Poème de l’amour/148
CXLVIII
Parfois, quand j’aperçois mon flamboyant visage,
Lorsqu’il vient d’échapper à ta bouche et tes doigts,
Je ne reconnais pas cette exultante image,
Et je contemple avec un déférent effroi
Cette beauté que je te dois !
Comme de bleus raisins mes noirs cheveux oscillent,
Ma joue est écarlate et mon œil qui jubile
Mêle à sa calme joie un triomphant maintien ;
Je n’ai vu ce regard florissant et païen
Que chez les chèvres de Sicile !
Moment fier et sacré où, sevré de désir,
Mon cœur méditatif dans l’espace contemple
La seule vérité, dont nous sommes le temple ;
Car que peut-il rester dans le monde à saisir
Pour ceux qui, possédant leur univers ensemble,
Ont mis l’honneur dans le plaisir ?…