Poèmes et Paysages/Les Soleils d’Avril

Poèmes et PaysagesAlphonse Lemerre, éditeurPoésies d’Auguste Lacaussade, tome 2 (p. 233-240).

LX

LES SOLEILS D’AVRIL


 
Les bois vont refleurir. Des gouttes de verdure
Déjà tremblent au bout des rameaux dépouillés,
Et les bourgeons bientôt, voilant l’écorce dure,
S’ouvriront au soleil, de sève encor mouillés.

D’un long sommeil la terre en souriant s’éveille ;
Tout en elle est tiédeurs, rougeurs, troubles charmants.
Les jours vont grandissant : de la saison vermeille
On voit partout flotter de frais pressentiments.

Les vents passent chargés de promesses secrètes ;
L’oiseau ne chante point encor ; sur les buissons
Point de fleurs ; mais déjà rossignols et poètes
Sentent monter en eux la sève des chansons.

Des gais soleils d’avril voici l’heure première.
Avril, c’est le printemps dans sa virginité.
L’air est d’un bleu profond, suave est la lumière ;
Un sang jeune sourit au front de la beauté.


Bientôt les bois naissants, les mousses, les fougères
Feront un dais mobile au cours chantant des eaux ;
Et les vents berceront sur leurs ailes légères
Dans les lilas en fleur l’hymne heureux des oiseaux.

Bientôt se cueilleront les prémices des choses :
L’alouette dans l’air dira les jeunes blés,
Et le bouvreuil muet, caché parmi les roses,
Couvera les œufs blonds sous sa plume assemblés.

Qu’un autre, après l’hiver, chante sa délivrance !
Qu’il dise, ô mois de Mai, ton retour souhaité !
Pour moi, je chante Avril ! Avril, c’est l’espérance,
Avant qu’on ait souffert, avant qu’on ait douté !

Mois aimé, tu marquas dans ma verte jeunesse ;
Du bonheur je te dois les rêves infinis.
Qu’importe que la vie ait trahi leur promesse !
Pour mes espoirs défunts, Avril, je te bénis !



Des plus chers souvenirs confidente fidèle,
Muse ! puisque déjà la première hirondelle
De son vol printanier sillonne au loin l’azur,
Veux-tu, par ce beau jour, et sous un ciel si pur,

Veux-tu dans ce grand parc, asile aimé des mousses,
Voir avec moi du sol monter les jeunes pousses,
Voir sur les sables fins et dans les noirs rameaux,
L’aile ouverte au soleil, courir les passereaux ?
Comme eux, au beau soleil, nos frileuses pensées
Ouvriront en chantant leurs ailes nuancées,
Et, pareils aux bourgeons éclos à la cime des bois,
Sentant renaître en nous les rêves d’autrefois,
Assis sous quelque chêne à la branche encor noire,
Muse ! nous nous dirons en vers ma douce histoire.



C’était, il t’en souvient, dans cet âge charmant
Où, pleine d’espérance et de vague tourment,
D’un inconnu désir notre âme est inquiète :
L’âge de Roméo cherchant sa Juliette,
L’âge où chacun de nous, dans ses vœux inconstants,
Suit un songe aux doux yeux, un rêve aux plis flottants ;
Où, semblable à l’amant tes roses éphémères,
Le cœur, l’une après l’autre épousant ses chimères,
Quand il a respiré leur parfum virginal,
Le réel effeuillé, revole à l’idéal.




O bonheur de l’aimer ! ô félicité pure !
Son port est jeune et fier, sa bouche est belle et mûre.
D’un cœur épanoui le frais enchantement
Répand sur son passage un doux rayonnement.
Son charme est dans sa grâce, et cette grâce antique
Rappelle, en la voyant, l’épouse du Cantique.
Lorsque du jeune époux accusant les lenteurs,
Le soir, le front baigné d’onctueuses senteurs,
Interrogeant des yeux les onduleuses lignes
Des coteaux, pâle et svelte elle allait par les vignes,
Par les bois odorants plantés de verts palmiers,
L’attendre à la fontaine où boivent les ramiers.



