

Lorsque nouvellement au sein d’un cœur profond
Naît un germe d’amour, du même instant, au fond,
Chargé d’une fatigue insinuante et tendre
Un désir de mourir tout bas se fait entendre.
Comment ? je ne sais trop ; mais telle est, en effet,
D’amour puissant et vrai la marque et le bienfait.
Peut-être que d’abord le regard s’épouvante
Du désert d’alentour où l’amie est absente ;
Peut-être que l’amant n’a plus devant les yeux
Qu’un monde inhabitable et qu’un jour odieux,
S’il n’atteint l’objet seul, l’idéal de son rêve :
Mais, déjà pressentant l’orage qui s’élève,
L’orage de son cœur, il tend les bras au port,
Avant que le désir ne rugisse plus fort.

Puis, quand le rude maître a pris en plein sa proie,
Quand l’invincible éclair se déchaîne et foudroie,
Combien, ô Mort, combien, au pire du tourment,
Monte vers toi le cri du malheureux amant !
Combien de fois, le soir ou plus tard à l’aurore,
Laissant tomber son front que la veille dévore,
Il s’est dit bienheureux, si du brillant chevet
Jamais dès-lors, jamais il ne se relevait,
Et ne rouvrait les yeux à l’amère lumière !
Et souvent, aux accens de la cloche dernière,
Aux funèbres échos de l’hymne qui conduit

Les morts sans souvenir à l’éternelle nuit,
Avec d’ardens soupirs et d’un élan sincère
Il envia celui que le sépulcre enserre.

Même l’homme du peuple, et le moindre garçon
À qui certes jamais Zénon ne fit leçon,
Même la jeune fille, humble enfant qui s’ignore,
Qui se sentait dresser les cheveux hier encore
Au seul mot de mourir, tout d’un coup enhardis,
Ils vont oser régler ces apprêts si maudits,
Méditer longuement, d’un œil plein de constance,
Le poison ou le fer, leur unique assistance ;
Et dans un cœur inculte, et du reste ignorant,
La grace de la mort à la fin se comprend
Tant cette grace est vraie, et tant la discipline
De l’amour, vers la mort, doucement nous incline !
Souvent, lorsqu’à l’excès le soupir enflammé
Ne laisse plus de souffle au mortel consumé,
Ou bien le frêle corps, mourant de ce qu’il aime,
Sous l’effort du dedans se dissout de lui-même ;
Et la Mort, par son frère, en ce cas-là prévaut ;
Ou bien l’Amour au fond redouble tant l’assaut,
Que, n’y pouvant tenir et fatigués d’attendre,
Le simple villageois, la jeune fille tendre,
D’une énergique main, jettent leurs nœuds brisés,
Et couchent au tombeau leurs membres reposés.
Le monde en rit, n’y voit que démence ou faiblesse,
Le monde à qui le ciel fasse paix et vieillesse !

Mais aux bons, aux fervens, aux mortels généreux,
Puisse en partage échoir l’un ou l’autre des deux,
Amour ou Mort, seigneurs du terrestre domaine,
Ô les plus vrais amis de la famille humaine,
Que nul pouvoir n’égale ou prochain ou lointain,
Et qui dans l’univers ne cédez qu’au Destin !
Et toi qu’enfant déjà j’honorais si présente,
Belle Mort, ici-bas seule compatissante
À nos tristes ennuis, si jamais je tentai
Aux vulgaires affronts d’arracher ta beauté
Et de venger l’éclat de ta pâleur divine,
Ne tarde plus, descends, et que ton front s’incline
En faveur de ces vœux trop inaccoutumés !
Je souffre et je suis las, endors mes yeux calmés,

Souveraine du temps. À quelque heure fidèle
Qu’il te plaise venir m’enfermer dans ton aile,
Sois certaine de moi : toujours fier et debout,
Résistant au Destin et luttant malgré tout,
Refusant de bénir le dur fouet dont je saigne
Et de flatter la main qui dans mon sang se baigne,
Comme fit de tout temps le vil troupeau mortel,
Sois-en certaine, ô Mort, tu me trouveras tel ;
Et rejetant encor toute espérance folle,
Tout leurre où, vieil enfant, le monde se console ;
Comptant sur toi, toi seule, et pour mon ciel d’azur
N’attendant que le jour impérissable et sûr
Où je reposerai ma fatigue endormie
Sur ton sein virginal, ô la plus chaste amie !

