PleureusesErnest Flammarion (p. 89-90).


FRISSON DU RÉEL


C’est la nuit dans les jardins blêmes.
Les grands arbres sont consolés.
Passons, couple pur, étoilés
Ainsi que dans les vieux poèmes.

Sur un fût de marbre appuyés,
Nous dominons la sombre ville.
Une fenêtre, fleur tranquille,
Éclôt dans l’azur à nos pieds.

C’est un foyer voilé qui brille,
Un corps lointain qui tend les bras,
Des rayons étroits, des fronts bas,
L’humble étoile d’une famille…


Un reflet rouge, caressant,
Baigne leur beauté, leur prière…
Au loin, dans l’enfer bleu des pierres
Voici la vie humaine en sang !

Oh ! la vie à qui l’on doit croire,
Le réel, le malheur si doux,
Le geste éternel près de nous,
La maison grise au cœur de gloire !

Le temps semble s’être arrêté…
Tu baisses ton profil sublime,
Et nous nous penchons vers l’abîme
Dans un frisson d’éternité.

Qu’il sacre, ce soir qui déferle,
Ta sainte attitude sans voix,
Et que tes pleurs entre tes doigts
Vivent longtemps, comme des perles !…