Physiologie du Mariage
Œuvres complètes de H. de BalzacA. Houssiaux16 (p. 417-427).

MÉDITATION VIII.

DES PREMIERS SYMPTÔMES.

Lorsque votre femme est dans la crise où nous l’avons laissée, vous êtes, vous, en proie à une douce et entière sécurité. Vous avez tant de fois vu le soleil que vous commencez à croire qu’il peut luire pour tout le monde. Vous ne prêtez plus alors aux moindres actions de votre femme cette attention que vous donnait le premier feu du tempérament.

Cette indolence empêche beaucoup de maris d’apercevoir les symptômes par lesquels leurs femmes annoncent un premier orage ; et cette disposition d’esprit a fait minotauriser plus de maris que l’occasion, les fiacres, les canapés et les appartements en ville. Ce sentiment d’indifférence pour le danger est en quelque sorte produit et justifié par le calme apparent qui vous entoure. La conspiration ourdie contre vous par notre million de célibataires affamés semble être unanime dans sa marche. Quoique tous ces damoiseaux soient ennemis les uns des autres et que pas un d’eux ne se connaisse, une sorte d’instinct leur a donné le mot d’ordre.

Deux personnes se marient-elles, les sbires du minotaure, jeunes et vieux, ont tous ordinairement la politesse de laisser entièrement les époux à eux-mêmes. Ils regardent un mari comme un ouvrier chargé de dégrossir, polir, tailler à facettes et monter le diamant qui passera de main en main, pour être un jour admiré à la ronde. Aussi, l’aspect d’un jeune ménage fortement épris réjouit-il toujours ceux d’entre les célibataires qu’on a nommés les Roués, ils se gardent bien de troubler le travail dont doit profiter la société ; ils savent aussi que les grosses pluies durent peu ; ils se tiennent alors à l’écart, en faisant le guet, en épiant, avec une incroyable finesse, le moment où les deux époux commenceront à se lasser du septième ciel.

Le tact avec lequel les célibataires découvrent le moment où la bise vient à souffler dans un ménage ne peut être comparé qu’à cette nonchalance à laquelle sont livrés les maris pour lesquels la Lune Rousse se lève. Il y a, même en galanterie, une maturité qu’il faut savoir attendre. Le grand homme est celui qui juge tout ce que peuvent porter les circonstances. Ces gens de cinquante-deux ans, que nous avons présentés comme si dangereux, comprennent très-bien, par exemple, que tel homme qui s’offre à être l’amant d’une femme et qui est fièrement rejeté, sera reçu à bras ouverts trois mois plus tard. Mais il est vrai de dire qu’en général, les gens mariés mettent à trahir leur froideur la même naïveté qu’à dénoncer leur amour.

Au temps où vous parcouriez avec madame les ravissantes campagnes du septième ciel, et où, selon les caractères, on reste campé plus ou moins long-temps, comme le prouve la Méditation précédente, vous alliez peu ou point dans le monde. Heureux dans votre intérieur, si vous sortiez, c’était pour faire, à la manière des amants, une partie fine, courir au spectacle, à la campagne, etc. Du moment où vous reparaissez, ensemble ou séparément, au sein de la société, que l’on vous voit assidus l’un et l’autre aux bals, aux fêtes, à tous ces vains amusements créés pour fuir le vide du cœur, les célibataires devinent que votre femme y vient chercher des distractions ; donc, son ménage, son mari l’ennuient.

Là, le célibataire sait que la moitié du chemin est faite. Là, vous êtes sur le point d’être minotaurisé, et votre femme tend à devenir inconséquente : c’est-à-dire, au contraire, qu’elle sera très-conséquente dans sa conduite, qu’elle la raisonnera avec une profondeur étonnante, et que vous n’y verrez que du feu. Dès ce moment elle ne manquera en apparence à aucun de ses devoirs, et recherchera d’autant plus les couleurs de la vertu qu’elle en aura moins. Hélas ! disait Crébillon :

Doit-on donc hériter de ceux qu’on assassine !

Jamais vous ne l’aurez vue plus soigneuse à vous plaire. Elle cherchera à vous dédommager de la secrète lésion qu’elle médite de faire à votre bonheur conjugal, par de petites félicités qui vous font croire à la perpétuité de son amour ; de là vient le proverbe : Heureux comme un sot. Mais selon les caractères des femmes, ou elles méprisent leurs maris, par cela même qu’elles les trompent avec succès ; ou elles les haïssent, si elles sont contrariées par eux ; ou elles tombent, à leur égard, dans une indifférence pire mille fois que la haine.