Il me semble qu’après de tels témoignages Leopardi n’a plus qu’à mourir. Il traînait à Naples ses dernières années, séquestré du monde et de toute communication active avec le dehors, gêné par la censure locale dans les éditions définitives qu’il voulait publier de ses écrits, mais entouré des tendres soins de son fidèle Ranieri, et consolé aussi par quelques visites passagères, telles que celles du noble poète allemand Platen, qui s’en allait mourir en Sicile vers ce même temps. Je ne fais qu’indiquer un dernier poème en octaves : Paralipomeni della Batracomiomachia di Omero (la suite de la Batrachomyomachie d’Homère), espèce de composition satyrico-politique à laquelle s’amusait le malade à ses heures de relâche, et qu’il a menée à fin. Cette veine-là nous plaît moins chez Leopardi ; elle nous est d’ailleurs peu accessible par la difficulté d’entendre ces sortes d’allusions. Nous nous tenons en ce genre à sa pièce adressée à Capponi sous le titre de Palinodie, dans laquelle il se moque très agréablement de notre progrès proclamé par les journaux et de notre âge d’or industriel. Cependant le choléra avait fait invasion à Naples ; Ranieri devait emmener son ami à la campagne, à Portici : au moment du départ, le 14 juin 1837, à cinq heures de l’après-midi, le malade expira subitement, non point du choléra, mais d’une hydropisie de poitrine arrivée à son dernier période. Il n’était âgé que de trente-neuf ans moins quinze jours. Quelques heures avant sa mort, sur la demande d’un ami, il avait écrit quelques vers dans le goût de Simonide ou de Mimnerme, et dont voici le sens : « Mais la vie mortelle, depuis que la belle jeunesse a disparu, ne se colore plus jamais d’une autre lumière ni d’une autre aurore ; elle est veuve jusqu’à la fin, et, à cette nuit qui obscurcit tous les autres âges, les Dieux n’ont mis pour terme que le tombeau. » — Par les soins de son admirable ami, au milieu de toutes les difficultés d’une ville comme Naples livrée au choléra, il fut transporté dans la petite église de San Vitale, hors de la grotte du Pausilype, et là, dans ces beaux lieux où cesse la douleur, il repose non loin de Sannazar et de Virgile. Depuis ce temps, Ranieri prépare l’édition complète des œuvres, qui a subi tous les retards ordinaires en ces contrées de lenteur et d’entraves ; mais nous espérons que l’entreprise pieuse aura son issue[22].

Que si, nous-même, il nous a été possible en ce moment de payer un tribut, bien tardif, à la mémoire d’un si grand esprit, d’un si vrai poète, nous le devons à cet autre ami de Leopardi, déjà cité plus d’une fois, et qui nous en a donné l’idée en même temps que le secours ; si nous avons eu l’honneur de verser un tombeau, comme disaient les Grecs, sur cette noble victime du sort, il ne serait que juste d’inscrire sur la petite colonne du monument le nom de M. de Sinner autant que le nôtre.


Sainte-Beuve.
  1. 15 novembre 1842. C’est dans la pièce intitulée : Après une lecture. On peut se demander après quelle lecture ont été écrits ces vers. Serait-ce après une lecture de Leopardi ? Le début de la pièce ne l’indiquerait guère, quoique la fin semble le faire soupçonner.
  2. Sous ce titre : Excerpta ex schedis criticis Jacobi Leopardii comitis, dans le Rheinisches Museum ; Bonn, 1834.
  3. Dans l’ouvrage intitulé : Traditions tératologiques (page 102). — Dans la seconde édition de sa Batrachomyomachie (1837), M. Berger de Xivrey a aussi inséré et traduit une dissertation de Leopardi sur ce poème, laquelle avait paru dans lo Spettatore de Milan en 1816.
  4. Ce texte est trop imprévu dans la biographie qui nous occupe pour devoir être passé sous silence ; on en comprendra tout l’intérêt et le contraste en avançant dans le récit de cette destinée, si absolument dénuée de croyance consolante. Leopardi a fait route au rebours des Manzoni et des Pellico. Respectons, sans les juger, toute conviction sincère et courageuse, tout martyre noblement subi. Mais voici les pensées de ses jeunes ans :

    « Al progetto degl’inni cristiani.

