Poèmes à Lou/L’amour le dédain et l’espérance

Œuvres poétiques (extraits) Poèmes à LouGallimard, Bibliothèque de la Pléiade (p. 465-467).


XLIX

L’AMOUR LE DÉDAIN ET L’ESPÉRANCE


Je t’ai prise contre ma poitrine comme une colombe
qu’une petite fille étouffe sans le savoir

Je t’ai prise avec toute ta beauté ta beauté plus riche que tous les placers de la Californie ne le furent au temps de la fièvre de l’or

J’ai empli mon avidité sensuelle de ton sourire de tes regards de tes frémissements

J’ai eu à moi à ma disposition ton orgueil même quand je te tenais courbée et que tu subissais ma puissance et ma domination

J’ai cru prendre tout cela ce n’était qu’un prestige

Et je demeure semblable à Ixion après qu’il eut fait l’amour avec le fantôme de nuées tait à la semblance de celle qu’on appelle Héra ou bien Junon l’invisible

Et qui peut prendre qui peut saisir des nuages qui peut mettre la main sur un mirage et qu’il se trompe celui-là qui croit emplir ses bras de l’azur céleste

J’ai bien cru prendre toute ta beauté et je n’ai eu que ton corps

Le corps hélas n’a pas l’éternité
Le corps a la fonction de jouir mais il n’a pas l’amour

Et c’est en vain maintenant que j’essaie d’étreindre ton esprit

Il fuit il me fuit de toutes parts comme un nœud de couleuvres qui se dénoue

Et tes beaux bras sur l’horizon lointain sont des serpents couleur d’aurore qui se lovent en signe d’adieu

Je reste confus je demeure confondu

Je me sens las de cet amour que tu dédaignes
Je suis honteux de cet amour que tu méprises tant

Le corps ne va pas sans l’âme

Et comment pourrais-je espérer rejoindre ton corps de naguère puisque ton âme était si éloignée de moi

Et que le corps a rejoint l’âme
Comme font tous les corps vivants
Ô toi que je n’ai possédée que morte

*

Et malgré tout cependant que parfois je regarde au loin si vient le vaguemestre

Et que j’attends comme un délice ta lettre quotidienne mon cœur bondit comme un chevreuil lorsque je vois venir le messager

Et j’imagine alors des choses impossibles puisque ton cœur n’est pas avec moi

Et j’imagine alors que nous allons nous embarquer tous deux tout seuls peut-être trois et que jamais personne au monde ne saurait rien de notre cher voyage vers rien mais vers ailleurs et pour toujours

Sur cette mer plus bleue encore plus bleue que tout le bleu du monde

Sur cette mer où jamais l’on ne crierait Terre

Pour ton attentive beauté mes chants plus purs que toutes les paroles monteraient plus libres encore que les flots

Est-il trop tard mon cœur pour ce mystérieux voyage
La barque nous attend c’est notre imagination
Et la réalité nous rejoindra un jour
Si les âmes se sont rejointes
Pour le trop beau pèlerinage

*

Allons mon cœur d’homme la lampe va s’éteindre
Verses-y ton sang
Allons ma vie alimente cette lampe d’amour
Allons canons ouvrez la route

Et qu’il arrive enfin le temps victorieux le cher temps du retour


*

Je donne à mon espoir mes yeux ces pierreries
Je donne à mon espoir mes mains palmes de victoire
Je donne à mon espoir mes pieds chars de triomphe
Je donne à mon espoir ma bouche ce baiser

Je donne à mon espoir mes narines qu’embaument les fleurs de la mi-mai

Je donne à mon espoir mon cœur en ex-voto

Je donne à mon espoir tout l’avenir qui tremble comme une petite lueur au loin dans la forêt