Plan du Journal Œconomique


PLAN
DU
JOURNAL ŒCONOMIQUE.



La dignité des Sciences est si frappante & l’agrément des Belles-Lettres si séduisant, qu’il semble lorsqu’on les considére, que nul autre objet ne mérite notre attention. Les yeux justement charmés de l’éclat qui les environne ne s’en détachent qu’avec peine, & dédaignent de s’arrêter sur tout ce qui n’est point marqué par un jour aussi lumineux. Mais comme dans un grand & magnifique tableau où l’intelligence du clair-obscur a déployé toute force & toutes ses richesses, les figures qui sont dans la demi-teinte sont aussi sçavantes que celles qui reçoivent les grands coup de lumiere sont admirables : de même entre les occupations des hommes celles qui ne se présentent que sous des dehors modestes, sont aussi dignes de notre estime par le travail & l’industrie qu’elles exigent & par l’utilité qu’elles apportent, que les plus brillantes le sont de nos éloges par la beauté, la justesse & l’élévation d’esprit qu’elles demandent. Tel est le caractère de la simple & sage Œconomie qui par le moyen de l’Agriculture, des Arts & du Commerce nous procure une pleine abondance de richesses & toutes les commodités de la vie. Ce qu’elle acquiert sans bruit, elle le présente sans faste ; & la douceur de ses dons, ainsi que le repos auquel ils invitent, répandent sur elle un air de modestie & de tranquillité qui paroît être son partage. Mais lorsqu’un esprit attentif s’attache à pénétrer ce voile & qu’il entre dans le détail de ses occupations, il est surpris de l’étendue des soins qu’elle prend sans relâche, & de la multitude des connoissances qui lui sont nécessaires pour en assurer le succès. Il voit toutes les vertus actives concourir avec elle pour tirer les trésors que la Nature renferme dans son sein, mettre en œuvre ses productions, & les rassembler en un même lieu de toutes les parties de la Terre. Il reconnoît même que les Sciences sont avec elle dans un commerce continuel ; les unes pour en tirer le sujet de leurs méditations, les autres afin de l’aider de leurs lumieres ; que toutes, en un mot, s’empressent à relever ses avantages, persuadées que comme elles sont seules la gloire d’un État, il est réservé à la seule Œconomie d’en faire la félicité.

C’est donc avec juste raison que nous nous flattons d’être utiles à la Société, & de nous rendre agréables au Public, en lui présentant un Recueil de Mémoire recens sur l’Agriculture, les Arts & le Commerce, & d’Avis capables de fournir de nouveaux secours à ceux qui s’y addonnent, & de les mettre en état d’accroître de plus en plus le bien général en travaillant à leurs fortunes particulieres.

L’Agriculture, si cherie des Grecs & des Romains tant que ces peuples conserverent leur liberté, est de toutes les occupations de l’homme la plus noble & la plus avantageuse. Non-seulement elle le comble de toutes les choses nécessaires à la vie, lui forme un tempérament robuste & l’entretient dans une santé vigoureuse ; mais encore par l’esprit sérieux, réglé & attentif qu’elle lui inspire, elle l’éloigne d’un grand nombre de vices, lui rend familiere la pratique de beaucoup de vertus, & l’éleve à toute l’indépendance qu’il peut ambitionner. En effet, comme la faveur des Grands & les bons offices des amis n’ont rien de commun avec la température du Ciel & la fertilité de la terre, il n’a point à faire aux uns une cour servile, ni à menager adroitement l’appui des autres : entierement libre des pénibles devoirs dont on est surchargé dans les Cours & dans les Villes, il ne doit les biens qu’il recueille, & dont il joüit, qu’aux douces influences de l’air &à la confiance de ses travaux.