En cette occurrence, le premier diagnostic chez la femme est une grande excentricité. Une femme aime à se sauver d’elle-même, à fuir son intérieur, mais sans cette avidité des époux complétement malheureux. Elle s’habille avec beaucoup de soin, afin, dira-t-elle, de flatter votre amour-propre en attirant tous les regards au milieu des fêtes et des plaisirs.

Revenue au sein de ses ennuyeux pénates, vous la verrez parfois sombre et pensive ; puis tout à coup riant et s’égayant comme pour s’étourdir ; ou prenant l’air grave d’un Allemand qui marche au combat. De si fréquentes variations annoncent toujours la terrible hésitation que nous avons signalée.

Il y a des femmes qui lisent des romans pour se repaître de l’image habilement présentée et toujours diversifiée d’un amour contrarié qui triomphe, ou pour s’habituer, par la pensée, aux dangers d’une intrigue.

Elle professera la plus haute estime pour vous. Elle vous dira qu’elle vous aime, comme on aime un frère ; que cette amitié raisonnable est la seule vraie, la seule durable, et que le mariage n’a pour but que de l’établir entre deux époux.

Elle distinguera fort habilement qu’elle n’a que des devoirs à remplir, et qu’elle peut prétendre à exercer des droits.

Elle voit avec une froideur que vous seul pouvez calculer tous les détails du bonheur conjugal. Ce bonheur ne lui a peut-être jamais beaucoup plu, et d’ailleurs, pour elle, il est toujours là ; elle le connaît, elle l’a analysé ; et combien de légères mais terribles preuves viennent alors prouver à un mari spirituel que cet être fragile argumente et raisonne au lieu d’être emporté par la fougue de la passion !…


LX.

Plus on juge, moins on aime.




De là jaillissent chez elle et ces plaisanteries dont vous riez le premier, et ces réflexions qui vous surprennent par leur profondeur ; de là viennent ces changements soudains et ces caprices d’un esprit qui flotte. Parfois elle devient tout à coup d’une extrême tendresse comme par repentir de ses pensées et de ses projets ; parfois elle est maussade et indéchiffrable ; enfin, elle accomplit le varium et mutabile fœmina que nous avons eu jusqu’ici la sottise d’attribuer à leur constitution. Diderot, dans le désir d’expliquer ces variations presque atmosphériques de la femme, est même allé jusqu’à les faire provenir de ce qu’il nomme la bête féroce ; mais vous n’observerez jamais ces fréquentes anomalies chez une femme heureuse.

Ces symptômes, légers comme de la gaze, ressemblent à ces nuages qui nuancent à peine l’azur du ciel et qu’on nomme des fleurs d’orage. Bientôt les couleurs prennent des teintes plus fortes.

Au milieu de cette méditation solennelle, qui tend à mettre, selon l’expression de madame de Staël, plus de poésie dans la vie, quelques femmes, auxquelles des mères vertueuses par calcul, par devoir, par sentiment ou par hypocrisie, ont inculqué des principes tenaces, prennent les dévorantes idées dont elles sont assaillies pour des suggestions du démon ; et vous les voyez alors trottant régulièrement à la messe, aux offices, aux vêpres même. Cette fausse dévotion commence par de jolis livres de prières reliés avec luxe, à l’aide desquels ces chères pécheresses s’efforcent en vain de remplir les devoirs imposés par la religion et délaissés pour les plaisirs du mariage.

Ici posons un principe et gravez-le en lettres de feu dans votre souvenir.

Lorsqu’une jeune femme reprend tout à coup des pratiques religieuses autrefois abandonnées, ce nouveau système d’existence cache toujours un motif d’une haute importance pour le bonheur du mari. Sur cent femmes il en est au moins soixante-dix-neuf chez lesquelles ce retour vers Dieu prouve qu’elles ont été inconséquentes ou qu’elles vont le devenir.

Mais un symptôme plus clair, plus décisif, que tout mari reconnaîtra, sous peine d’être un sot, est celui-ci.

Au temps où vous étiez plongés l’un et l’autre dans les trompeuses délices de la Lune de Miel, votre femme, en véritable amante, faisait constamment votre volonté. Heureuse de pouvoir vous prouver une bonne volonté que vous preniez, vous deux, pour de l’amour, elle aura désiré que vous lui eussiez commandé de marcher sur le bord des gouttières, et, sur-le-champ, agile comme un écureuil, elle eût parcouru les toits. En un mot, elle trouvait un plaisir ineffable à vous sacrifier ce je qui la rendait un être différent de vous. Elle s’était identifiée à votre nature, obéissant à ce vœu du cœur : Una caro.

