◄   CXXXIII CXXXIV CXXXV   ►


CXXXIV


Ne souffre pas ; tu vois, je suis pourtant moi-même,
              Malgré les multiples aspects.
Tu cherchais le repos ? Peut-être que tu m’aimes
              Pour cette absence de ta paix !

Concevais-tu vraiment que le bonheur existe ?
              Que l’on donne un ordre au destin ?
N’avais-tu donc jamais, d’un œil lucide et triste,
              Vu le lent retour des matins ?

Dans l’immense ouragan où combattent les choses,
              Poursuivais-tu d’autres loisirs
Que ces instants secrets où le désir compose
              Un baume d’âme et de plaisir ?


— L’amour n’est pas un don qui rend plaisante et stable
              La vie aux sursauts coutumiers ;
Il fait mieux mesurer l’immensité des sables,
              Le puits distant sous les palmiers !

Les travaux des humains, comme ceux des abeilles,
              Vaquent aux soins de la cité,
Mais tout l’effort profond ne rêve et ne conseille
              Que l’apaisante volupté ;

C’est elle la chétive et complète patrie
              Dont l’être est sans cesse exilé ;
Acceptons que le sort protège et contrarie
              Un vœu toujours renouvelé !

Acceptons que demain, comme aujourd’hui, demeure
              Un jour d’espoir et de chagrin ;
Il est beau de goûter le plaisir souverain
              Dans l’étroit calice d’une heure !

Je refuse de croire à des jours aplanis
              Où pour nous deux l’injuste chance
Arrêterait soudain, dans le temps infini,
              L’oscillement de ses balances.


Certes j’eusse voulu charger d’un gai bonheur
              Ma méditative caresse,
Mais peut-être ai-je mieux apparenté nos cœurs
              Si je t’ai donné la tristesse…