Ces travaux, qui se suivent sans interruption, sont extrémement variés par la multitude des objets que l’Agriculture embrasse. Les Terres, les Vignes, les Prés, les Jardins & les Vergers ne sont point les seuls sujets sur lesquels elle s’exerce : les Bois & les Etangs attirent une partie de son attention : elle veille avec un soin particulier à la conservation & à la multiplication des Chevaux, du gros & du menu Bétail, des Poules, des Pigeons, & généralement de tous les animaux & volatiles qui peuplent une basse-cour. Les Abeilles & les Fleurs sont pareillement dans son domaine. Enfin la préparation des Semences & la conservation des Fruits sont pour elle d’une si grande importance, qu’en les négligeant elle s’exposeroit infailliblement à perdre la plus grande partie des peines qu’elle se donne. C’est donc sur tous ces points que nous nous proposons de publier les Mémoires que nous pourrons rassembler, tant des différentes provinces du Royaume que des pays étrangers. Un des grands obstacles que rencontre l’Agriculture, est la difficulté de vaincre l’obstination des peuples servilement attachés aux usages de leur pays. Cependant s’il est vrai en général que chaque climat, chaque contrée demande une culture particuliere, il n’est pas moins certain que souvent des méthodes étrangeres ont été transplantées avec succès ; & que de nouvelles expériences ont parfaitement réussi à ceux qui les ont fait. Ainsi nous espérons que les personnes intelligentes loin de rejetter avec dédain les Mémoires que nous leur présenterons sur l’Agriculture, les liront au contraire avec plaisir, les examineront avec attention, & qu’observant en habiles Physiciens ce qu’ils auront de conforme aux loix générales de la Nature, & en quoi ils ne contrediront point ses voyes particulieres, elles en retireront tout l’avantage que nous désirons leur procurer.

Les Arts ouvriront à nos recherches un champ aussi vaste qu’agréable. Les Anciens les divisoient en Liberaux & en Méchaniques. Les premiers qui demandoient du génie & des talens distingués pouvoient être exercés avec honneur par des personnes de condition libre ; les autres ne l’étoient que par les Esclaves pour le profit de leurs maîtres. Nous ne retiendrons des Arts liberaux que la Peinture, qui comprend le Dessein & la Gravûre, la Sculpture & l’Architecture ; auxquels nous en joindrons cinq autres bien dignes de leur être associés, & dont l’invention peut encore passer pour moderne. Ce sont l’Imprimerie, la Verrerie, la Lunetterie, l’Horlogerie, & l’art de faire des instrumens de Mathématiques, auquel on n’a point encore donné de nom. Nous nous ferons un devoir d’annoncer les progrès & les chefs-d’œuvre de ces Arts & de publier les réflexions des sçavans Artistes pour les porter à une plus grande perfection. Les Manufactures, quelles qu’elles puissent être, & les principaux Arts méchaniques entreront dans notre plan. Nous nous attacherons scrupuleusement à tout ce que l’industrie humaine invente ou perfectionne, & nous pensons que l’on nous sçaura gré d’aller nous fournir chez les Nations étrangères de ce qu’elles ont de plus commode & de plus curieux, pour le naturaliser dans notre patrie. Car quoiqu’il soit quelquefois impossible d’exécuter dans un pays ce que l’on fait dans un autre, ou parce que les matieres n’ont pas la même qualité, ou parce que l’air & l’eau leur en communiquent de nouvelles dans les façons qu’on leur donne ; cependant il n’est point sans exemple qu’en travaillant à copier une chose, on en ait trouvé une autre qui a passé pour originale. Le fond de la Nature est si varié & inépuisable, que l’on ne peut trop exciter l’industrie à donner à ses productions toutes les formes dont elles sont susceptibles, sans se décourager par le peu de succès des premieres expériences. La plûpart des Arts devant tout ce qu’ils sont à la science des forces mouvantes, c’est-àdire aux Méchaniques, leur article seroit défectueux si nous n’y donnions place à toutes les nouvelles inventions de Ressorts, Pompes & Machines de quelque espèce qu’elles puissent être. Nous les recueillerons avec d’autant plus de soin que quelquefois leur utilité ne se borne pas au seul but que l’Auteur s’est proposé, mais s’étend à beaucoup d’autres choses ausquelles il n’a point pensé. Il arrive même souvent qu’une machine connue fait naître l’idée d’une autre ; & ce motif seul est assez puissant pour nous engager à ne rien negliger. Ainsi nous ferons mention avec plaisir de tout ce que nous apprendrons de nouveau & d’intéressant dans les Méchaniques.

