Texte établi par Maresq et Cie, Libraires, Vialat et Cie, Éditeurs (p. 263-267).


LV.

une résolution du roi.

Après la mort de la reine, rien n’avait pu retenir Carmen à Madrid. Elle comprenait qu’en y restant elle n’aurait point la force d’exécuter le sacrifice qu’elle avait juré d’accomplir.

Aïxa et Fernand s’aimaient, elle n’en pouvait douter, elle l’avait entendu. En épousant son cousin, elle faisait trois malheureux ; en renonçant à cette union, il n’y avait qu’une infortunée, et c’était elle. Aussi, et malgré les instances de Fernand d’Albayda, malgré les larmes d’Aïxa, elle avait voulu partir ; elle s’était enfermée dans le couvent des Annonciades de Pampelune, où elle s’empressa de commencer son noviciat.

Aïxa, ne pouvant suivre son amie, voulait, et c’était son devoir, retourner à Valence, près de son père ; elle le pouvait maintenant : le départ de Carmen, la mort de la reine, ne lui permettaient plus de rester à Madrid, et elle devait ses soins et son amour au vieillard qui l’aimait si tendrement et qui depuis tant d’années était privé de sa présence.

Juanita était déjà partie : elle allait à Valence retrouver Pedralvi et annoncer l’arrivée d’Aïxa, que la maladie de Yézid retenait encore à l’hôtel de Santarem.

Le jour où Piquillo se présenta devant son frère et lui dit : La reine n’est plus ! Yézid poussa un cri horrible, et tomba dans un morne désespoir et une insensibilité qui fit craindre pour sa vie et pour sa raison. Des semaines entières se passèrent pour lui sans sommeil et sans qu’il parlât ni à Piquillo ni à sa sœur.

De temps en temps, il répétait à voix basse : Marguerite ! Marguerite ! Puis, comme effrayé d’avoir prononcé ce nom, il regardait autour de lui, cachait sa tête dans ses mains et s’enfuyait. Il recevait les soins de son frère et de sa sœur sans les remercier… il ne les reconnaissait pas.

Un jour seulement, Piquillo eut l’idée de lui présenter une bague : c’était une turquoise sur laquelle était gravé le mot arabe Toujours.

À cette vue la raison sembla lui revenir. Au grand étonnement d’Aïxa, ce talisman magique parut le rappeler à la vie ; mais la surprise d’Aïxa redoubla quand elle crut reconnaitre la bague que la reine portait d’ordinaire.

— Qui te l’a donnée, frère ? s’écria Yézid en frémissant.

— Celle qui n’est plus, mais qui veille encore sur nous. Yézid tomba à genoux.

— Elle m’a dit de te la remettre en t’ordonnant de vivre, et de consacrer, comme moi, à tous les tiens, ces jours que tu lui avais donnés. Lui obéiras-tu ?

— Toujours ! répondit Yézid en portant la bague à ses lèvres.

Il fut décidé que dès que la convalescence de Yézid le permettrait, il retournerait avec sa sœur à Valence. Fernand d’Albayda devait aussi plus tard s’établir dans ses beaux et riches domaines qu’il n’avait pas visités depuis longtemps.

Une vague et douce espérance dont il n’aurait osé parler à personne, et qu’il s’avouait à peine à lui-même, venait parfois faire battre son cœur. Il se la reprochait à l’instant, et continuait à s’y livrer.

Dire que cet avenir lointain ne se présenta pas aussi parfois aux yeux d’Aïxa, c’est ce qu’on ne pourrait affirmer, toujours est-il vrai que pas un mot, pas un regard n’avait été échangé entre eux à ce sujet, quoique chaque jour ils parlassent de Carmen. Son souvenir et son image toujours présents eussent fait regarder toute autre idée comme un crime. Le cœur aussi a son veuvage que l’on doit respecter, et que le temps seul permet de rompre.

Le départ d’Aïxa était donc arrêté, mais elle ne pouvait quitter Madrid et la cour sans en prévenir le roi, sans obtenir son agrément, sans lui faire au moins ses adieux, à lui qui s’était toujours montré si affectueux et si bon, et qui, récemment encore, venait de lui témoigner si hautement son estime. Elle fit donc demander une audience à Sa Majesté.

Tous ces arrangements de famille, tous ces détails intérieurs, avaient eu lieu pendant les graves évènements dont nous venons de faire le récit.

