Pièces ajoutées aux Amours Livre II (1560)
Docte Buttet, qui as montré la voye
Aux tiens de suivre Apollon et son Chœur,
Qui le premier t’espoinçonnant le cœur,
Te fist chanter sur les mons de Savoye,
Puis que l’amour à la mort me convoye,
De sur ma tombe (apres que la douleur
M’aura tué) engrave mon malheur
De ces sept vers qu’adeullez je t’envoye :
Celuy qui gist sous cette tombe icy
Aima premiere une belle Cassandre,
Aima seconde une Marie aussy,
Tant en amour il fut facile a prendre.
De la premiere il eut le cœur transy
De la seconde il eut le cœur en cendre,
Et si des deux il n’eut oncques mercy.
AU SEIGNEVR L’HVILLIER
L’Huillier (à qui Phcebus comme au seul de nostre
A donné ses beaus vers et son Lut en partage : [age,
En ta faueur icy je chante les amours
Que Perrot et Thoinet souspirerent à Tours,
L’un espris de Francine, et l’autre de Marie.
Ce Thoinet est Baif, qui doctement manie
Les mestiers d’Apollon, ce Perrot est Ronsard
Que la Muse n’a fait le dernier en son art)
Si ce grand duc de Guyse, honneur de nostre France,
N’amuse poinct ta plume en chose d’importance,
Prestes moi ton aureille, et t’en viens lire icy
L’amour de ces pasteurs, et leur voyage aussi.
Le voiage de Tours, ou les amoureus Thoinet et Perrot
C’estoit en la saison que l’amoureuse Flore
Faisoit pour son amy les fleurettes esclore,
Par les prés bigarés d’autant d’aimail de fleurs
Que le grand arc du ciel s’emaille de couleurs :
Lors que les papillons et les blondes avettes,
Les uns chargez au bec, le autres aus cuissettes,
Errent par les jardins, et les petites oyseaus,
Volletans par les bois de rameaus en rameaus,
Amassent la bechée, et parmy la verdure
Ont souci comme nous de leur race future.
Thoinet, en ce beau tems, passant par Vandomois,
Me mena voir à Tours Marion, que j’aimois,
Qui aus nopces estoit d’une sienne cousine,
Et ce Thoinet aussi alloit voir sa Francine,
Que la grande Venus, d’un trait plein de rigueur,
Luy avoit sans mercy écrite dans le cœur.
Nous partismes tous deus du hameau de Coustures.
Nous passames Gastine et ses hautes verdures :
Nous passames Marré, et vismes à mi-jour
Du pasteur Phelipot s’eslever la grand tour
Qui de Beaumont la Ronce honore le village,
Comme un pin fait honneur aus fueilles d’un bocage.
Ce pasteur, qu’on nommoit Phelipot le gaillard,
Courtois, nous festoya jusques au soir bien tard.
De là vinsmes coucher au gué de Lengenrie,
Sous les saules plantés le long d’une praerie :
Puis, des le poinct du jour redoublant le marcher,
Nous vismes dans un bois s’eslever le clocher
De sainct-Cosme, pres Tours, où la nopce gentile
Dans un pré se faisoit au beau millieu de l’isle.
Là Francine dançoit, de Thoinet le souci,
Là Marion balloit, qui fut le mien aussi.