    « Per l’inno al Redentore : Tu sapevi già tutto ab eterno, ma permetti alla immaginazione umana che noi ti consideriamo come più intimo testimonio delle nostre miserie. Tu hai provata questa vita nostra, tu ne hai assaporato il nulla, tu hai sentito il dolore e l’infelicità dell’esser nostro, etc. Pietà di tanti affanni, pietà di questa povera creatura tua, pietà dell’uomo infelicissimo, di quello che hai redento, pietà del gener tuo, poichè hai voluto aver comune la stirpe con noi, esser uomo ancor tu… (Et après quelques autres projets d’hymnes aux apôtres, aux solitaires, il revient d’une manière touchante.) Per l’inno al Creatore o al Redentore : Ora vo da speme a speme tutto giorno errando e mi scordo di te, benchè sempre deluso, etc. Tempo verrà ch’io, non restandomi altra luce di speranza, altro stato a cui ricorrere, porrò tutta la mia speranza nella morte : e allora ricorrerò a te, etc. Abbi allora misericordia, etc. » Et il finit en quelques lignes par un projet d’hymne à Marie.

  5. Lo Spettatore, revue bi-mensuelle.
  6. M. Theil l’avait remarqué dans un article du journal la Paix (4 mars 1837), où il parlait de Leopardi à merveille, mais devant un public distrait et dans un lieu trop peu littéraire.
  7. «… Et non mi fa punto meraviglia che la Germania, solo paese dotto oggidi, sia più giusta verso di voi, che la presuntuosissima, e superficialissima, e ciarlatanissima Francia. » On me dispensera de traduire : Leopardi écrivait cela de Florence à M. de Sinner, le 18 décembre 1832 ; et, moins de deux ans après (20 mars 1834), il lui écrivait de Naples : « Io per molte e fortissime ragioni sono desiderosissimo di venire a terminare i miei giorni a Parigi. » C’est ainsi que se résument le plus souvent et que se réfutent le mieux la plupart de ces grandes colères contre la France.
  8. Ce recueil littéraire, le meilleur de l’Italie, fut supprimé par un décret du grand-duc au commencement de 1833, après douze années environ d’existence.
  9. Voir le livre intitulé : Teorica del Sovrannaturale (1838), page 390. Il y rappelle, à propos de Leopardi, ce beau mot de saint Augustin, au début de ses Confessions : « Fecisti nos, Domine, ad te, et inquietum est cor nostrum donec requiescat in te ; tu nous as faits pour toi, ô Seigneur, et notre cœur est en proie sans relâche, jusqu’à ce qu’il trouve son repos en toi. »
  10. « Parmi les érudits, dit-il à la fin de sa préface, dont les conjectures heureuses m’ont profité, est le comte Jacques Leopardi, que j’annonce à mes concitoyens comme l’un des ornemens actuels de l’Italie, comme l’une de ses futures et de ses plus certaines espérances. » Mais il faut laisser à ce témoignage mémorable l’autorité de son texte tout-à-fait classique : « Comes Jacobus Leopardius, Recanatensis Picens, quem Italiæ suæ jam nunc conspicuum ornamentum esse, popularibus meis nuntio ; in diesque eum ad majorem claritatem perventurum esse, spondeo : ego vero, qui candidissimum præclari adolescentis ingenium, non secus quam egregiam doctrinam, valde diligam, omni ejus honore et incremento lætabor. » (Merobaudis carminum Reliquiœ ; Bonn, 1824.)
  11. Leopardi parle avec dégoût, dans l’une de ses lettres, de la infame gelosia de bibliotecarii, insuperabile a chi non sia interessato a combatterla personalmente. Quand il énumère les congés de la Vaticane et des autres bibliothèques, qui sont en vacances la moitié de l’année, et qui, le reste du temps, profitent de toutes les fêtes et de tous les saints du calendrier, sans compter deux ou trois jours de clôture régulière par semaine, il me rappelle le conte malin de Boccace imité par La Fontaine. Il semble tout-à-fait que le gouvernement de ce pays applique à la science le calendrier des vieillards, de peur qu’elle ne devienne féconde :

    On sait qui fut Richard de Quinzica,
    Qui mainte fête à sa femme allégua,
    Mainte vigile et maint jour fériable…