Toutes ces belles dispositions d’un jour se sont effacées insensiblement. Blessée de rencontrer sa volonté anéantie, votre femme essaiera maintenant de la reconquérir au moyen d’un système développé graduellement et de jour en jour avec une croissante énergie.

C’est le système de la Dignité de la Femme mariée. Le premier effet de ce système est d’apporter dans vos plaisirs une certaine réserve et une certaine tiédeur de laquelle vous êtes le seul juge.

Selon le plus ou le moins d’emportement de votre passion sensuelle, vous avez peut-être, pendant la Lune de Miel, deviné quelques-unes de ces vingt-deux voluptés qui autrefois créèrent en Grèce vingt-deux espèces de courtisanes adonnées particulièrement à la culture de ces branches délicates d’un même art. Ignorante et naïve, curieuse et pleine d’espérance, votre jeune femme aura pris quelques grades dans cette science aussi rare qu’inconnue et que nous recommandons singulièrement au futur auteur de la Physiologie du Plaisir.

Alors par une matinée d’hiver, et semblables à ces troupes d’oiseaux qui craignent le froid de l’Occident, s’envolent d’un seul coup, d’une même aile, la Fellatrice, fertile en coquetteries qui trompent le désir pour en prolonger les brûlants accès ; la Tractatrice, venant de l’Orient parfumé où les plaisirs qui font rêver sont en honneur ; la Subagitatrice, fille de la grande Grèce ; la Lémane, avec ses voluptés douces et chatouilleuses ; la Corinthienne, qui pourrait, au besoin, les remplacer toutes ; puis enfin, l’agacante Phicidisseuse, aux dents dévoratrices et lutines, dont l’émail semble intelligent. Une seule, peut-être, vous est restée ; mais un soir, la brillante et fougueuse Propétide étend ses ailes blanches et s’enfuit, le front baissé, vous montrant pour la dernière fois, comme l’ange qui disparaît aux yeux d’Abraham, dans le tableau de Rembrandt, les ravissants trésors qu’elle ignore elle-même, et qu’il n’était donné qu’à vous de contempler d’un œil enivré, de flatter d’une main caressante.

Sevré de toutes ces nuances de plaisir, de tous ces caprices d’âme, de ces flèches de l’Amour, vous êtes réduit à la plus vulgaire des façons d’aimer, à cette primitive et innocente allure de l’hyménée, pacifique hommage que rendait le naïf Adam à notre mère commune, et qui suggéra sans doute au Serpent l’idée de la déniaiser. Mais un symptôme si complet n’est pas fréquent. La plupart des ménages sont trop bons chrétiens pour suivre les usages de la Grèce païenne. Aussi avons-nous rangé parmi les derniers symptômes l’apparition dans la paisible couche nuptiale de ces voluptés effrontées qui, la plupart du temps, sont filles d’une illégitime passion. En temps et lieu, nous traiterons plus amplement ce diagnostic enchanteur : ici, peut-être, se réduit-il à une nonchalance et même à une répugnance conjugale que vous êtes seul en état d’apprécier.

En même temps qu’elle ennoblit ainsi par sa dignité les fins du mariage, votre femme prétend qu’elle doit avoir son opinion et vous la vôtre. « En se mariant, dira-t-elle, une femme ne fait pas vœu d’abdiquer sa raison. Les femmes sont-elles donc réellement esclaves ? Les lois humaines ont pu enchaîner le corps, mais la pensée !… ah ! Dieu l’a placée trop près de lui pour que les tyrans pussent y porter les mains. »

Ces idées procèdent nécessairement ou d’une instruction trop libérale que vous lui aurez laissé prendre, ou de réflexions que vous lui aurez permis de faire. Une Méditation tout entière a été consacrée à l’instruction en ménage.

Puis votre femme commence à dire : « Ma chambre, mon lit, mon appartement. » À beaucoup de vos questions, elle répondra : — « Mais, mon ami, cela ne vous regarde pas ! » Ou : — « Les hommes ont leur part dans la direction d’une maison, et les femmes ont la leur. » Ou bien, ridiculisant les hommes qui se mêlent du ménage, elle prétendra que « les hommes n’entendent rien à certaines choses. »

Le nombre des choses auxquelles vous n’entendez rien augmentera tous les jours.

Un beau matin vous verrez, dans votre petite église, deux autels là où vous n’en cultiviez qu’un seul. L’autel de votre femme et le vôtre seront devenus distincts, et cette distinction ira croissant, toujours en vertu du système de la dignité de la femme.

