Poèmes épars (Lenoir-Rolland)/Au Texas

Texte établi par Casimir HébertLe pays laurentien (p. 41-44).

1853
Au Texas
I


Savez-vous ce que c’est qu’un duel d’Amérique,
Délicats amateurs d’au-delà l’Atlantique,
  Qui tirez une arme avec art ?
Savez-vous qu’à vingt pas un coup de carabine
Atteint toujours le front auquel on le destine,
Que la balle jamais ne s’égare autre part ?

Or, le plus ferme doigt, crispé sur la détente,
Peut bien parfois faiblir, dans les moments d’attente
  Précédant le triple signal.
On touche un but ; c’est vrai : mais la rouge blessure
N’a pas assez de sang, pour laver une injure,
N’a pas assez tué le corps d’un dur rival !

Chez vous, au premier sang, toute haine est éteinte.
Un seul pas en avant, chez nous, est de la crainte,
  Flétrit le dernier des texiens.
S’il tombe, il lutte encore ou provoque du geste
Un adversaire intact, à la main forte et leste,
Qui l’achève en riant et le livre à ses chiens !

De tous les instruments de mort ou de supplice,
La hache et le couteau servent mieux, dans la lice,
  Quiconque veut s’y hasarder !
La lame du couteau, lorsqu’elle est bien coulée,
Qu’elle est forte, portant une pointe effilée,
Va bien au bout du bras, qui sait le commander.


II


— Il devra terminer nos rugissantes haines !
Se dirent deux voisins, en se montrant les gaines,
  Qui battaient leurs larges côtés.
Et tous deux s’en allaient, cherchant chacun deux frères
Farouches assistants de luttes téméraires,
Aventureux bandits aux déserts emportés !



III


Un bouge abandonné, dont le vieux toit s’incline,
S’estompe sur le front d’une haute colline,
  Comme un spectre des noires nuits.
Quatre hommes sont couchés, sur le devant du porche,
Tenant tous quatre en main une flambante torche ;
Leur oreille du sol semble écouter les bruits.

Par un ciel aussi sombre, et surtout à cette heure,
« Que viennent-ils attendre, autour d’une demeure,
  Aux murs lézardés et croulants ?
Qui donc en a fermé les battantes croisées,
Remis sur leurs vieux gonds, bien qu’à demi brisées,
Ces portes qu’envahit la mousse aux filets blancs ?

Ce sont eux ! mais pourquoi ? vous allez le connaître.
Regardez-les bondir à travers la fenêtre,
  Qu’un rauque cri vient d’ébranler ;
Cri strident du damné, torturé par la flamme,
Cri d’angoisse, arraché des profondeurs d’une âme,
Qui laisse un corps maudit que Dieu veut immoler !


IV


Tout le parquet visqueux de la hutte empestée
Est jonché de lambeaux de chair déchiquetée
  Par les coups d’un acier puissant ;
Et, parmi les débris de cette horrible fête,
Est un tronc décollé sur lequel une tête
Repose hérissée et dégoutte de sang.

Hors du cercle blafard que décrit la lumière,
Dans un recoin ombré de la paroi de pierre,
  Un des champions est debout !
Ses pieds sont nus, ainsi que ceux de sa victime,
Ses dents mordent encor l’instrument de son crime ;
Sa lèvre se blanchit d’une écume qui bout.

— Je l’ai tué ! dit-il, et j’ai bien fait ! Le lâche,
Au milieu de la lutte, oublieux de sa tâche,
  Voulait, fuir mon couteau vengeur !
Le mur était scellé… sa course circulaire,
Quoique muette et folle, attisa ma colère !
Il tomba !… je suis fier d’être son égorgeur !

De tous les instruments de mort et de supplice,
La hache et le couteau servent mieux dans la lice,
  Quiconque veut s’y hasarder !
La lame du couteau, lorsqu’elle est bien coulée,
Qu’elle est forte, portant une pointe effilée,
Va bien au bout du bras qui sait le commander !