Poèmes saturniens (1902)/Épilogue

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Poèmes saturniensVanierOC, I (p. 75-79).

ÉPILOGUE

I

Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense.
Balancés par un vent automnal et berceur,
Les rosiers du jardin s’inclinent en cadence.
L’atmosphère ambiante a des baisers de sœur.

La Nature a quitté pour cette fois son trône
De splendeur, d’ironie et de sérénité :
Clémente, elle descend, par l’ampleur de l’air jaune,
Vers l’homme, son sujet pervers et révolté.

Du pan de son manteau que l’abîme constelle,
Elle daigne essuyer les moiteurs de nos fronts,
Et son âme éternelle et sa forme immortelle
Donnent calme et vigueur à nos cœurs mous et prompts.


Le frais balancement des ramures chenues,
L’horizon élargi plein de vagues chansons,
Tout, jusqu’au vol joyeux des oiseaux et des nues,
Tout, aujourd’hui, console et délivre. — Pensons.

II

Donc, c’en est fait. Ce livre est clos. Chères Idées
Qui rayiez mon ciel gris de vos ailes de feu
Dont le vent caressait mes tempes obsédées,
Vous pouvez revoler devers l’Infini bleu !

Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore,
Et vous, Rythmes chanteurs, et vous, délicieux,
Ressouvenirs, et vous, Rêves, et vous encore,
Images qu’évoquaient mes désirs anxieux,

Il faut nous séparer. Jusqu’aux jours plus propices
Où nous réunira l’Art, notre maître, adieu,
Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices !
Vous pouvez revoler devers l’Infini bleu.

Aussi bien, nous avons fourni notre carrière,
Et le jeune étalon de notre bon plaisir,
Tout affolé qu’il est de sa course première,
A besoin d’un peu d’ombre et de quelque loisir.


— Car toujours nous t’avons fixée, ô Poésie,
Notre astre unique et notre unique passion,
T’ayant seule pour guide et compagne choisie,
Mère, et nous méfiant de l’Inspiration.

III

Ah ! l’Inspiration superbe et souveraine,
L’Égérie aux regards lumineux et profonds,
Le Genium commode et l’Erato soudaine,
L’Ange des vieux tableaux avec des ors au fond,

La Muse, dont la voix est puissante sans doute,
Puisqu’elle fait d’un coup dans les premiers cerveaux,
Comme ces pissenlits dont s’émaille la route,
Pousser tout un jardin de poèmes nouveaux,

La Colombe, le Saint-Esprit, le saint Délire,
Les Troubles opportuns, les Transports complaisants,
Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre,
Ah ! l’Inspiration, on l’invoque à seize ans !

Ce qu’il nous faut à nous, les Suprêmes Poètes
Qui vénérons les Dieux et qui n’y croyons pas,
À nous dont nul rayon n’auréola les têtes,
Dont nulle Béatrix n’a dirigé les pas,


À nous qui ciselons les mots comme des coupes
Et qui faisons des vers émus très froidement,
À nous qu’on ne voit point les soirs aller par groupes
Harmonieux au bord des lacs et nous pâmant,

Ce qu’il nous faut à nous, c’est, aux lueurs des lampes,
La science conquise et le sommeil dompté,
C’est le front dans les mains du vieux Faust des estampes,
C’est l’Obstination et c’est la Volonté !

C’est la Volonté sainte, absolue, éternelle,
Cramponnée au projet comme un noble condor
Aux flancs fumants de peur d’un buffle, et d’un coup d’aile
Emportant son trophée à travers les cieux d’or !

Ce qu’il nous faut à nous, c’est l’étude sans trêve,
C’est l’effort inouï, le combat nonpareil,
C’est la nuit, l’âpre nuit du travail, d’où se lève
Lentement, lentement, l’Œuvre, ainsi qu’un soleil !

Libre à nos Inspirés, cœurs qu’une œillade enflamme,
D’abandonner leur être aux vents comme un bouleau ;
Pauvres gens ! l’Art n’est pas d’éparpiller son âme :
Est-elle en marbre, ou non, la Vénus de Milo ?

Nous donc, sculptons avec le ciseau des Pensées
Le bloc vierge du Beau, Paros immaculé,

Et faisons-en surgir sous nos mains empressées
Quelque pure statue au péplos étoilé,

Afin qu’un jour, frappant de rayons gris et roses
Le chef-d’œuvre serein, comme un nouveau Memnon,
L’Aube-Postérité, fille des Temps moroses,
Fasse dans l’air futur retentir notre nom !