Poème sur la Loi naturelle/Exorde

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   Ô vous dont les exploits, le règne, et les ouvrages[1]
Deviendront la leçon des héros et des sages,
Qui voyez d’un même œil les caprices du sort,
Le trône et la cabane, et la vie et la mort ;
Philosophe intrépide, affermissez mon âme ;
Couvrez-moi des rayons de cette pure flamme
Qu’allume la raison, qu’éteint le préjugé.
Dans cette nuit d’erreur où le monde est plongé,
Apportons, s’il se peut, une faible lumière.
Nos premiers entretiens, notre étude première,
Étaient, je m’en souviens, Horace avec Boileau.
Vous y cherchiez le vrai, vous y goûtiez le beau ;
Quelques traits échappés d’une utile morale
Dans leurs piquants écrits brillent par intervalle :
Mais Pope approfondit ce qu’ils ont effleuré
D’un esprit plus hardi, d’un pas plus assuré,

Il porta le flambeau dans l’abîme de l’être ;
Et l’homme avec lui seul apprit à se connaître.
L’art quelquefois frivole et quelquefois divin,
L’art des vers est, dans Pope, utile au genre humain.
Que m’importe en effet que le flatteur d’Octave,
Parasite discret, non moins qu’adroit esclave,
Du lit de sa Glycère, ou de Ligurinus,
En prose mesurée insulte à Crispinus ;
Que Boileau, répandant plus de sel que de grâce,
Veuille outrager Quinault, pense avilir le Tasse ;
Qu’il peigne de Paris les tristes embarras,
Ou décrive en beaux vers un fort mauvais repas ?
Il faut d’autres objets à votre intelligence.
    De l’esprit qui vous meut vous recherchez l’essence,
Son principe, sa fin, et surtout son devoir.
Voyons sur ce grand point ce qu’on a pu savoir,
Ce que l’erreur fait croire aux docteurs du vulgaire,
Et ce que vous inspire un Dieu qui vous éclaire.
Dans le fond de nos cœurs il faut chercher ses traits :
Si Dieu n’est pas dans nous, il n’exista jamais.
Ne pouvons-nous trouver l’auteur de notre vie
Qu’au labyrinthe obscur de la théologie ?
Origène et Jean Scott sont chez vous sans crédit :
La nature en sait plus qu’ils n’en ont jamais dit.
Écartons ces romans qu’on appelle systèmes ;
Et pour nous élever descendons dans nous-mêmes.


  1. Nous savons que ce poëme, qu’on regarde comme l’un des meilleurs ouvrages de notre auteur, fut fait vers l’an 1751, chez Mme la margrave de Bareith, sœur du roi de Prusse. Je ne sais quels pédants eurent depuis l’atrocité imbécile de le condamner.

    Ces vils tyrans de l’esprit, qui avaient alors trop de crédit, ont été punis depuis de toutes leurs insolences. (Note de Voltaire, 1773.) — Le parlement de Paris, qui, le 23 janvier 1759, avait condamné à être brûlés la Religion naturelle et autres écrits, était supprimé depuis décembre 1770 lorsque Voltaire imprima cette note. (B.)