Poèmes (Vivien)/La Flûte qui s’est tue

Pour les autres éditions de ce texte, voir La Flûte qui s’est tue.

PoèmesA. Lemerre. (p. 123-125).


LA FLÛTE QUI S’EST TUE


Je m’écoute, avec des frissons ardents,
Moi, le petit faune au regard farouche,
L’âme des forêts vit entre mes dents
Et le dieu du rythme habite ma bouche.

Dans Ce bois, loin des ægipans rôdeurs,
Mon cœur est plus doux qu’une rose ouverte ;
Les rayons, chargés d’heureuses odeurs,
Dansent au son frais de ma flûte verte.


Mêlez vos cheveux et joignez vos bras
Tandis qu’à vos pieds le bélier s’ébroue,
Nymphes des halliers ! Ne m’approchez pas !
Allez rire ailleurs pendant que je joue !

Car j’ai la pudeur de mon art sacré,
Et pour honorer la Muse hautaine,
Je chercherai l’ombre et je cacherai
Mes pipeaux vibrants dans le creux d’un chêne.

Je jouerai, parmi l’ombre et les parfums,
Tout le long du jour, en attendant l’heure
Des chœurs turbulents et des jeux communs
Et des seins offerts que la brise effleure.

… Mais je tais mon chant pieux et loyal
Lorsque le festin s’exalte et flamboie.
Seul le vent du soir apprendra mon mal,
Et les arbres seuls connaîtront ma joie.


Je défends ainsi mes instants meilleurs.
Vous qui m’épiez de vos yeux de chèvres,
Ô mes compagnons ! allez rire ailleurs
Pendant que le chant fleurit sur mes lèvres !

Sinon, — je suis, faune après tout, si beau
Que soit mon hymne, — et bouc qui se rebiffe,
Je me vengerai d’un coup de sabot
Et d’un coup de corne et d’un coup de griffe !