Puis, nous mettans tous deus en l’ordre de la dance,
Thoinet tout le premier ceste pleinte commence :
Ma Francine, mon cœur, qu’oublier je ne puis,
Bien que pour ton amour oublié je me suis,
Quand dure en cruauté tu passerois les Ourses
Et le torrens d’yver desbordez de leurs courses,
Et quand tu porterois en lieu d’humaine chair,
Au fond de l’estomac, pour un cœur un rocher,
Quand tu aurois sucé le laict d’une Lyonne,
Quand tu serois autant qu’une Tigre felonne,
Ton cœur seroit encor de mes pleurs adouci,
Et ce pauvre Thoinet tu prendrois à merci
Je suis, s’il t’en souvient, Thoinet qui, des jeunesse,
Te voyant sur le Clain, t’appella sa maitresse,
Qui musette et flageol à ses levres usa
Pour te donner plaisir : mais cela m’abusa,
Car, te pensant flechir comme une femme humaine,
Je trouvay ta poitrine et ton aureille pleine
Helas ! qui l’eust pensé, de cent mille glaçons,
Lesquelz ne t’ont permis d’escouter mes chansons :
Et toutesfois le tems, qui les pretz de leurs herbes
Despouille d’an en an, et les champs de leurs gerbes,
Ne m’a point despouillé le souvenir du jour
Ny du mois où je mis en tes yeux mon amour,
Ny ne fera jamais, voire eussai-je avallée
L’onde qui court là bas sous l’obscure valée.
C’estoit au mois d’Avril, Francine, il m’en souvient,
Quand tout arbre florist, quand la terre devient
De vieillesse en jouvence, et l’estrange arondelle
Fait contre un soliveau sa maison naturelle
Quand la lymace, au dos qui porte sa maison
Laisse un trac sur les fleurs, quand la blonde toison.
Va couvrant la chenille, et quand parmy les prées
Vollent les papillons aux aesles diaprées,
Lors que fol je te vy, et depuis je n’ay peu
Rien voir apres tes yeux que tout ne m’ait dépleu.
Il y a bien six ans, et si dedans l’oreille
J’entens encor’ le son de ta vois nompareille,
Qui me gaigna le cœur, et me souvient encor
De ta vermeille bouche et de tes cheveus d’or,
De ta main, de tes yeus : et si le tems qui passe
A depuis dérobé quelque peu de leur grace,
Si est-ce que de toi je ne suis moins ravy
Que je fus sur le Clain le jour que je te vy
Surpasser en beauté toutes les pastourelles
Que les jeunes pasteurs estimoient les plus belles.
Car je n’ay pas égard à cela que tu es,
Mais à ce que tu fus tant les amoureus traits.
Te graverent dans moy, voire de telle sorte
Que telle que tu fus telle au cœur je te porte.
Des l’heure que le cœur des yeus tu me persas,
Pour en scavoir la fin je fis tourner le sas
Par une Janetton, qui au bourg de Crotelles,
Soit du bien, soit du mal, disoit toutes nouvelles.
Apres qu’elle eut trois fois craché dedans son sein,
Trois fois esternué, elle prist du levain,
Le rettate en ses dois, et en fist une image
Qui te sembloit de port, de taille et de visage :
Puis tournoyant trois fois et trois fois marmonnant,
De sa gertiere alla tout mon col entournant,
Et me dist, Je ne tiens si fort de ma gertiere
Ton col, que ta vie est tenue prisonniere
Par les mains de Francine, et seulement la mort
Dénoura le lien qui te serre si fort :
Et n’espere jamais de vouloir entreprendre
D’échauffer un glaçon qui te doit mettre en cendre.
Las ! je ne la creu pas, et pour vouloir adoncq
En estre plus certain, je fis couper le joncq
La veille de Sainct Jehan : mais je vis sur la place
Le mien, signe d’Amour, croistre plus d’une brasse,
Le tien demeurer court, signe que tu n’avois
Souci de ma langueur, et que tu ne m’aimois,
Et que ton amitié, qui n’est point assurée,
Ainsi que le jonc court est courte demeurée.
Je mis pour t’essaier encores d’avant-hier
Dans le creus de ma main des feuilles de coudrier :
Mais en tappant dessus nul son ne me rendirent,
Et flaques sans sonner sur la main me fanirent,
Vray signe que je suis en ton amour mocqué,
Puis qu’en frapant dessus elles n’ont point craqué,
Pour monstrer par effait, que ton cœur ne craquette,
Ainsi que fait le mien, d’une flame segrette.
