Poème de la prison/Ballade VI

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 19-20).
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BALLADE VI.

     N’a pas long temps qu’alay parler
À mon cueur tout secrettement,
Et lui conseillay de s’oster
Hors de l’amoureux pensement ;
Mais me dist bien fellement :
Ne m’en parlez plus, je vous prie ;
J’ameray tousjours, se m’aist Dieux,
Car j’ay la plus belle choisie,
Ainsi m’ont raporté mes yeulx.

     Lors dis : Vueilliez me pardonner,
Car je vous jure mon serment
Que conseil vous cuide donner,
À mon povoir, tresloyaument ;
Voulez vous sans allegement
En doleur finer vostre vie ?
Nennil dya, dist il, j’auray mieulx ;
Ma Dame m’a fait chiere lie ;
Ainsi m’ont raporté mes yeulx.
     Cuidez vous savoir, sans doubter,
Par un regart tant seulement.
Se dis je, du tout son penser.
Ou par un doulx acointement ?
Taisiez vous, dist il ; vraiement
Je ne croiray chose qu’on die :
Mais la serviray en tous lieux,
Car de tous biens est enrichie ;
Ainsi m’ont raporté mes yeulx.