Nous ne ferons point l’éloge du Commerce. L’attention qu’ont aujourd’hui tous les Princes de l’Europe à attirer & à le faire fleurir dans leurs Etats en fait assez connoître l’importance, & nous dispense d’en relever les avantages. Mais en même tems elle nous fait comprendre que l’on ne peut trop s’attacher à lui fournir les moyens de s’étendre & de se fortifier. C’est ce que nous nous efforcerons de faire en rassemblant le plus de Mémoires & d’Avis qu’il nous sera possible sur les productions de la Nature & les ouvrages de l’Art dans tous les pays du Monde, sur les Villes où le commerce est le plus considérable, & sur la façon dont il s’y fait. Par-là nous instruirons les Négocians qui n’ont que peu ou point voyagé de ce qu’il leur est essentiel de sçavoir ; nous rafraîchirons la mémoire de ceux qui ont été sur les lieux, & nous leur apprendrons les changemens qui sont arrivés depuis qu’ils en sont revenus, & qui arrivent journellement. Car tout change, & le commerce le mieux assuré & le plus uniforme a ses vicissitudes, soit par la révolution des Etats, soit par la découverte de nouveaux peuples ou de nouvelles liaisons avec des peuples longtems negligés ; soit par les productions mêmes de la terre qui s’améliorent ou se multiplient dans certaines contrées, tandis qu’elles dégénérent ou dépérissent dans d’autres ; soit enfin par la perte de certains Arts, dont il seroit trop long de rapporter toutes les causes possibles.

Il n’est pas moins nécessaire d’informer de quelles espéces & en quelle quantité les marchandises entrent dans le Royaume & en sortent ; les connoissances que l’on peut acquerir par-là ne peuvent être que fort utiles à la Nation en général & en particulier. Plus on verra que nous consommons de marchandises étrangéres, plus on sentira l’intérêt que nous avons à y substituer celles que nous pourrions tirer de notre propre crû ou de celui de nos Colonies ; nous évertuerons de même la Nation, par la note que nous donnerons des Vaisseaux qui arrivent dans nos Ports & qui en partent, à faire elle-même le cabotage, c’est-à-dire, le transport de marchandise de nos Ports dans d’autres du Royaume avec nos propres Vaisseaux ; service qu’on fait jusqu’ici les Navires étrangers, Hollandois sur-tout, & sur lequel la France perd chaque année environ cent pour cent de la valeur desdits Navires ; ce que l’on verra former un objet de perte très-considérable.

Le commerce extérieur ne sera point le seul objet de notre travail ; l’intérieur y tiendra la place qui lui est dûe. C’est lui qui par le transport des Denrées & des Marchandises d’une Province dans une autre, compensant leur fertilité & leur industrie, les entretient dans l’égalité de forces, nécessaire pour la conservation de l’Etat qu’elles composent : c’est lui qui prépare les transports du Commerce extérieur, & facilite le débouché de ses retours. Ainsi tout ce qui le regardera nous intéressera trop vivement pour qu’il échappe à notre attention.

