Poème de la prison/Ballade LXII

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 81-82).


BALLADE LXII.

     Le lendemain du premier jour de May,
Dedens mon lit ainsi que je dormoye,
Au point du jour m’avint que je songay
Que devant moy une fleur je véoye
Qui me disoit : Amy, je me souloye
En toy fier, car pieçà mon party
Tu tenoies, mais mis l’as en oubly,
En soustenant la fueille contre moy ;
J’ay merveille que tu veulx faire ainsi
Riens n’ay méfiait, se pense je, vers toy.
     Tout esbahy alors je me trouvay,
Si respondy, au mieulx que je savoye :
Tresbelle fleur, oncques je ne pensay
Faire chose qui desp!aire te doye :
Se, pour esbat, Aventure m’envoye
Que je serve la fueille cest an cy,
Doy je pour tant estre de toy banny ?
Nennil certes, je fais comme je doy
Et se je tiens le party qu’ay choisy,
Riens n’ay meffait, ce pense je, vers toy.
     Car non pour tant, honneur te porteray
De bon vouloir, quelque part que je soye,
Tout pour l’amour d’une fleur que j’amay
Ou temps passé. Dieu doint que je la voye
En Paradis, après ma mort, en joye ;
Et pource, fleur, chierement je te pry,
Ne te plains plus, car cause n’as pourquoy,
Puis que je fais ainsi que tenu suy,
Riens n’ay meffait, ce pense je, vers toy.


ENVOI

     La vérité est telle que je dy,
J’en fais juge Amour, le puissant Roy ;
Tresdoulce fleur, point ne te cry mercy,
Riens n’ay meffait, se pense je, vers toy.