À peine remis des rudes frayeurs qu’il avait éprouvées, le duc de Lerma contemplait avec joie, mais avec frayeur encore, la profondeur du précipice dont un miracle l’avait retiré. Il avait cru tout perdu, et il voyait tout sauvé. Il triomphait des événements, de ses ennemis et même de son roi. Son imprévoyance lui comptait, grâce au succès, pour du talent, et son inhabileté pour une haute et sage politique. Jamais, pendant tout le temps de son administration, il n’eut un moment plus brillant et plus glorieux.

La paix garantie pour longtemps par les nouvelles et solides alliances qu’il venait de former, lui donnait enfin le loisir de réparer toutes ses fautes passées, de fermer toutes les plaies du royaume, de former une armée, de rétablir les finances, de ranimer surtout le commerce, l’agriculture et l’industrie, que les Maures seuls soutenaient en Espagne.

Mais au lieu de se livrer à tous ces grands et utiles travaux, le ministre et son frère Sandoval ne rêvaient déjà qu’aux moyens de porter à l’Espagne les derniers coups sous lesquels devait expirer sa prospérité.

Dès le lendemain du succès, le grand inquisiteur s’était hâté de rappeler la promesse que son frère lui avait faite aux jours du danger. Le duc avait promis que s’il échappait à la tempête qui le menaçait, il ne s’opposerait plus aux desseins du ciel et de son frère, et qu’il seconderait celui-ci de tout son pouvoir, afin d’arriver à l’expulsion totale des Maures d’Espagne.

Le premier ministre, s’il avait été son maître, aurait entrepris sur-le-champ une autre croisade qui lui paraissait plus urgente et plus utile à ses intérêts particuliers ; c’était l’expulsion immédiate et complète des révérends pères jésuites, ses ennemis mortels. La fermeté inusitée que le roi avait déployée dans le conseil, l’air gêné et contraint avec lequel il accueillait son ministre, l’espèce d’antipathie et de répulsion que maintenant encore il lui témoignait, tout cela était l’ouvrage du père Jérôme, qui, quelquefois encore, continuait à voir le roi en secret.

Le duc commençait à le comprendre, c’était de là que venaient les calomnies qui circulaient sur son compte ; c’était de là que viendrait sa ruine, et il lui tardait de dissoudre une coalition implacable et intime dont son fils était le chef.

Le ministre, désormais défilant, avait tout examiné avec soin.

Elle souleva la première tapisserie, et au moment où elle allait écarter la seconde, elle entendit prononcer son nom.

Les renseignements qu’il avait acquis par Piquillo s’étaient trouvés tous exacts. Lui et Sandoval ne pouvaient se dissimuler que ce moine inconnu et obscur les avait mieux servis que leurs amis les plus dévoués. C’était lui qui les avait sauvés, et ce qui redoublait leur étonnement, c’est que ce moine, humble et modeste, sans intrigue comme sans ambition, se tenait à l’écart et semblait prendre à tâche de s’effacer, lorsque la faveur dont il jouissait près du roi, et surtout près de la reine, aurait pu le porter au premier rang.

Ignorant surtout les liens qui l’attachaient à Aïxa, le ministre et le grand inquisiteur le regardaient comme un auxiliaire utile dont ils ne se servaient pas, mais dont ils pouvaient se servir.

L’occasion ne tarda pas à se présenter.

Ainsi que l’avait prévu et espéré l’habile supérieur de la Compagnie de Jésus, on venait d’apprendre la mort du cordelier frey Gaspard de Cordova.

Il fallait lui donner un successeur.

C’était là le but des visites secrètes que le père Jérôme faisait au roi. Il comptait faire nommer à cette place de confesseur quelqu’un de son ordre. Il avait déjà parlé, comme nous l’avons vu, du frère Escobar, que le duc d’Uzède soutenait de tout son pouvoir, manœuvres auxquelles s’opposaient le ministre et surtout le grand inquisiteur, qui voulait cette fois que le confesseur du roi fût pris dans l’ordre de Saint-Dominique.

Il proposa donc un cousin à lui.

À sa profonde surprise, le roi eut le courage inouï, pour ne pas dire l’audace, de refuser. À son tour, et dans son dépit, l’inquisiteur eut l’insolence de repousser nettement Escobar, que le roi lui avait désigné.

Or, comme le consentement royal et l’approbation du saint-office étaient également nécessaires, il n’y avait pas moyen de mettre fin à ce débat, et le roi courait risque de rester sans confesseur, ce qui eût été le plus grand des scandales.

