Poèmes épars (Lenoir-Rolland)/La harpe magique
La harpe magique
Parmi les saules, à la brune,
Sur la rive d’un noir torrent,
Dont le clair rayon de la lune
Caressait le flot murmurant,
Une harpe était suspendue
Vibrant sous d’invisibles doigts.
Harpe d’or ! s’il l’eût entendue,
Un ange eût envié ta voix !
Attiré par cette harmonie,
Suave comme un chant des cieux,
Un étranger, fatal génie,
Passait alors silencieux.
Il vint dans le bocage sombre.
Sous les coups de sa rude main,
Comme des étoiles dans l’ombre,
Les chants atteignirent soudain !
Hélas ! sous cette forte étreinte,
La harpe d’or se détendit:
Il en jaillit comme une plainte
Qui longtemps au loin s’entendit.
Cette douleur, douleur suprême,
Pleine de sons tristes et doux,
Eût attendri cet homme même,
Si son cœur n’eût été jaloux !
Ces voix par les airs envolées
Jamais plus ne nous reviendront ;
Les jours, ni les nuits étoilées
Jamais plus ne nous les rendront !
C’est en vain qu’une main amie
Cherche à réveiller ses accords;
La harpe demeure endormie
Près du torrent aux sombres bords !
Regarde ! l’instrument sonore
Que tes doigts viennent d’outrager,
Sans toi nous charmerait encore
Imprudent et fort étranger !
Pleure ! et suivant une autre voie,
Oh ! puisses-tu te repentir :
C’est un bonheur, c’est une joie,
Que tu voulus anéantir.
Montréal, juillet 1858.