O ma belle Francine ! ô ma fiere ! et pourquoy,
En dançant, de tes dois ne me prens tu le doy ?
Pourquoy, lasse du bal, entre ces fleurs couchée,
N’ai je sur ton giron ou la teste panchée,
Ou la main sous ta cotte, ou la levre dessus
Ton tetin, par lequel ton prisonnier je fus ?
Te semblai je trop vieil ? encor la barbe tendre
Ne fait que commencer sur ma joue à s’estendre,
Et ta bouche qui passe en beauté le coural,
S’elle veult me baiser, ne se fera point mal :
Mais, ainsi qu’un lizard se cache sous l’herbette,
Sous ma blonde toison cacheras ta languette,
Puis, en la retirant, tu tireras à toy
Mon cœur, pour te baiser qui sortira de moy.
Helas prens donc mon cœur, avecques ceste paire
De ramiers que je t’offre, ils sont venus de l’aire
De ce gentil ramier dont je t’avois parlé.
Margot m’en a tenu plus d’une heure acollé,
Les pensant emporter pour les mettre en sa cage,
Mais ce n’est pas pour elle : et demain davantage
Je t’en raporteray, avecques un pinson
Qui desja scait par cœur une belle chanson,
Que je fis l’autre jour desous une aubespine,
Dont le commencement est Thoinet et Francine.
Ha cruelle, demeure, et tes yeus amoureus
Ne détourne de moy. Ha je suis malheureus,
Car je cognois mon mal, et si ay cognoissance
D’Amour et de sa mere, et quelle est leur puissance :
Leur puissance est cruelle, et n’ont point d’autre jeu.
Sinon que de bruler nos cœurs à petit feu,
Ou de les englacer, comme aiant pris leur estre
D’une glace ou d’un feu qu’on ne sçauroit cognoistre.
Ha ! que ne suis-je abeille ou papillon ! j’irois
Maugré toy te baiser, et puis je m’assirois
Sur tes tetins, à fin de sucer de ma bouche
Cette humeur qui te fait contre moy si farouche.
O belle au dous regard, Francine au beau sourci,
Baise moy, je te prie, et m’embrasses ainsi
Qu’un arbre est embrassé d’une vigne bien forte :
"Souvent un vain baiser quelque plaisir aporte.
Je meurs ! tu me feras despecer ce bouquet
Que j’ai cueilli pour toi, de thin et de muguet,
Et de la rouge fleur qu’on nomme Cassandrette,
Et de la blanche fleur qu’on appelle Olivette,
A qui Bellot donna et la vie et le nom,
Et de celle qui prent de ton nom son surnom.
Las ! où fuis tu de moi ? Ha ma *fiere ennemie,
Je m’en vois despouiller jaquette et souquenie,
Et m’en courray tout nud au haut de ce rocher
Où tu vois ce garçon à la ligne pescher,
Afin de me lancer à corps perdu dans Loyre
Pour laver mon souci, ou à fin de tant boyre
D’escumes et de flots, que la flamme d’aimer
Par l’eau contraire au feu, se puisse consumer.
Ainsi disoit Thoinet, qui se pasma sur l’herbe,
Presque transi de voir sa dame si superbe,
Qui rioit de son mal, sans daigner seulement
D’un seul petit clin d’œil apaiser son tourment.
J’ouvrois desja la levre apres Thoinet pour dire
De combien Marion m’estoit encores pire,
Quand j’avisé sa mere en haste gagner l’eau,
Et sa fille emmener avecq elle au bateau,
Qui se jouant sur l’onde attendoit cette charge,
Lié contre le tronc d’un saule au feste-large.
