PleureusesErnest Flammarion (p. 203-206).


À UNE PETITE AVEUGLE


Tu pleures, l’âme reposée.


Avec ses rumeurs sans pitié
Le jour assiège ta faiblesse.
Tu ne vois rien, l’heure te laisse,
Et la lumière est à tes pieds.

Quand parmi la foule sans nombre
Tu rayonnes sur le chemin,
Si l’on te frôle un peu, ta main
Est une caresse dans l’ombre.


Tu gardes au soleil d’espoir
Ta tendresse vague, étoilée…
Toujours grave, toujours voilée,
Toujours dans la fête du soir !

L’ombre est ta sœur quand tout succombe,
Ta sœur près de ces hommes-ci,
Tous ceux que mêle et qu’adoucit
Votre double pitié qui tombe !

Quand avec son éternité
Le soir nous berce et nous effraie,
Tu deviens de plus en plus vraie
Parmi la morne vérité.

L’azur s’abîme de tendresse.
L’amour chante, silencieux,
Les ténèbres ouvrent tes yeux.
Ton front éclôt et se redresse.


Tu te mêles au vieux martyr
De la nuit seule sur le monde.
Tout se tait et l’ombre est profonde ;
Petite enfant qui vois souffrir…