Plan d’une bibliothèque universelle/III/III

CHAPITRE III.

DES VÉRITABLES LOIS DE LA NATURE.

Passons au droit naturel, qui malheureusement n’a pu offrir qu’un petit nombre d’ouvrages à notre collection. Cette science est toute moderne ; quelques lignes de Bacon la révélèrent à Grotius. Nous avions le droit civil, le droit politique, le droit canonique, droits arbitraires qui menaçaient l’homme bien plus qu’ils ne le protégeaient. En dehors de tous ces droits, le savant jurisconsulte rencontra le droit naturel, c’est-à-dire la loi de la nature, et la science fut fondée. Une science sublime qui doit un jour réformer et gouverner le monde, mais dont Grotius lui-même ne comprit pas toute la portée, et dont il est loin, suivant nous, d’avoir développé les véritables lois !

Comme tous les grands génies qui ouvrent de nouvelles routes, Grotius a eu ses commentateurs et ses disciples. Les commentateurs sont oubliés. Parmi les disciples trois seulement méritent d’être nommés : Puffendorf, Barbeyrac, et Burlamaqui. Voilà les maîtres de la science ; voilà tout ce que la philosophie du droit a produit pour replacer la justice sur ses bases éternelles, pour l’appuyer d’une autorité plus haute que la sagesse humaine !

Si nous ne citons ici ni d’Holbach ni Diderot, c’est qu’ils ont pris le délire des sens, l’assouvissement brutal des passions, pour la loi de la nature, ne s’apercevant pas que la première loi de la nature est l’ordre, que c’est par l’ordre matériel que tout ce qui est matériel existe, et que c’est par l’ordre moral seul que l’homme peut exister. Le code de la débauche, le code des animalités humaines n’est pas plus la loi de la nature, pour les êtres qui ont une âme, que le dévouement à la patrie, l’amour de Dieu et du genre humain n’est la loi de la nature pour les animaux !

Les lois de la nature c’est la pensée de Dieu empreinte dans ses œuvres ; elles sont physiques lorsqu’elles ressortent du monde matériel ; elles sont morales lorsqu’elles ressortent de l’âme humaine.

Leibniz regrettait de ne pas trouver dans les ouvrages de Puffendorf la certitude mathématique ; Leibniz avait raison. Les lois morales de la nature sont aussi positives que ses lois physiques. La grande règle de Keppler que les carrés des temps des révolutions des planètes autour du soleil sont proportionnés aux cubes de leur distance, ne se présente pas avec une certitude mathématique plus rigoureuse que cette loi morale de l’humanité : l’homme incline toujours vers ce qu’il y a de plus beau ! ou cette autre : l’homme n’est complet, il n’est tout ce qu’il peut être que dans sa liberté ! ou encore cette autre : aucun objet ne contient en soi la cause première de son existence : loi sublime qui par l’inconnu nous force à remonter jusqu’à Dieu.

Toutes ces lois sont des faits tirés de l’observation de l’homme, comme les faits mathématiques sont des lois tirées des propriétés de la matière.

De ces principes, il résulte qu’étudier la nature, c’est chercher la pensée de Dieu dans un livre écrit de la main de Dieu même, et que découvrir cette pensée, c’est connaître la vérité et la vertu. Voilà pourquoi nous avons dit que le droit naturel devait un jour réformer le monde. Hâtons-nous donc d’introduire les lois de la nature dans nos lois politiques, puisque c’est le seul moyen d’échapper à la barbarie et au mensonge. N’invoquons plus ni Grotius, ni Barbeyrac, ni Montesquieu, ces grands explorateurs des législations humaines ; une source plus pure nous est ouverte. L’homme fait ses lois suivant ses caprices, Dieu nous a donné les siennes suivant sa sagesse, et c’est dans l’étude de cette sagesse que repose tout l’avenir de l’humanité.

Ainsi une large place reste vide dans notre catalogue, une place plus glorieuse à conquérir que celle de Montesquieu, car le jour où elle sera remplie sera un jour de salut pour le genre humain ! Alors se réalisera la grande pensée de Moïse qui voulait soumettre tous les peuples du monde à la seule loi de Dieu. Mais cette loi ne sera pas la révélation d’un prophète, reçue au sommet de la montagne et gravée sur des tables fragiles ; elle sera une révélation universelle : tous les hommes auront le pouvoir de la lire dans le grand livre de la nature, dont les pensées sont écrites de la main même de Dieu !