CHAPITRE XII.
BIBLIOGRAPHIE DES SCIENCES MÉDICALES.
MÉDECINE SYSTÉMATIQUE.
Si l’on considère combien sont nouvelles toutes les sciences, on s’étonnera de la multitude d’excellents ouvrages qu’elles ont produits. L’histoire naturelle ne date pas de plus de cent ans ; la chimie date à peine de cinquante ; la minéralogie et la géologie ont été créées de nos jours ; la théorie magnétique, galvanique et électrique ne font que de naître, et cependant toutes ces sciences sont en progrès, toutes offrent des résultats prodigieux pour le bien-être de l’humanité et pour la gloire de l’intelligence. Une seule, la médecine, est restée en arrière, et pour la trouver dans son état normal, c’est au point de départ qu’il faut la prendre ; cette assertion nous fait remonter jusqu’à Hippocrate.
Hippocrate fit de la médecine une science d’observation ; les modernes en ont fait une théorie systématique. Là est l’origine de son peu de progrès. Les systèmes, qui parfois jettent la lumière dans les sciences physiques, en médecine ne produisent que les ténèbres. Être mécanicien, animiste ou humoriste, suivre fatalement les hypothèses de Brown ou de Broussais, inonder le malade de boissons aqueuses, comme Bontekoë ou comme Botal, épuiser dans ses veines la dernière goutte de sang, c’est se faire un bouclier du titre de docteur contre l’article 302 du Code criminel.
Le tableau énergique des révolutions médicales, depuis deux mille ans, manque à l’histoire de la science. On y verrait les peuples livrés successivement aux doctrines les plus meurtrières et les plus tranchées, l’ignorance présente accusant l’ignorance passée, les théories d’un siècle condamnées par les théories du siècle suivant ; en sorte que la médecine aurait toujours été dans l’erreur, qu’elle se serait toujours trompée, c’est-à-dire qu’elle aurait toujours tué ; l’erreur dans l’art d’Hippocrate, c’est la mort. Voilà ce que nous apprend l’histoire des révolutions médicales, et ce sont les médecins eux-mêmes qui ont dressé l’acte d’accusation.
L’ancien traitement de la petite vérole par les sudorifiques et les cordiaux en offre un terrible exemple. Quoique ce traitement fût mortel, les médecins ne cessèrent de l’imposer jusqu’au moment où Sydenham lui substitua un traitement absolument contraire. Alors il eût soin d’observer que la méthode qu’il abolissait avait été plus fatale à l’humanité que ne le serait une guerre de plusieurs siècles !
Un second fait non moins décisif se passe aujourd’hui sous les yeux de l’Europe. Nous avons vu la doctrine de M. Broussais remplacer instantanément la doctrine de Brown. Or, qu’est-ce que représentent ces deux doctrines, si ce n’est la négation et l’affirmation du même principe, deux traitements opposés, dont l’un ne saurait donner la vie sans que l’autre ne donne la mort ?
Ainsi Brown ne voit dans les maladies que des signes d’asthénies et de faiblesse. Vous êtes consumé d’une inflammation générale ; n’importe, il prodigue les échauffants, les toniques, le quinquina, la cannelle, l’opium, le camphre ; il veut vous rendre des forces, vous sur-exciter, et il vous tue.
Dans le système de Broussais, au contraire, toutes les maladies sont des inflammations, des phlogoses, et par conséquent tous les malades, sans distinction, doivent être rafraîchis par des boissons délayantes et affaiblis par des saignées copieuses. S’ils ne guérissent pas, on les couvre de sangsues ; s’ils ne meurent pas, on les saigne de nouveau. Inutilement ils se plaignent d’épuisement et d’asthénie ; tout cela est l’effet d’une cause irritante, d’un stimulus local qui exige de nouvelles et d’intarissables saignées. L’agonie elle-même n’est point un état de débilité. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tout le monde meurt par excès de force, et l’on trouve toujours après la mort des traces d’une phlogose qui aurait infailliblement cédé si on avait répandu plus de sang et fait avaler plus de tisane.
Qui ne voit dans ces deux systèmes un mépris profond de la vie des hommes, joint à une ignorance complète des lois de la nature. L’idée de soumettre tous les faits pathologiques à un principe général est l’idée la plus étroite et la plus meurtrière qui soit jamais entrée dans une cervelle humaine. Le médecin arrive avec un traitement tout fait, le même pour tous les cas ; il n’a besoin ni d’étude ni d’observation, il n’a pas même besoin de voir son malade. Pauvre malade ! il faut qu’il prenne son parti ; sa vie est jouée à pair ou non. Si la théorie rencontre bien, il est sauvé ; si elle rencontre mal, il est mort. Ses héritiers paieront le médecin !
Ces théories exclusives ont quelque chose de la fatalité des anciens ; elles ne se bornent pas à tuer les hommes ; elles favorisent la paresse, établissent l’ignorance, et font des médecins sans études à la manière de Gil-Blas et de Sangrado. Et pourquoi voulez-vous que nos jeunes docteurs se condamnent à étudier les médicaments, lorsque les uns font tout avec les toniques, les autres tout avec la saignée ? Comment leur ferez-vous entendre que la thérapeutique est appelée à juger en dernier ressort de toutes les théories ? deux mots suffisent : saigner et rafraîchir. Rafraîchir et saigner, voilà les grands arcanes de la science ; ils ont tué le premier aphorisme d’Hippocrate. La vie est courte, il est vrai, mais en voyant ce qui se passe, vous serez forcé de convenir que l’art n’est pas long, et que le jugement n’est pas difficile !
Ces faits suffisent pour justifier le vide de cette partie de notre catalogue. Nous avons banni toutes les théories systématiques, c’est-à-dire des bibliothèques entières. En médecine, il n’y a que l’observation, l’expérience, la méthode d’Hippocrate ; tout le reste, quelle que soit la célébrité des noms et la puissance du génie, n’est qu’erreur, empirisme ou charlatanisme !