La terre (1895)
PleureusesErnest Flammarion (p. 175-182).
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LA TERRE


…Car mon orgueil n’a pas de mains humaines


Tu fus la femme : faible et forte,
Et vibrante comme un souhait ;
Celle qu’on aime et que l’on hait,
Et maintenant, te voilà morte.

Comme un éclair, comme un signal,
La mort passa, la mort savante,
Avec le collier d’épouvante
Qu’elle a mis sur ton cou royal.


Oh ! la nuit de fièvre et de larmes,
Quand tu luttais pour le soleil !
Ta tête est pleine de sommeil,
Tes bras gisent comme des armes.

Tu ne sais plus ce que je veux ;
Ton front aveugle me dédaigne,
Vision de pâleur que baigne
La mer morte de tes cheveux.

J’ai vu tes deux lèvres de pierre
Pleines d’un silence hagard,
Et l’étoile de ton regard
Sous les longs cils de ta paupière,

Ô toi qui n’as plus d’horizon,
Qui restes calme et sans colère
Comme la brume qui m’éclaire
Quand je reviens dans ma maison !


Le soir tombe avec sa rosée,
La paix glisse du firmament,
Tu t’abandonnes doucement
À la terre où l’on t’a posée.

Elle connaît tous les amours ;
Ton corps si frêle est sous sa mousse ;
Elle a gardé ta mort si douce
Dans le grand deuil qu’elle a toujours.

Elle est la berceuse des râles,
La reine et la communion ;
Elle a des gestes d’union
Plus doux encor que tes bras pâles.

C’est l’heure auguste des aveux ;
C’est la nuit, c’est la nuit humide
Qui caresse ton front placide,
Et qui pleure dans tes cheveux.


La nuit ! toute ton indolence,
Toute ton âme et tous tes yeux !
Elle a des mots silencieux,
Et tu ne sais que le silence !

Sous le ciel glacial et lourd,
Tu raidis tes membres funèbres,
Sentant passer dans les vertèbres
Le grand tourment du grand amour.

Tu remplis l’ombre sans secousse,
Ses baisers montent sur ta chair,
Sa caresse est comme la mer,
Éternelle, tremblante et douce.

C’est l’amour enfin reposé
Dans l’éternité de l’ivresse ;
Ton poids seul est une caresse
Et tout son corps est un baiser ;


Le baiser sans crainte et sans leurres
D’un amour grand comme un oubli ;
Oh ! sur ton cou, ton front pâli,
Ses yeux vides comme les heures !…

Ses bras, ses grands bras sans couleur,
Toute ta beauté solennelle
Qui se perd largement en elle
Comme un hymne dans la douleur !

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Ô toi qui viens dans nos prières,
Pauvre grand cœur naïf et fort,
Va dans la nuit, va dans la mort
Chercher les âmes tout entières.


Toi qui veux l’amour sans adieu,
Et l’âme éternellement pleine,
Ton cœur est grand comme ta peine,
Tu seras triste comme un dieu.

Tu sentiras l’inquiétude
Des petites mains dans ta main,
Car tu marches dans un chemin
Où l’on aime ta solitude.

Très faibles devant ta douleur,
Tes sœurs mettront pour ton martyre
Les diamants de leur sourire
Sur ton grand manteau de malheur.

Mais à toi qui veux tout, qu’importe
Ce qui n’est pas l’accouplement
Où l’on tremble éternellement
Comme la terre et la chair morte ?


Sois grave, pardonne, soumets,
Trouve un ange ou trouve une femme ;
Tu sais que tu voudrais une âme,
Et que tu n’en auras jamais.

L’union tranquille, sans voiles
Et sans l’angoisse des vainqueurs,
Elle est trop grande pour leurs cœurs
Comme une nuit pleine d’étoiles.