Le duc de Lerma pensa à Piquillo, qui lui était dévoué, et dont l’humilité et la modestie lui convenaient fort : de plus, il en avait eu la preuve, c’était l’ennemi mortel du père Jérôme et d’Escobar.

L’inquisiteur l’accepta, car c’était un dominicain, et le roi, déjà effrayé d’avoir montré tant de courage, n’eut garde de le refuser, car c’était le frère d’Aïxa, secret connu de lui seul et de don Fernand.

Ce fut ainsi, et comme l’attestent tous les historiens contemporains[1], que frey Luis Alliaga, sans le vouloir et sans même y penser, arriva, par le duc de Lerma, à la place de confesseur du roi, place inoffensive avec lui et si redoutable avec un prêtre intrigant.

Aussi Escobar, se voyant encore une fois supplanté par Piquillo, malgré les bonnes intentions du roi et la protection du duc d’Uzède, commença à croire qu’il y avait mauvaise volonté de la part de celui-ci.

Dès ce moment commença entre les anciens alliés une mésintelligence que le ministre prit soin d’augmenter, et qui, ainsi qu’on le verra, ne tarda pas à éclater.

En attendant, Piquillo était confesseur du roi ; il était dans sa destinée de s’élever par ses ennemis et de leur devoir sa fortune.

Le grand inquisiteur promit à son tour au duc de Lerma de favoriser plus tard, et de toute son influence, le bannissement des pères de la Compagnie de Jésus. Tout l’y portait, son inclination, son intérêt et l’amitié qu’il avait pour son frère, mais il voulait qu’avant tout on s’occupât de l’expulsion des Maures, et il employa un dernier argument qui décida sur-le-champ le ministre :

Le chapeau de cardinal que le duc avait sollicité de la cour de Rome, et que les intrigues du père Jérôme l’avaient jusqu’ici empêché d’obtenir, ce chapeau, objet de tous ses vœux, avait été formellement promis par le pape le jour où les Maures seraient chassés d’Espagne, et jamais les circonstances n’avaient été plus favorables. Tous les obstacles semblaient d’eux-mêmes s’aplanir à la mort de la reine, qui laissait leurs ennemis sans protection aucune ; la paix avec la France, qui leur permettait de disposer de toutes les forces militaires de l’Espagne et de les concentrer, en cas de résistance, sur les provinces de Valence et de Grenade ; enfin, les services rendus récemment par le ministre et qui lui donnaient le droit de tout exiger.

Il fallait donc se hâter de présenter au roi le décret de bannissement et l’engager à le signer.

Il y avait un obstacle, il est vrai, l’amour du roi pour Aïxa ; mais le roi avait ignoré jusqu’ici que celle qu’il aimait fût une Maure ; on pouvait bien le lui cacher encore, et s’il venait à le découvrir, trois moyens restaient : gagner Aïxa, ou la perdre, ou enfin effrayer le roi, en opposant à sa maîtresse la cour de Rome, et à son amour l’excommunication.

Le jeune roi, qui ne se doutait pas des nouvelles inquiétudes et des nouveaux combats qui allaient l’assaillir, se trouvait déjà bien malheureux. Jamais il ne s’était vu dans une position pareille. Forcé de subir, bien plus, d’approuver et de louer avec tout le monde un ministre qu’il n’aimait plus, qu’il craignait et qu’il regardait comme coupable, comment maintenant lui faire son procès ? le roi ne l’avait pas osé la veille de sa chute, à plus forte raison le lendemain de son triomphe.

Il ne pouvait même pas, quoique l’envie commençât à lui en venir, destituer un ministre qui venait de sauver l’Espagne, mais peu habile à dissimuler, il n’avait pu cacher à son favori, qui du reste s’en était aperçu, l’espèce d’éloignement et de crainte instinctive qu’il éprouvait pour lui. Mais ses craintes, ses tourments, ses humiliations, à qui les confier ? Il regardait autour de lui et ne se voyait pas un ami. Il était seul au milieu de la cour.

Pour comble de maux, il aimait Aïxa plus que jamais, et depuis qu’il ne la voyait plus, son amour avait redoublé, indifférent aux destinées de l’État, dont il avait abandonné les rênes, il ne rêvait plus qu’aux moyens de se rapprocher de la seule personne qui lui fût chère.