Ja les rames tiroient le bateau bien panssu,
Et la voile en enflant son grand repli bossu,
Emportoit le plaisir lequel me tient en peine,
Quand je m’assis au bord, estendu sur l’arene,
Et voiant le bateau qui s’en fuioit de moy,
Parlant à Marion, je chanté ce convoy :
Bateau qui par les flots ma chere vie emportes,
Des vents, en ta faveur, les haleines soient mortes,
Et le ban perilleus, qui se treuve parmy
Les eaux, ne t’envelope en son sable endormy :
Que l’air, le vent, et l’eau favorisent ma dame,
Et que nul flot bossu ne rencontre sa rame :
En guise d’un estang, sans vagues paresseus
Aille le cours de Loyre, et son limon crasseus
Pour ce jourd’huy se change en gravelle menue,
Pleine de meint rubi et meinte perle esleue.
Que les bords soient semez de mille belles fleurs
Representant sur l’eau mille belles couleurs,
Et le tropeau gaillard des gentiles Nayades
Alentour du vaisseau face mille gambades,
Les unes balloyant des paumes de leurs mains
Les flots devant la barque, et les autres leurs seins
Descouvrant à fleur d’eau, et d’une main ouvriere
Conduisant le bateau du long de la riviere.
L’azuré martinet puisse voler d’avant
Avecques la mouette, et le plongeon, suivant
Son malheureus destin, pour le jourd’huy ne songe
En sa belle Esperie, et dans l’eau ne se plonge :
Et le heron cryard, qui la tempeste fuit,
Haut pendu dedans l’air, ne face point de bruit :
Ains tout gentil oiseau qui va charcheant sa proye
Par les flots poissonneus, bien-heureux te convoye,
A seurement venir avecq’ta charge au port,
Où Marion voirra, peut estre, sur le bord
Un orme, des longs bras d’une vigne enlassée,
Et la voyant ainsi doucement embrassée,
De son pauvre Perrot se pourra souvenir,
Et voudra sur le bord embrassé le tenir.
On dit au temps passé que quelques uns changerent
En riviere leur forme, et eus mesmes nagerent
En l’eau qui de leur sang et de leurs yeux sailloit,
Quand leur corps ondoyant peu à peu defailloit :
Que ne puis-je muer ma resamblance humaine
En la forme de l’eau qui cette barque emmeine !
J’irois en murmurant sous le fond du vaisseau,
J’irois tout alentour, et mon amoureuse eau
Bais’roit ore sa main, ore sa bouche franche,
La suivant jusqu’au port de la Chapelle blanche :
Puis, forçant mon canal pour ensuivre mon vueil,
Par le trac de ses pas j’yrois jusqu’à Bourgueil,
Et là, dessous un pin, sous la belle verdure,
Je voudrois retenir ma premiere figure.
N’y a-t-il point quelque herbe en ce rivage icy
Qui ait le gous si fort qu’elle me puisse ainsi
Muer comme fit Glauque en aquatique monstre,
Qui, homme ny poisson, homme et poisson se montre ?
Je voudrois estre Glauque, et avoir dans mon sein
Les pommes qu’Ippomane eslançoit de sa main
Pour gaigner Atalante afin de te surprendre,
Je les rurois sur l’eau, et te ferois aprendre
Que l’or n’a seulement sur la terre pouvoir,
Mais qu’il peult de sur l’eau les femmes decevoir.
Or cela ne peult estre, et ce qui se peult faire
Je le veus achever afin de te complaire :
Je veus soigneusement ce coudrier arroser,
Et des chapeaus de fleurs sur ses fueilles poser :
Et avecque un poinçon je veus de sur l’escorce
Engraver de ton nom les six lettres à force,
Afin que les passans, en lisant Marion,
Facent honneur à l’arbre entaillé de ton nom.
Je veus faire un beau lit d’une verte jonchée,
De parvanche fueillue encontre bas couchée,
De thin qui fleure bon et d’aspic porte-epy,
D’odorant poliot contre terre tapy,
De neufard tousjours verd qui les tables immite,
Et de jonc qui les bords des rivieres habite.
