PleureusesErnest Flammarion (p. 231-236).


LE PROPHÈTE


Il répondit : « Tu viens bien tard. »


Le soir sur l’univers vague comme un appel,
Je vois des bras confus près d’un mur clair et sombre ;
Et tout se sacrifie à la pâleur du ciel.

Le crépuscule veut la prière qui sombre,
Le peu que nous avons en nous de maternel
À l’heure vague et triste où l’on se donne à l’ombre.

Tu t’assois sur un banc comme pour mendier…
Le demi-jour est plein de foules disparues,
Le silence est un cri qui ne peut pas crier.


Comme l’Autre, Seigneur, tu verras dans les rues
Les hommes revenir en pleurs pour oublier,
Et les filles qui rient pour être secourues !

Que les vieux jours sont loin, que tous les jours sont vieux,
Dans ce dernier refuge où d’année en année,
Le soleil a laissé l’épave de tes yeux !

Attendri, comme tout, dans l’heure abandonnée,
Tes regards ont cherché d’abord au fond des cieux
Un peu de la blancheur où s’en va la journée.

Et rien ne te couronne, et rien ne t’a chanté,
Et nul ne te connaît des enfants et des hommes
Dans le dernier refuge où tu t’es arrêté.

Le destin fut amer au vieux monde où nous sommes ;
Si peu que nous ayons aimé la vérité,
La vérité peut-être a moins aimé les hommes !


Et tu tendras les mains vers le jour épié.
Le soir est inutile à la ville de pierre
Et l’azur dans le ciel semble crucifié.

Entr’ouvrant sur ta lèvre un baiser de prière,
Et redressant un peu ta joie et ta pitié,
Tu sentiras tout seul l’aumône de lumière.

Oh, c’eût été si vague et si bon d’être heureux…
Ils n’auraient presque pas vu changer le soir pâle
Qu’il tombât en silence ou qu’il tombât pour eux.

Voici que doucement ta nuit est triomphale,
Tu te lèves, baigné d’un soleil ténébreux,
Et l’ombre se caresse entre tes doigts d’opale.

Demeure, pâle et dur, dans le silence en chœur,
Si dépouillé, si las, au fond de ta défaite,
Que l’on voit presque à nu là clarté de ton cœur.


Seigneur, toi que l’on trompe et qui baisses la tête,
Tu sentiras, brûlé par le soir de longueur,
La faim qui crie en toi comme une grande fête.

Laissons les maladroits et les irrésolus
Qui prêchent d’oublier tout doucement, sans cause,
Et qui croient consolés ceux qui ne souffrent plus ;

Et le fou méprisant combien toute âme est close
Qui, de sa foi béate ivre de plus en plus,
Rêve de consoler quelqu’un ou quelque chose.

Tous ceux que la douleur n’a pas faits douloureux,
Au milieu du désert, sans haine, sans envie,
Les pauvres égarés qui peuvent être heureux ;

Ceux qui croient que l’amour mérite qu’on l’envie,
Ceux qui peuvent dormir quand la nuit est sur eux
Et qui nomment le ciel ce qui manque à la vie.


PRIÈRE


Va sans savoir, respire, écoute.
Dis ta gloire n’importe auquel ;
Si grand que tu sois sur la route
L’amour te laisse, comme un ciel.

Au milieu des cris du théâtre
Et de leurs serments de malheur,
Écoute, étoile comme un pâtre,
Le silence de la douleur.

Moi qui ne sais pas de prière,
Toi si bon au-dessus de nous,
Je voudrais sourire à la mère
Qui t’a tenu sur ses genoux.


Permets qu’à tes pieds adorables
On rêve, on rêve aux jours d’avant
Où, comme les plus misérables,
Tu n’étais qu’un petit enfant.

Tous les nids sont un peu prospères,
Nous sortons tous d’un vague abri…
Les dieux et les pauvres sont frères
Par le peu d’enfance qui rit.

Comme ma dernière tendresse,
Veux-tu qu’en un soir effacé
Je sois un peu de la caresse
Des seuls jours qui t’ont caressé !…

Au lieu de crier solitaire
Puisse le soir être avec toi ;
Puisses-tu parfois sur la terre
Sourire sans savoir pourquoi !