Absente comme lui, vois ! je t’attends comme elle.
Accours ! l’inquiétude à tant d’amour se mêle.
Oh ! combien l’heure est longue ! Elle ne viendra pas.
Silence ! Sous les bois j’ai reconnu son pas.
C’est elle ! Trouble heureux, émotion divine,

Vous ne me trompez point ! dans l’air je la devine.
De célestes parfums sur les brises venus
Flottaient et révélaient ton approche, ô Vénus !
Dans ses parfums aussi c’est ma jeune immortelle !
Le feuillage a frémi, l’air enivre, c’est elle !

Éclats joyeux, baisers de silence suivis !
Transports muets, regards prolongés et ravis !
Effusion des cœurs perdus dans leur tendresse !
Tristesse du bonheur, mélancolique ivresse !
Notre âme monte et rit à nos fronts radieux,
Et les pleurs cependant débordent de nos yeux !



Si je les fais couler, tes pleurs, c’est que je t’aime !
Je fus injuste et dur, je le sais, et moi-même
J’en gémis. — Oh ! l’amour, ce bonheur tourmenté,
S’il est fait de tendresse, est fait de cruauté !
Ivre d’amers soupçons, à sa folie en proie,
L’homme à se torturer trouve une sombre joie.
Hélas ! pourquoi faut-il qu’un hasard inhumain
M’ait en un jour fatal conduit sur ton chemin ?
Pourquoi m’as-tu connu ? Ta vie au flot docile
Eût loin de moi coulé douce et calme et facile.
Mais dans un lit d’azur et d’or, troublant leur cours,

Funeste à ton repos, j’ai tourmenté tes jours !…
Fuis-moi, fuis sans pitié, brise un rude esclavage,
Sois libre ! — T’arrachant à mon humeur sauvage,
Qu’un autre t’aime et donne a tes jours fortunés
Tous les bonheurs qu’hélas ! je ne t’ai point donnés…
Un autre ! — Je te mens et me mens à moi-même !
Ah ! de la passion égoïsme suprême !
Connais-moi tout entier ! lis à nu dans mon cœur !
Un autre ! — Meurs plutôt ! je t’aime avec fureur !



Sourdes explosions ! aveugles jalousies !
Heureux qui n’a jamais connu vos frénésies !
Heureux qui peut, nourri du pain de la beauté,
Vivre sans trouble, aimer avec tranquillité !
Mais l’inquiet esprit, en ses ardeurs mobile,
L’âme fiévreuse, l’âme à se ronger habile,
Celui qui dans sa veine, au lieu d’un flot vermeil,
Sent bouillonner un sang brûlé par le soleil,
Celui-là ne sait point être heureux ! cœur austère,
Il ne sait que souffrir, se dévorer, se taire !…
Mais souffrir, c’est aimer ! et, dussé-je en mourir,
De ce mal âpre et doux qui donc voudrait guérir !




A nos cœurs défaillants, à nos pâles faiblesses,
Redouble si tu veux les coups dont tu nous blesses,
Amour ! ô passion faite d’âme et de chair,
Ton culte à nos douleurs n’en sera pas moins cher !
Le sein encor saignant, je bénirai tes armes !
C’est toi qui m’enseignas la volupté des larmes !
Tu fais tout l’homme, ô toi par qui j’ai tout appris !
Oui ! dût de nos ferveurs la tombe être le prix,
Amour ! dieu jeune et fort, dieu dont le mal enivre,
Dieu qui nous révélas comme il est doux de vivre,
Dût ton souffle au tombeau précipiter nos pas,
Notre âme en s’éteignant ne te maudira pas !



Des secrets souvenirs confidente fidèle,
Muse ! tandis qu’au loin la première hirondelle
Trace les vifs sillons de son vol dans l’azur,
Par un jour printanier si clair, un ciel si pur,
J’ai voulu dans ce parc, asile aimé des mousses,
Voir avec toi du sol monter les jeunes pousses,

Voir sur les sables fins et dans les noirs rameaux,
L’aile ouverte au soleil, courir les passereaux.
Comme eux, au beau soleil, nos frileuses pensées
Ont ouvert en chantant leurs ailes nuancées,
Et, pareils aux bourgeons à la cime des bois,
Sentant renaître en moi les rêves d’autrefois,
Assis sous le vieux chêne à la branche encor noire,
Muse ! je t’ai conté ma douce et triste histoire.