L’oubli (1895)
PleureusesErnest Flammarion (p. 221-224).


L’OUBLI


Je ne la verrai presque plus…


Je n’ai rien en moi qui résiste
À ce qui fuit tout doucement.
Je n’ai rien en moi qui m’assiste…
Je m’assois au rayon dormant,
J’écoute passer le jour triste,
Je suis triste tout simplement.

Dans la cour une voix ravie
Chante un refrain toujours pareil
Sur la route toujours suivie.
Un rayon coule en ce sommeil ;

Je sens le calme de la vie
Qui ne dit rien dans le soleil.

Mon mal est fini comme un drame.
Nul remords, n’importe lequel.
Le soleil traîne avec sa flamme
Sur le mur, silence éternel.
Et le jour passe dans mon âme
Comme s’il passait dans le ciel.

Je n’ai que la mélancolie
D’avoir bien fini de souffrir ;
Doucement, dans l’heure pâlie,
Le rayon pâle vient s’offrir…
Le printemps commence et j’oublie,
Je vais vivre, je vais mourir.

Humble dans le soleil modeste,
Je sens tout m’abandonner, tout.

J’oublie un peu dans chaque geste.
Tout s’endort, je ne suis plus fou.
Ta chanson s’éloigne et je reste,
Et je ne pleure pas beaucoup.

Pourtant, le long des grands espaces,
Parfois, il tressaille un adieu ;
Parfois, à mes paupières lasses,
Le jour tendre frémit un peu,
Toi qui t’en vas, toi qui t’effaces,
Toi qui montes dans le ciel bleu.

Un reste de lumière trône
Au firmament déjà bien noir ;
Par la pauvre fenêtre jaune
Le ciel a tremblé sans savoir ;
Ton souvenir est une aumône
Dans la misère de ce soir.