Physionomies de saints/Sainte Zite

Librairie Beauchemin, Limitée (p. 33-38).

SAINTE ZITE


Au temps du roi saint Louis, dans le village de Monsacrato, près de Lucques, naquit une humble enfant qui reçut au baptême le nom de Zite.

Fille de très pauvres cultivateurs, elle vécut soixante ans profondément inconnue et ne fut jamais que servante.

Cependant l’Église catholique l’a proclamée l’une de ses gloires et la ville de Lucques l’a choisie pour patronne.

La vie de Zite a été écrite en plusieurs langues. Cette vie, en apparence si vulgaire, a inspiré des poètes, des artistes, et dans l’église saint Fredian, où l’humble servante entendait chaque jour la première messe, son corps repose entouré d’un culte fervent.

« C’est faire beaucoup, dit l’Imitation, que d’aimer beaucoup ; c’est faire beaucoup que de bien faire ce que l’on fait ».

La vie de sainte Zite est une magnifique illustration de cette vérité profonde.

Grâce à ses pauvres et bons parents, dès sa petite enfance, elle comprit que le grand devoir comme le grand bonheur de la créature c’est de plaire à Dieu.

« Cela plaît à Dieu, cela déplaît à Dieu », lui disait Bonissima, sa très pieuse mère.

Toute l’éducation de Zite se fit avec ces mots. Elle n’eut jamais besoin d’autre défense, d’autre encouragement et, plus sage que bien des personnes avancées dans la vie, elle n’attendit point, pour servir Dieu, d’avoir à faire de grandes choses.

Encore enfant, elle aidait sa mère dans son pauvre ménage ou, un petit panier de fruits au bras, suivait son père au marché de Lucques.

Plus tard, afin de soulager ses parents, elle leur proposa d’aller à Lucques gagner sa vie, et elle entra comme servante dans la noble famille des Fatinelli.

Renfermant tous les désirs de son cœur dans le bon plaisir de Dieu, elle accepta avec amour la vie cachée, la dure dépendance, le travail incessant. Pour servir Dieu, elle ne désira point d’avoir plus de liberté, plus de loisir, mais, de toute l’énergie de son âme et avec une intention très pure, elle s’appliqua à remplir parfaitement ses devoirs de servante, et c’est cette fidélité humble et auguste qui l’a fait mettre sur les autels.

Dieu n’a que faire de l’éclat de nos œuvres. C’est une vérité fort ancienne, mais les anciennes vérités toujours oubliées sont bonnes à dire.

« Ne regardez pas à la substance des choses que vous faites, disait saint François de Sales, mais à l’honneur qu’elles ont, si chétives qu’elles soient, d’être voulues de Dieu ».

Toute la valeur de nos œuvres vient de là. D’après les saints, le plus sublime des anges se porterait aussi volontiers à sarcler les champs qu’à conduire les empires, si telle était la volonté de Dieu.

Quarante ans durant, avec un dévouement infatigable, Zite servit les Fatinelli. La confiance que ses maîtres lui témoignaient excita la jalousie des autres domestiques et valut à la sainte mille mesquines et misérables persécutions. Elle en triompha par sa douceur inaltérable.

Sa charité envers les pauvres était sans bornes. Tous les jours de l’année, elle jeûnait, afin de soulager la faim de quelque indigent avec les aliments dont elle se privait.

Nous voyons dans l’évangile, qu’au-dessus de tous les dons des riches, Notre-Seigneur a mis l’obole de la pauvre veuve. Il juge toujours du don d’après le cœur qui donne, et manifesta plusieurs fois par d’éclatants miracles, combien la charité de Zite lui était agréable.

Un jour qu’elle portait aux pauvres les morceaux de pain recueillis après le repas, elle rencontra son maître qui voulut voir ce qu’elle portait dans son tablier. Il n’y trouva que des roses.

Une autre fois, un pèlerin épuisé de fatigue, tout ruisselant de sueur, aborda Zite et lui demanda du vin.

«Je n’ai que de l’eau à vous donner », répondit la sainte.

Et comme elle approchait l’eau de ses lèvres, en priant Dieu qu’elle ne lui fût pas nuisible, l’eau se changea en un vin délicieux.

À ses maîtres, qu’elle servait avec un respect profond, Zite ne demanda jamais qu’une faveur : celle d’assister chaque jour à la messe. Encore en prenait-elle le temps sur son sommeil, non sur les heures de travail.

Il lui arrivait parfois de tomber en extase pendant la messe.

