Pierre Deloire — Durckheim

Pierre Deloire (pseudonyme de )
Émile Durckheim — Le Suicide
La Revue socialistetome XXVI (p. 635-636).
Émile Durkheim, professeur de sociologie à la Faculté des Lettres de l’Université de Bordeaux. — Le Suicide, étude de sociologie. — F. Alcan, éditeur.

M. Durkheim étudie dans ce livre le suicide en ce en quoi le suicide est un phénomène social, c’est-à-dire déterminé par des causes humaines non individuelles. Non pas que l’auteur méconnaisse la valeur des causes humaines individuelles ; non pas qu’il méconnaisse la valeur des causes non humaines, des causes naturelles ; mais il pense que toutes ces causes non sociales laissent intacte la valeur des causes sociales : dès lors celles-ci peuvent constituer un objet propre à la sociologie.

M. Durkheim, pour étudier cet objet, se sert surtout de la statistique : il est ainsi condamné à n’étudier que les manifestations extérieures, toujours un peu grossières et inexactes, des sentiments sociaux qui peuvent causer le suicide ; mais il étudie ces manifestations avec une scrupuleuse patience de savant ; nous regretterons seulement qu’il n’ait pas pris garde assez peut-être aux définitions d’où il est parti pour établir ses chiffres : par exemple quand il parle du vol il oublie le vol incessant du surtravail commis par la plupart des employeurs, et quand il parle de l’infanticide il paraît oublier que sans doute il y a des raisons pour que ce soient les femmes qui commettent ce crime…

M. Durkheim distingue ainsi quatre espèces de suicides : les suicides égoïstes, c’est-à-dire ceux qui sont causés par le manque de société, ceux qui « varient en raison inverse du degré d’intégration de la société » religieuse, de la société domestique, de la société politique, en un mot des groupes sociaux dont fait partie l’individu ; les suicides altruistes, c’est-à-dire ceux qui sont causés par le manque d’individualité ; les suicides anomiques, c’est-à-dire ceux qui sont causés par le déséquilibre de la vie ; enfin les suicides que l’on pourrait appeler fatalistes, et qui sont causés par l’ennui d’un invariable équilibre.

En particulier M. Durkheim constate que le suicide égoïste, considéré comme une maladie sociale, s’est beaucoup aggravé dans notre civilisation occidentale depuis le commencement de ce siècle. Pour porter remède à ce mal, il faut reconstituer, et sans doute il suffit, selon lui, de reconstituer en sociétés solides les groupements corporatifs. M. Durkheim oublie que ce n’est pas en vain que les hommes ont goûté au désir de l’harmonie universelle et perdu le goût des harmonies trop particulières. Pour que le boulanger d’à présent aime à se lier d’une société solide avec les boulangers ses voisins, il faut qu’il sente au-dessus de sa corporation une la cité une et harmonieuse dont sa corporation sera seulement un organe. Le temps est passé où l’on pouvait espérer bâtir avec des justices et des harmonies particulières en définitive une injustice totale.

Pierre Deloire