C’est dans ce moment qu’il reçut d’elle une demande d’audience ; Sa Majesté ne la fit pas attendre.

Au moment où entra la duchesse de Santarem, le roi pâlit, et son trouble fut si visible qu’Aïxa elle-même en fut déconcertée.

— Qu’avez-vous à me demander, madame la duchesse ? Parlez, Que me voulez-vous ?

— Remercier Votre Majesté de toutes les bontés dont elle m’a comblée, et lui faire mes adieux.

— Vous partez, vous ! dit le roi.

Il resta interdit et murmura avec un air de profonde douleur :

— Je suis bien malheureux !

— Vous, sire ?

— Oui, depuis quelques jours, tout semble m’accabler… C’est là le dernier coup.

— En vérité, sire, je ne puis croire à ce que vous me dites là. Mon départ est un événement de si peu d’importance !

— Écoutez-moi, duchesse.

Il s’arrêta, comme s’il luttait contre sa timidité ; puis, rassemblant tout son courage, il lui dit d’une voix qu’il essayait de rendre ferme, et qui tremblait d’émotion :

— Je vous aime !….. Oui… oui… c’est la première fois que ce mot sort de ma bouche… mais il ne vous a rien appris.

Aïxa avait trop de franchise et de loyauté pour chercher de vains détours : elle se contenta de garder le silence, et le roi reprit :

— Oui, vous savez bien que je vous aime, et vous comprendrez alors combien ce départ m’afflige. Je n’avais aucun plaisir, aucun bonheur… que celui de vous voir.

— Et depuis longtemps, sire, depuis la mort de la reine, je ne venais plus à la cour.

— Avez-vous besoin de le dire, et croyez-vous que je ne m’en sois pas aperçu ? j’ai si peu d’amis que quand il ne m’en manque un, il ne m’en reste plus. Voilà ce que j’ai éprouvé en votre absence ! Vous n’étiez plus là, c’est vrai, mais je vous savais à Madrid… Je pouvais vous rencontrer… comme l’autre jour, par exemple. Cela n’arrivait pas, continua-t-il avec un sentiment douloureux, mais j’espérais que cela arriverait… c’était quelque chose, c’était une émotion dans ma vie !

À l’aveu de cet amour exprimé si simplement et si franchement, Aïxa ne savait que répondre ; elle balbutia quelques mots de respect et de dévouement pour le roi…

— Oui, s’écria celui-ci avec amertume : le roi ! toujours le roi ! c’est-à-dire celui que personne n’aime… Celui qui est condamné au respect et à l’isolement, c’est là le roi ! Voyez-vous, duchesse, je n’ai eu qu’un jour heureux dans ma vie, ou plutôt une soirée, celle où j’étais Augustin de Villa-Flor… votre cousin… ou que du moins vous me traitiez comme tel… Et quand je bénis cette soirée… je ne sais pas pourquoi… car c’est depuis ce temps-là que je vous aime !

— Votre Majesté me permettra-t-elle de lui dire…

— Parlez-moi comme alors, parlez-moi franchement, dussiez-vous tourner en dérision ma faiblesse.

— Jamais, sire ; aujourd’hui comme alors, je vous remercierai de votre amitié. Aujourd’hui comme alors, je vous dirai : pourquoi le roi remet-il à d’autres le pouvoir que le ciel lui a confié ? pourquoi ne cherche-t-il pas dans les devoirs, dans les travaux qui lui sont imposés, une distraction à des chagrins qui s’effaceront bien vite… pourvu qu’il le veuille seulement.

— Oui, il n’y a que vous qui m’ayez jamais parlé ainsi ; mais ce courage et cette force de volonté, il ne suffit pas de me les conseiller, il faut me les donner, et je ne les ai que quand je vous entends, quand vous êtes là ! Ne me quittez donc pas, duchesse, je ne suis rien par moi-même, je suis tout par vous.

Et dans les yeux du pauvre roi roulait une larme qui, mieux que ses paroles, semblait dire : restez.

— Je le voudrais, sire, mais cela n’est pas possible.

— Restez pour me donner la force de déjouer les piéges qui me menacent, pour démasquer les traitres qui m’entourent…

— Serait-il vrai, sire ?

— Oui, oui, ce dont je vous parlais l’autre jour… Tout cela n’est que trop vrai… je ne vois ici que des ennemis… je ne puis me fier qu’à vous, et vous m’abandonnez !