  12. Dans un article sur les Études d’Histoire romaine de M. Mérimée, M. de Rémusat, vengeant les anciens Romains de quelques accusations trop promptes, a dit : « Auprès des vices de Rome, au déclin même des anciennes mœurs, que d’exemples de dignité, d’empire sur soi, de mépris de la souffrance et du danger ! Auprès des violences sanglantes de quelques réactions passagères, quel respect habituel pour la vie des citoyens au milieu des luttes de la politique ! Il n’était point d’inimitié de parti, point d’accusation capitale, que le plus menacé des hommes ne pût conjurer à temps en s’exilant lui-même, et tel était leur amour pour ce qu’ils appelaient leur dignité, qu’ils ressentaient un voluptueux exil comme un cruel déshonneur, et que, dans une guerre civile, le vaincu qui pouvait aisément sauver sa tête, aimait mieux, sans effort et sans bruit, se faire égorger noblement par un esclave. Il y a, dans la manière de penser et de sentir des anciens, de telles différences dès qu’on les compare à nous, qu’il faut, si l’on ne veut leur faire injustice, les connaître tout entiers. À les juger dans l’ensemble, les Romains n’ont point usurpé cette admiration traditionnelle qui s’attache à leur nom. Nos idées et nos lumières ont pu améliorer l’ordre social, mais je ne sais si les hommes des temps modernes sont meilleurs pour être plus faibles, et les progrès ne sont pas des vertus. » Cette page est un beau commentaire de la manière de sentir de Leopardi.
  13. En voici la fin : « Ô caprices du sort ! ô espèce fragile ! nous sommes la moindre partie des choses ; les glèbes teintes de notre sang, les cavernes où hurle l’hôte qui nous déchire, ne sont point troublées de notre désastre, et l’angoisse humaine ne fait point pâlir les étoiles.

    « Je ne fais pas appel, en mourant, aux rois sourds de l’Olympe ou du Cocyte, ni à l’indigne terre, ni à la nuit ; je ne t’invoque point non plus, dernier rayon dans l’ombre de la mort, ô conscience de l’âge futur ! La morne fierté du tombeau se laissa-t-elle jamais apaiser par les pleurs, ou orner par les hommages et les offrandes d’une foule vile ? Les temps se précipitent et empirent : c’est à tort que l’on confierait à des neveux gâtés (a putridi nepoti) l’honneur des ames fortes et la vengeance suprême des vaincus. Qu’autour de moi le sombre vautour agite en rond ses ailes ; que la bête féroce serre sa proie, ou que l’orage entraîne ma dépouille inconnue, et que le vent accueille mon nom et ma mémoire ! »

  14. L’Allemagne, toujours si au courant, possède, depuis plusieurs années, des traductions en vers du poète. M. Bothe (le savant éditeur d’Homère) en a traduit quelques morceaux, et M. Karl Ludwig Kannegiesser, traducteur du Dante, a également traduit tout le recueil de Leopardi. Puisque j’en suis à ces indications d’outre-Rhin, je noterai aussi un excellent article biographique sur Leopardi, par M. Schulz, dans l'Italia (espèce d’almanach allemand rédigé à Rome par des Allemands qui vivent en Italie, année 1840), et des articles de la Gazette d’Augsbourg (septembre 1840.)
  15. Il met le stelle, les étoiles, et non le ciel, dans le sens vulgaire où on l’emploie comme synonyme de Dieu.
  16. Pierre-le-Grand, dans son séjour en Hollande, avait visité le cabinet de Ruysch.
  17. Ce dialogue, ainsi que celui de la Nature et d’un Islandais et aussi la Gageure de Prométhée, ont été traduits en français par M. de Sinner et insérés dans le Siècle, recueil périodique dirigé par M. Artaud (1833, tomes I et II) ; ils furent alors trop peu remarqués.
  18. Parlant ailleurs de la gloire, à la fin de son Épître au comte Pepoli, Leopardi l’appelle « non pourtant une vaine déesse, mais une déesse plus aveugle que la fortune, que le destin et que l’amour. »
  19. Un jour qu’après tous ces usages à peu près épuisés, M. de Sinner avait exprimé la pensée de renvoyer le dépôt confié, Leopardi lui répondait : « Les fleuves retourneront à leurs sources avant que je retrouve la vigueur nécessaire pour les études philologiques, et, quand ce miracle arriverait, mes paperasses, en revenant de vos mains aux miennes, ne feraient que perdre… Prima i fiumi torneranno alla fonti, etc. »
  20. On devine trop quel est ce parti.
  21. Odyssée, livre XI.
  22. Indépendamment de deux ou trois Dialogues inédits où figurent Straton de Lampsaque, Copernic, etc., on a lieu de désirer vivement un volume inédit de Pensées sur les caractères des hommes et sur leur conduite dans la société.