Poème pour le Faune


Nouvelle Revue Française (p. 41-42).


Poème pour le Faune


Faune agile et muet des livres que j’ai lus,
Je te sais au jardin et ne souhaite plus
Que te voir, un matin, tapi sous les arbustes.
Toi dont le jardinier paisible aux bras adustes

N’a jamais éventé le manège sournois,
Toi qui mords aux raisins et fais craquer les noix
Sous ton sabot fendu, mauvais à l’herbe haute…
Je me suis réjoui de te savoir mon hôte,
Faune.

Mais, au jardin je sais qu’elle se doit
Aussi la femme douce et que l’ombre du toit,
La montagne, la nuit attendent sa venue,
Je sais qu’elle est craintive et qu’elle est toute nue
Et que ses bras croisés s’entrouvent au désir…
Mais elle ne vient pas… Voudrais-tu la saisir ?
Es-tu, quand vient le soir, celui qui court, s’embusque
Et montre, sur le mur lassé de la lambrusque,
Une face guetteuse au sourire lippu ?

Non. C’est le beau verger que tu hantes, repu
De ciel et de lait gras. Je te donne les arbres.
Et ce geste de rapt que fixent les vieux marbres
Lance-les vers la branche où l’abricot mûrit
Et laisse-la venir… Une lune sourit,
Toute bonne et rustique, au lit, à mon angoisse…
Un pas hésite au seuil… Et de tes mains que poisse
La résine juteuse au creux de l’arbre tors
Cache ton front cornu, ta barbe courte et dors.