Alors, dans un trouble inexprimable, il tomba à ses genoux ; et saisissant sa main, qu’il baigna de ses larmes, il s’écria avec chaleur :

— C’est moi ! c’est votre roi… non, c’est votre ami qui vous supplie. Restez, pour que ce peuple qui me méprise m’honore et m’estime ; restez, pour que mon règne soit glorieux… ou plutôt… restez pour que je vous aime, pour que je jette à vos pieds ce sceptre et cette couronne, auxquels je n’aurai dû qu’un jour de bonheur, celui où je vous les aurai donnés !

— Sire ! sire ! relevez-vous ! lui dit Aïxa ; revenez à la raison et daignez m’écouter.

Je ne puis rester en ce palais sans manquer à la mémoire de la reine, votre femme et ma bienfaitrice, sans manquer moi-même à mes devoirs ; et pouvez-vous penser qu’au moment où je vous rappelle les vôtres j’oublierais les miens ?

Mon seul bien, ma royauté à moi, c’est mon honneur, et cette royauté, je saurai la conserver et la défendre comme je vous conseillais de défendre la vôtre.

Ne vous fâchez pas de mes paroles, sire, votre amitié seule me toucherait plus que vos grandeurs. Je n’ai point d’ambition ; je n’en ai qu’une du moins, celle de rester une honnête femme, et si je cédais à vos vœux, vous qui prétendez m’aimer, vous seriez à jamais malheureux, car le jour où je deviendrais votre maîtresse serait le dernier de ma vie : je me tuerais !

Ces mots étaient prononcés avec une simplicité et une franchise si énergiques, qu’il n’y avait pas à douter qu’ils ne partissent du cœur, et qu’Aïxa n’eût dit la vérité.

Le roi en fut comme effrayé. Il la regarda quelque temps en silence et avec respect. Puis, comme frappé d’une idée nouvelle, son front s’éclaircit, son cœur oppressé respira plus librement.

— Vous avez raison, duchesse, et je vous prouverai que j’étais digne de vous comprendre ; je vous prouverai que mon amour n’était pas un amour ordinaire. Ne partez pas, cependant, accordez-moi encore huit jours. Vous ne les refuserez point à votre roi… à votre ami !

Aïxa s’inclina en signe d’assentiment.

— Bien, bien, duchesse, je vous remercie de cette promesse ; j’en demande une seconde, c’est que vous ne partirez point sans me faire vos adieux.

— Je remercie Votre Majesté de l’honneur qu’elle veut bien me faire et je me rendrai à ses ordres.

— À mes ordres… non ! mais à ma prière. Je vous attendrai donc ici, dans huit jours, à la même heure.

La duchesse fit au roi une profonde révérence et se retira.

Le roi la suivit longtemps encore des yeux pendant qu’elle traversait les vastes salons du palais. Il admirait cette taille majestueuse, cet air noble et fier, cette démarche de reine.

— Oui, se disait-il avec chaleur : elle mérite ce que je veux faire pour elle ; c’est une belle et généreuse pensée qu’elle seule pouvait inspirer, et depuis qu’elle m’est venue, mes inquiétudes se dissipent, le présent ne m’effraie plus, l’avenir me sourit. Que sera-ce donc quand cette idée sera exécutée ? c’est là le difficile ! mais, comme elle le disait, il ne s’agit que de vouloir pour renverser tous les obstacles, et cette fois j’aurai une volonté.

Le roi avait, en effet, conçu un projet que nul, à coup sûr, n’eût pu soupçonner, et que son amour seul pouvait faire comprendre. Voyant bien que la duchesse de Santarem n’était pas femme à céder à ses désirs de roi ; persuadé, comme elle le lui avait dit, qu’elle se tuerait plutôt que d’être sa maîtresse, et, d’un autre côté, ne pouvant se résoudre à renoncer à elle, il avait résolu d’en faire sa femme et son premier ministre.

Puisqu’il était dans son caractère d’être subjugué et dirigé, il valait mieux l’être par Aïxa que par le duc de Lerma, et décidé, sitôt qu’il le pourrait, à se défaire de celui-ci, il ne pouvait pas choisir un successeur qui lui convint mieux et qui lui fût plus agréable.

  1. Le duc de Lerma s’imagina de tirer d’un couvent le moine Louis Alliaga, qu’il introduisit à la cour et fît nommer confesseur du roi ; homme obscur, mais d’une probité reconnue. (Watson, Histoire de Philippe III, vol. 2, liv. 6, page 289).