Je veus jusques au coude avoir l’herbe, et si veus
De rose et de lis coronner mes cheveus.
Je veus qu’on me defonce une pipe angevine,
Et en me souvenant de ma toute divine,
De toy mon dous souci, espuiser jusqu’au fond
Mille fois ce jourd’huy mon gobelet profond,
Et ne partir d’icy jusqu’à tant qu’à la lye
De ce bon vin d’Anjou la liqueur soit faillie.
Melchior champenois, et Guillaume manceau,
L’un d’un petit rebec, l’autre d’un chalumeau,
Me chanteront comment j’eu l’ame dépourveue
De sens et de raison si tost que je t’eu veue,
Puis chanteront comment, pour flechir ta rigueur,
Je t’appellay ma vie, et te nommay mon cœur,
Mon œil, mon sang, mon tout : mais ta haute pensée
N’a voulu regarder chose tant abaissée,
Ains en me desdaignant tu aimas autre part
Un, qui son amitié chichement te départ :
Voila comme il te prent pour mespriser ma peine,
Et le rusticque son de mon tuyau d’avaine.
Ils diront que mon teint, au paravant vermeil,
De creinte en te voyant se blanchit, tout pareil
A la neige d’Auvergne, ou des monts Pyrenées,
Qui se conserve blanche en despit des années,
Et que, depuis le tems que l’amour me fist tien,
De jour en jour plus triste et plus vieil je devien.
Puis ils diront comment les garçons du village
Disent que ta beauté touche desjà sur l’age,
Et qu’au matin le coq des la pointe du jour
Ne voirra plus sortir ceus qui te font l’amour :
Bien fol est qui se fie en sa belle jeunesse,
Qui si tost se dérobbe ; et si tost nous delaisse.
La rose à la parfin deveint un grate-cu,
Et tout, avecq le tems, par le tems est vaincu.
Quel passetems prens tu d’habiter la valée
De Bourgueil, où jamais la Muse n’est allée ?
Quitte-moy ton Anjou, et vien en Vendomois.
Là s’eslevent au ciel le sommet de nos bois,
Là sont mille taillis et mille belles pleines,
Là gargouillent les eaus de cent mille fonteines,
Là sont mille rochers, où Echon alentour
En resonnant mes vers ne parle que d’Amour.
Ou bien si tu ne veus, il me plaist de me rendre
Angevin, pour te voir, et ton langage aprendre,
Et là, pour te flechir, les hauts vers que j’avois
En ma langue traduit du Pindare Gregeois,
Humble je rediray en un chant plus facile
Sur le dous chalumeau du pasteur de Sicille.
Là, parmy tes sablons, Angevin devenu
Je veus vivre sans nom comme un pauvre incognu,
Et des l’aube du jour avecq’toy mener paistre
Aupres du port Guiet nostre tropeau champestre :
Puis sur l’ardant midi je veus en ton giron
Me coucher sous un chesne, où l’herbe à l’environ
Un beau lit nous fera de mainte fleur diverse,
Où nous serons tournés tous deus à la renverse.
Puis au soleil couchant nous menerons nos bœufs
Boire sur le sommet des ruisselets herbeus,
Et les remenerons au son de la musette,
Puis nous endormirons de sur l’herbe molette.
Là sans ambition de plus grans biens avoir,
Contenté seulement de t’aimer et te voir,
Je passerois mon age, et sur ma sepulture
Les Angevins mettroient ceste breve écriture :
Celuy qui gist icy, touché de l’aiguillon
Qu’Amour nous laisse au cœur, garda comme Apollon
Les trouppeaus de sa dame, et en cette prerie
Mourut en bien aimant une belle Marie :
Et elle apres sa mort mourut aussi d’ennuy,
Et sous ce vert tombeau repose avecques luy.
