PleureusesErnest Flammarion (p. 241-244).
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LA MORT DU SILENCE


Dans mon âme aux tendresses folles,
À l’enthousiasme étoilé,
Est un grand bienfait de paroles,
Et je n’ai pas encor parlé…

Oh ! la caresse toujours prête
Des mots qu’on n’a pas dits encor,
La grande et bienheureuse fête
De voir demain comme un trésor…


Les gloires encor mal acquises,
Les chants encor mystérieux,
Toutes les promesses exquises
Par lesquelles je vivrai vieux…

C’est mon orgueil fou de vaillance,
C’est l’avenir ivre de foi,
C’est la splendeur de mon absence
Quand l’homme rêvera de moi.

L’espérance sage et bénie
Est radieuse au fond de moi,
Et ma gratitude infinie
Attend l’heure où je serai roi.

Sûr d’une vague apothéose,
Je suis le sage aux arbres noirs
Qui se sourit et se repose
Au paradis perdu des soirs !…


Mon rêve isolé, magnifique
Tressaille, écoute, attend en chœur
Quand l’avenir n’est que musique
Dans l’ombre adorable du cœur.

Cette paix étroite et bénie
Cette paix qui va s’en aller,
Qui va jeter mon harmonie
À la victoire de parler !

La sombre et grise mélodie
Qui doit éclairer les vivants
Attend le soir de l’incendie,
Le soir ébauché par les vents !

Quand l’heure viendra qu’on y croie,
Mes vœux, mes vertus, ma bonté
Jailliront pour mourir de joie
Dans l’implacable vérité.


Je n’aurai plus, seul, sans histoire,
Que mon élan pour m’appuyer…
Hélas, ô sacrifice, ô gloire,
Ô silence qui va saigner.