Or Zite était cuisinière chez les Fatinelli, et, à cette époque, même dans les grandes villes, la boulangerie était loin d’être perfectionnée. Chaque famille considérable avait son four et la cuisinière ne faisait pas seulement la cuisine, elle faisait aussi le pain comme encore aujourd’hui dans les campagnes la plupart des ménagères canadiennes. Un jour que la bienheureuse devait cuire, elle eut un ravissement pendant la messe. L’heure était assez avancée quand elle revint à elle. Fort inquiète, elle courut à la maison. Mais en entrant dans sa cuisine elle trouva le four chaud, la pâte faite et prête à être mise au four. Elle crut d’abord que l’une de ses compagnes lui avait rendu ce service. Personne n’y avait songé.

C’est ainsi que Gaspar di Bartholemeo Casentini, l’historien de sainte Zite, rapporte le fait. Des auteurs moins authentiques le racontent autrement.

La signora Fatinelli, disent-ils, avait commandé à sa cuisinière un grand souper où elle voulait réunir la noblesse de la ville. Au jour fixé, Zite se rendit avant le jour au marché et fit avec grand soin les achats convenables. Après avoir tout fait envoyer chez son maître, elle se rendit à l’église saint Fédian pour entendre la messe. Mais comme le prêtre, à la communion, élevait le corps du Christ, elle tomba en extase. Toutes les heures de la matinée, toutes les heures du jour s’écoulèrent et la cuisinière était toujours là, immobile et ravie, en la présence du Seigneur…

Quand elle reprit ses sens, l’église était déjà pleine d’ombre.

Se rappelant le souper commandé, Zite sortit précipitamment.

Le soleil était couché, l’heure était venue de servir le repas qu’elle n’avait pas encore commencé à préparer.

« Je vais être chassée honteusement », se disait-elle, en regagnant la maison.

Son chagrin était extrême, à la pensée de l’embarras où elle avait mis sa maîtresse. Elle appréhendait tant l’orage qui allait fondre sur elle, qu’arrivée à la porte de la maison, elle fut sur le point de s’enfuir.

Se recommandant à Dieu, elle entra pourtant et, bien timidement, se dirigea vers la cuisine.

Il s’en échappait de si appétissants parfums que Zite se sentit toute réconfortée :

« Dieu soit loué ! pensa-t-elle, la signora s’est aperçue de mon absence… elle a eu une cuisinière pour me remplacer. Je serai chassée, mais ma maîtresse n’aura pas la confusion de n’avoir rien à offrir à ses convives ».

Comme elle ouvrait la porte de la cuisine, un bruit léger, charmant, frappa son oreille… C’était comme un joyeux battement d’ailes.

La sainte crut que la nouvelle cuisinière s’éventait avec son tablier et elle entra, la cherchant du regard.

Il n’y avait personne, mais le feu était allumé, les casseroles étaient dans les fourneaux et de chacune s’exhalait un fumet délicieux.

« Certes, pensa Zite, respirant cette bonne odeur de cuisine, celle qui a pris ma place n’est pas la première venue. On ne perdra rien au change ».

Elle souleva le couvercle des casseroles, goûta et, émerveillée, se dit :

« Mais cette cuisinière est bien plus habile que moi… Je ne mérite pas de laver sa vaisselle ».

Elle passa dans la salle à manger, pensant y trouver celle qui avait préparé ce merveilleux repas.

Il n’y avait personne. Mais le couvert était mis, les fruits éclatants s’élevaient en pyramides parmi les feuilles vertes, les fleurs avaient été disposées en bouquets. Un goût si délicieux, si sûr, avait présidé à tous les arrangements que la signora Fatinelli ne put retenir des cris d’admiration, quand elle entra dans la salle pour jeter un coup-d’œil sur les apprêts du festin.

« — Tout est-il prêt ? demanda-t-elle, lorsqu’elle eût repris son calme.

— Oui, madame, répondit Zite, mais cette invisible cuisinière….

— Allons, n’extravaguez pas, répliqua la dame ».

Elle fit entrer ses convives, et le souper préparé par les anges fut servi.

Tout fut trouvé si délicieux qu’à Lucques on parle encore de ce merveilleux repas.

Il me semble que ce trait plaira aux cordons bleus dont sainte Zite est la patronne.

L’humble fille finit par inspirer aux Fatinelli une véritable vénération. Ils voulurent la traiter en amie plutôt qu’en domestique. Jamais la sainte n’y voulut consentir : jusqu’à la fin de ses jours elle resta — ce qu’il avait plu à Dieu qu’elle fût — servante.

Pendant ce temps, un roi, admiré de tous, traversait les mers pour aller délivrer le tombeau du Christ. Lui aussi était un saint. Mais, devant Dieu, ce roi de France était-il plus grand que la servante des Fatinelli ? C’est le secret des cieux.