A peine avois-je dit quand Thoinet se depame,
Et à soy revenu alloit apres sa dame :
Mais je le retiray, le menant d’autrepart
Pour chercher à loger, car il estoit bien tard.
Nous avions ja passé la sablonneuse rive,
Et le flot qui bruiant contre le pont arrive.
Et jà de sur le pont nous estions parvenus,
Et nous apparoissoit le tombeau de Turnus,
Quand le pasteur Janot, tout gaillard nous emmaine
Dedans son toict couvert de javelles d’avaine.
A Phoebus, mon Grevin, tu es du tout semblable
De face et de cheveus, et d’art et de scavoir.
A tous deus dans le cœur Amour a fait avoir
Pour une belle dame une playe incurable.
Ny herbe, ny unguent, ne t’est point secourable,
Car rien ne peut forcer de Venus le pouvoir :
Seulement tu peus bien par tes vers reçevoir
A ta playe amoureuse un secours profitable.
En chantant, mon Grevin, on charme le souci,
Le Cyclope Aetnean se garissoit ainsi,
Chantant sur son flageol sa belle Galatée.
La peine découverte allege nostre cœur :
Ainsi moindre devient la plaisante langueur.
Qui vient de trop aimer, quand elle est bien chantée.
Marie, à celle fin que le siecle advenir
De noz jeunes amours se puisse souvenir,
Et que vostre beauté que j’ay long temps aimée,
Ne se perde au tombeau par les ans consumée,
Sans laisser quelque marque apres elle de soy :
Je vous consacre icy le plus gaillard de moy,
L’esprit de mon esprit, qui vous fera revivre
Ou long temps, ou jamais, par l’âge de ce livre.
Ceux qui liront les vers que j’ay chantez pour vous
D’un stile varié entre l’aigre et le dous
Selon les passions que vous m’avez données,
Vous tiendront pour Déesse : et tant plus les années
En volant s’enfuiront, et plus vostre beauté
Contre l’âge croistra vieille en sa nouveauté.
O ma belle Angevine, ô ma douce Marie,
Mon œil, mon cœur, mon sang, mon esprit, et ma vie,
Dont la vertu me monstre un droit chemin aux cieux :
Je reçoy tel plaisir, quand je baise voz yeux,
Quand je languis dessus, et quand je les regarde,
Que sans une frayeur qui la main me retarde,
Je me serois occis, que pauvre je ne peux
Vous monstrer par effect le bien que je vous veux.
Or cela que je puis, je le veux icy faire :
Je veux en vous chantant voz louanges, parfaire,
Et ne sentir jamais mon labeur engourdy,
Que tout l’ouvrage entier pour vous ne soit ourdy.
Si j’estois un grand Roy, pour eternel exemple
De fidelle amitié, je bastirois un temple
Desur le bord de Loire, et ce temple auroit nom
Le temple de Ronsard et de sa Marion.
De marbre Parien serait vostre effigie,
Vostre robe serait à plein fons eslargie
De plis recamez d’or, et voz cheveux tressez
Seraient de filetz d’or par ondes enlassez.
D’un crespe canellé serait la couverture
De vostre chef divin, et la rare ouverture
D’un reth de soye et d’or, fait de l’ouvriere main
D’Arachne ou de Pallas, couvrirait vostre sein.
Vostre bouche serait de roses toute pleine,
Respandant par le temple une amoureuse haleine.
Vous auriez d’une Hebé le maintien gracieux,
Et un essaim d’amour sortirait de voz yeux :
Vous tiendriez le haut bout de ce temple honorable,
Droicte sur le sommet d’un pilier venerable.
Et moy d’autre costé assis au mesme heu,
Je serois remarquable en la forme d’un Dieu :
J’aurois en me courbant dedans la main senestre
Un arc demy-vouté, tout tel qu’on voit renaistre
Aux premiers jours du mois le reply d’un croissant :
lit j’aurois sur la corde un beau trait menassant
Non le serpent Python, mais ce sot de jeune homme,
Qui maintenant sa vie et son ame vous nomme,
Et qui seul me fraudant, est Roy de vostre cœur,
Qu’en fin en vostre amour vous trouverez mocqueur.
