Poème de la prison/Ballade VIII

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 21-22).
Ballade IX  ►

BALLADE VIII.

     Quant je suis couschié en mon lit,
Je ne puis en paix reposer ;
Car toute la nuit mon cueur lit
Ou Rommant de Plaisant Penser,
Et me prie de l’escouter ;
Si ne l’ose desobéir
Pour doubte de le courroucer.
Ainsi je laisse le dormir.

     Ce livre si est tout escript
Des fais de ma Dame sans per ;
Souvent mon cueur de joye rit,
Quand il les list ou oyt compter ;
Car certes tant sont à louer
Qu’il y prent souverain plaisir ;
Moymesmes ne m’en puis lasser,
Ainsi je laisse le dormir.
     Se mes yeux demandent respit
Par Sommeil qui les vient grever,
Il les tense par grant despit,
Et si ne les peut surmonter ;
Il ne cesse de soupirer
À part soy ; j’ay lors, sans mentir,
Grant paine de le rapaiser,
Ainsi je laisse le dormir.


ENVOI

     Amour, je ne puis gouverner
Mon cueur ; car tant vous veult servir
Qu’il ne scet jour ne nuit cesser,
Ainsi je laisse le dormir.