Poèmes (Canora, 1905)/Prophétie

(p. 40-42).

PROPHÉTIE

Pour Mademoiselle Laure Miteau.


 
Comme les anciens Grecs allaient chez la Sibylle
S’enquérir en tremblant des arrêts du destin,
Nous partîmes, vous souvient-il ? un beau matin,
Voir certaine prêtresse au fond de son asile.

La prêtresse était laide, et sale le logis,
Moins sombre fut jadis l’antre de la Delphique.
Elle nous débita le boniment classique
Qui fait toujours pâlir les amoureux transis.

Était-ce du flamand, je ne le saurais dire,
Était-ce du français, je ne m’en souviens plus :
Au reste, le chercher serait fort superflu,
Ce qu’elle fit de mieux, elle vous fit sourire !


Nous sortîmes de là, sans avoir pénétré
Le mystère profond de nos doubles fortunes,
Mais la brise était fraîche et caressait la dune
Et le soleil riait sur les flots azurés.

Nous nous sentions heureux de la beauté des choses,
Nous allions, devisant tout le long du chemin,
Pourquoi vouloir chercher ce que sera demain ?
Demain, nous irons voir s’il est encor des roses !

Serait-ce un sort plus doux que d’avoir su prévoir
Sans jamais écarter le destin qui nous presse
Chaque jour de bonheur, chaque jour de tristesse,
Jusqu’au dernier frisson de notre dernier soir !

Non. — Laissez les secrets que l’avenir recèle,
Vous qui, dès aujourd’hui, possédez de tels biens,
Un cœur pur, sans lequel tout le reste n’est rien :
Le bonheur d’être jeune et celui d’être belle.

Puissiez-vous ignorer ces instants douloureux
Où l’âme, dans la nuit, palpite et bat de l’aile.
S’il en était pour vous, je serai là, fidèle,
Ceci du moins est sûr, si le reste est douteux.


Je veux rester pour vous jusqu’à la dernière heure
Cet ami simple et vrai qui dit la vérité.
C’est un très humble bien, mais sans fragilité.
L’amour est mort, souvent, quand l’amitié demeure.