Plan de constitution, présenté à la Convention nationale les 15 et 16 février 1793/Projet de déclaration des droits naturels, civils et politiques des hommes

PROJET
DE
DÉCLARATION DES DROITS
NATURELS, CIVILS ET POLITIQUES DES HOMMES.

Le but de toute réunion d’hommes en société étant le maintien de leurs droits naturels, civils et politiques, ces droits sont la base du pacte social : leur reconnaissance et leur déclaration doivent précéder la constitution qui en assure la garantie.

Article premier.

Les droits naturels, civils et politiques des hommes sont : la liberté, l’égalité, la sûreté, la propriété, la garantie sociale, et la résistance à l’oppression.

Art. II.

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui n’est pas contraire aux droits d’autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres

de la société la jouissance de ces mêmes droits.
Art. III.

La conservation de la liberté dépend de la soumission à la loi, qui est l’expression de la volonté générale. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Art. IV.

Tout homme est libre de manifester sa pensée et ses opinions.

Art. V.

La liberté de la presse, et de tout autre moyen de publier ses pensées, ne peut être interdite, suspendue ni limitée.

Art. VI.

Tout homme est libre dans l’exercice de son culte.

Art. VII.

L’égalité consiste en ce que chacun puisse jouir des mêmes droits.

Art. VIII.

La loi doit être égale pour tous, soit qu’elle récompense ou qu’elle punisse, soit qu’elle protége ou qu’elle réprime.

Art. IX.

Tous les citoyens sont admissibles à toutes les places, emplois et fonctions publiques. Les peuples libres ne connaissent d’autres motifs de préférence dans leurs choix, que les talents et les vertus.

Art. X.

La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chaque citoyen, pour la conservation de sa personne, de ses biens et de ses droits.

Art. XI.

Nul ne doit être appelé en justice, accusé, arrêté ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Tout autre acte exercé contre un citoyen est arbitraire et nul.

Art. XII.

Ceux qui solliciteraient, expédieraient, signeraient, exécuteraient ou feraient exécuter ces actes arbitraires, sont coupables, et doivent être punis.

Art. XIII.

Les citoyens contre qui l’on tenterait d’exécuter de pareils actes ont le droit de repousser la force par la force ; mais tout citoyen appelé ou saisi par l’autorité de la loi, et dans les formes prescrites par elle, doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

Art. XIV.

Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Art. XV.

Nul ne doit être puni qu’en vertu d’une loi établie, promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Art. XVI.
La loi qui punirait des délits commis avant qu’elle existât, serait un acte arbitraire ; l’effet rétroactif donné à la loi est un crime.
Art. XVII.

La loi ne doit décerner que des peines strictement et évidemment nécessaires à la sûreté générale. Les peines doivent être proportionnées aux délits, et utiles à la société.

Art. XVIII.

Le droit de propriété consiste en ce que tout homme est le maître de disposer à son gré de ses biens, de ses capitaux, de ses revenus et de son industrie.

Art. XIX.

Nul genre de travail, de commerce, de culture, ne peut lui être interdit ; il peut fabriquer, vendre et transporter toute espèce de production.

Art. XX.

Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre lui-même : sa personne n’est pas une propriété aliénable.

Art. XXI.

Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Art. XXII.

Nulle contribution ne peut être établie que pour l’utilité générale, et pour subvenir aux besoins publics. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à l’établissement

des contributions.
Art. XXIII.

L’instruction est le besoin de tous, et la société la doit également à tous ses membres.

Art. XXIV.

Les secours publics sont une dette sacrée de la société ; et c’est à la loi à en déterminer l’étendue et l’application.

Art. XXV.

La garantie sociale des droits de l’homme repose sur la souveraineté nationale.

Art. XXVI.

La souveraineté est une, indivisible, imprescriptible et inaliénable.

Art. XXVII.

Elle réside essentiellement dans le peuple entier, et chaque citoyen a un droit égal de concourir à son exercice.

Art. XXVIII.

Nulle réunion partielle de citoyens et nul individu ne peuvent s’attribuer la souveraineté, exercer aucune autorité, et remplir aucune fonction publique sans une délégation formelle de la loi.

Art. XXIX.

La garantie sociale ne peut exister si les limites des fonctions publiques ne sont pas clairement déterminées par la loi, et si la responsabilité de tous les fonctionnaires publics n’est pas assurée.

Art. XXX.

Tous les citoyens sont tenus de concourir à cette garantie, et de donner force à la loi, lorsqu’ils sont

appelés en son nom.
Art. XXXI.

Les hommes réunis en société doivent avoir un moyen légal de résister à l’oppression.

Art. XXXII.

Il y a oppression, lorsqu’une loi viole les droits naturels, civils et politiques qu’elle doit garantir.

Il y a oppression, lorsque la loi est violée par les fonctionnaires publics, dans son application à des faits individuels.

Il y a oppression, lorsque des actes arbitraires violent les droits des citoyens contre l’expression de la loi.

Dans tout gouvernement libre, le mode de résistance à ces différents actes d’oppression doit être réglé par la constitution.

Art. XXXIII.

Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération n’a pas le droit d’assujettir à ses lois les générations futures ; et toute hérédité dans les fonctions est absurde et tyrannique.