Quiconque soit celuy, qu’en vivant il languisse,
Et it chacun hay luy mesme se haysse,
Qu’il se ronge le cœur, et voye ses dessains
Tousjours luy eschapper comme vent de ses mains,
Soupçonneux, et resveur, arrogant, solitaire,
Et luy-mesme se puisse à luy-mesme desplaire.
J’aurois desur le chef un rameau de Laurier,
J’aurois desur le flanc un beau poignard guerrier,
La lame seroit d’or, et la belle poignée
Ressembleroit à l’or de ma tresse peignée :
J’aurois un Cystre d’or, et j’aurois tout aupres
Un Carquois tout chargé de flames et de traits.
Ce temple frequenté de festes solennelles
Passerait en honneur celuy des immortelles,
Et par vœuz nous serions invoquez tous les jours,
Comme les nouveaux Dieux des fidelles amours.
D’âge en âge suivant au retour de l’année
Nous aurions pres le temple une feste ordonnée,
Non pour faire courir, comme les anciens,
Des chariots couplez aux jeux Olympiens
Pour saulter, pour lutter, ou de jambe venteuse
Franchir en haletant, la carriere poudreuse :
Mais tous les jouvenceaux des pays d’alentour
Touchez au fond du cœur de la fleche d’Amour,
Ayant d’un gentil feu les ames allumées,
S’assembleraient au temple avecques leurs aimées :
Et là, celuy qui mieux sa lévre poserait
Dessus la lévre’ aimée, et plus fort baiserait,
Ou soit d’un baiser sec, ou d’un baiser humide,
D’un baiser court ou long, ou d’un baiser qui guide
L’ame desur la bouche, et laisse trespasser
Le baiseur qui ne vit sinon que du penser,
Ou d’un baiser donné comme les colombelles,
Lors qu’ils se font l’amour de là bouche et des ailes.
Celuy qui mieux serait en ses baisers appris,
Sur tous les jouvenceaux emporteroit le pris,
Serait dit le veinqueur des baisers de Cythere,
Et tout chargé de fleurs s’en-iroit à sa mere.
0 ma belle Maistresse, hé que je voudrais bien
Qu’Amour nous eust conjoint d’un semblable lien,
Et qu’aprez noz trespas dans noz fosses ombreuses
Nous fussions la chanson des bouches amoureuses :
Que ceux du Vandomois dissent tous d’un accord,
(Visitant le tombeau sous qui je serais mort)
Nostre Ronsard quittant son Loir et sa Gastine,
A Bourgueil fut espris d’une belle Angevine :
Et que les Angevins dissent tous d’une vois,
Nostre belle Marie aima un Vandomois :
Les deux n’avoient qu’un cœur, et l’amour mutuelle,
Qu’on ne voit plus icy, leur fut perpetuelle.
Siecle vrayment heureux, siecle d’or estimé,
Où tousjours l’amoureux se voyoit contre-aimé.
Puisse arriver apres l’espace d’un long âge,
Qu’un esprit vienne à bas sous le mignard ombrage
Des Myrthes, me conter que les âges n’ont peu
Effacer la clarté qui luist de nostre feu :
Mais que de voix en voix, de parole en parole
Nostre gentille ardeur par la jeunesse vole,
Et qu’on apprend par cœur les vers et les chansons,
Qu’Amour chanta pour vous en diverses façons,
Et qu’on pense amoureux celuy qui rememore
Vostre nom et le mien, et noz tumbes honore.
Or il en adviendra ce que le ciel voudra,
Si est-ce que ce Livre immortel apprendra
Aux hommes, et au temps, et à la renommée
Que je vous ay six ans plus que mon cœur aimée.