La Puissance souveraine influant sans cesse sur les trois objets que nous embrassons, on trouveroit à redire sans doute si nous laissions ignorer ce qu’elle opère directement pour le bien commun, lorsque nous nous efforçons de ramener à l’universalité ce que quelques –uns pensent, ou font de mieux pour leur propre avantage. Il n’est d’ailleurs que trop ordinaire à ceux que leurs travaux & leur commerce occupent uniquement, ou qui demeurent loin des grandes Villes, d’être longtems sans apprendre les loix nouvelles que le Prince prescrit, & les établissemens qu’il ordonne dans le genre qui les concerne : les suites en sont toujours fâcheuses, soit parce que l’on tombe dans des contraventions involontaires qui portent néanmoins avec elles des peines dont il n’est pas facile de se garantir ; soit parce que la prudence se trouve infailliblement en défaut dans les mesures qu’elle prend, quand elle n’est point instruite des nouvelles circonstances qui l’environnent ; soit enfin parce que l’émulation tombe en langueur aussitôt qu’elle frappe de l’idée que la protection du Souverain lui manque. Pour prévenir en général ces inconvéniens dont le détail seroit infini, nous recueillerons avec soin les Edits, Déclarations, Reglemens, Décisions sur les Eaux & Forêts, sur les Arts, sur les Ponts & Chaussées, sur le Commerce tant en général qu’en particulier, et sur tout ce qui peut intéresser le Bien des familles.

C’est une suite naturelle du succès de l’Œconomie que les mutations dans les Biens des Particuliers. On vend & l’on achete par différens motifs, & ce n’est point toujours par la nécessité de se tirer de peine, ni par l’envie de s’aggrandir. Souvent on se défait d’un Bien par dégoût, souvent on en acquiert par convenance ; tel veut son Bien dans son Porte-feuille, tel autre le veut avoir au Soleil ; les uns ont des raisons pour changer leurs Biens de nature, les autres les veulent réunir les trouvant trop dispersés ; il en est même tous les jours qui commencent leur établissement ; enfin on fait des fonds pour des entreprises ou pour grossir un commerce, & dans la suite on retire ces même fonds pour les placer, dans le dessein de passer dans la tranquillité une vie aisée, dont le tumulte des affaires a empêché de goûter la douceur. Nous croyons donc ne pouvoir faire mieux que de terminer nos Mémoires par des Avis sur cette matiere, afin que ceux qui auront pris toutes les peines ausquelles l’Œconomie engage, en puissent recueillir jusques aux derniers fruits.

Tel est le Plan que nous nous proposons d’exécuter. Mais comme ce seroit trop présumer de nos propres forces que de croire pouvoir seuls & sans sécours fournir une si grande carriere, nous invitons tous ceux qui sont animés de l’amour du bien Public à nous aider dans notre entreprise, & à nous envoyer des Mémoires exacts & circonstanciés sur l’Agriculture, les Arts & le Commerce. Observations, Expériences, Réflexions, Projets, Questions, tout nous sera précieux. Les personnes qui nous feront l’honneur de nous en adresser, pourront être assurées que leurs intentions seront réligieusement suivies, soit qu’elles désirent que leurs noms paroissent, soit qu’elles aiment mieux reſter inconnues ; ſe bornant généreuſement à la ſatisfaction ſecrette d’être utiles à leurs concitoyens, ſans prétendre à la reconnoiſſance publique qui ſeroit acquiſe à leurs ſoins.

APPROBATIONS.


J’Ai lû par ordre de Monſeigneur le Chancelier le Plan du Journal Œconomique ; je n’y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l’impreſſion ; je crois même qu’il ne pourra être que très-agréable aux Curieux qui cherchent à s’amuſer utilement, & à ceux qui manquent d’un moyen ſûr de faire connoître des productions dont le Public eſt privé faute d’une occaſion auſſi commode & auſſi facile que celle que ce Journal leur procurera, &c. À Paris ce 9. Février 1751.

GUETTARD.


J’Ai lû par ordre de Monſeigneur le Chancelier le Plan du Journal Œconomique, dont je crois que l’exécution ne peut qu’être utile & agréable au Public. À Paris, ce 20. Février 1751.

REMOND DE SAINTE ALBINE.