Viendront alors les idées suivantes, que l’on vous inculquera, malgré vous, par la vertu d’une force vive, fort ancienne et peu connue. La force de la vapeur, celle des chevaux, des hommes ou de l’eau sont de bonnes inventions ; mais la nature a pourvu la femme d’une force morale à laquelle ces dernières ne sont pas comparables : nous la nommerons force de la crécelle. Cette puissance consiste dans une perpétuité de son, dans un retour si exact des mêmes paroles, dans une rotation si complète des mêmes idées, qu’à force de les entendre vous les admettrez pour être délivré de la discussion. Ainsi, la puissance de la crécelle vous prouvera :

Que vous êtes bien heureux d’avoir une femme d’un tel mérite ;

Qu’on vous a fait trop d’honneur en vous épousant ;

Que souvent les femmes voient plus juste que les hommes ;

Que vous devriez prendre en tout l’avis de votre femme, et presque toujours le suivre ;

Que vous devez respecter la mère de vos enfants, l’honorer, avoir confiance en elle ;

Que la meilleure manière de n’être pas trompé est de s’en remettre à la délicatesse d’une femme, parce que, suivant certaines vieilles idées que nous avons eu la faiblesse de laisser s’accréditer, il est impossible à un homme d’empêcher sa femme de le minotauriser ;

Qu’une femme légitime est la meilleure amie d’un homme ;

Qu’une femme est maîtresse chez elle, et reine dans son salon, etc.

Ceux qui, à ces conquêtes de la dignité de la femme sur le pouvoir de l’homme, veulent opposer une ferme résistance, tombent dans la catégorie des prédestinés.

D’abord, s’élèvent des querelles qui, aux yeux de leurs femmes, leur donnent un air de tyrannie. La tyrannie d’un mari est toujours une terrible excuse à l’inconséquence d’une femme. Puis, dans ces légères discussions, elles savent prouver à leurs familles, aux nôtres, à tout le monde, à nous-mêmes, que nous avons tort. Si, pour obtenir la paix, ou par amour, vous reconnaissez les droits prétendus de la femme, vous laissez à la vôtre un avantage dont elle profitera éternellement. Un mari, comme un gouvernement, ne doit jamais avouer de faute. Là, votre pouvoir serait débordé par le système occulte de la dignité féminine ; là, tout serait perdu ; dès ce moment elle marcherait de concession en concession jusqu’à vous chasser de son lit.

La femme étant fine, spirituelle, malicieuse, ayant tout le temps de penser à une ironie elle vous tournerait en ridicule pendant le choc momentané de vos opinions. Le jour où elle vous aura ridiculisé verra la fin de votre bonheur. Votre pouvoir expirera. Une femme qui a ri de son mari ne peut plus l’aimer. Un homme doit être pour la femme qui aime, un être plein de force, de grandeur, et toujours imposant. Une famille ne saurait exister sans le despotisme. Nations pensez-y !

Aussi, la conduite difficile qu’un homme doit tenir en présence d’événements si graves, cette haute politique du mariage est-elle précisément l’objet des Seconde et Troisième Parties de notre livre. Ce bréviaire du machiavélisme marital vous apprendra la manière de vous grandir dans cet esprit léger, dans cette âme de dentelle, disait Napoléon. Vous saurez comment un homme peut montrer une âme d’acier, peut accepter cette petite guerre domestique, et ne jamais céder l’empire de la volonté sans compromettre son bonheur. En effet, si vous abdiquiez, votre femme vous mésestimerait par cela seul qu’elle vous trouverait sans rigueur ; vous ne seriez plus un homme pour elle. Mais nous ne sommes pas encore arrivé au moment de développer les théories et les principes par lesquels un mari pourra concilier l’élégance des manières avec l’acerbité des mesures ; qu’il nous suffise pour le moment de deviner l’importance de l’avenir, et poursuivons.

À cette époque fatale, vous la verrez établissant avec adresse le droit de sortir seule.

Vous étiez naguère son dieu, son idole. Elle est maintenant parvenue à ce degré de dévotion qui permet d’apercevoir des trous à la robe des saints.

— Oh ! mon Dieu, mon ami, disait madame de la Vallière à son mari, comme vous portez mal votre épée ! M. de Richelieu a une manière de la faire tenir droit à son côté que vous devriez tâcher d’imiter ; c’est de bien meilleur goût. — Ma chère, on ne peut pas me dire plus spirituellement qu’il y a cinq mois que nous sommes mariés !… » répliqua le duc dont la réponse fit fortune sous le règne de Louis XV.

Elle étudiera votre caractère pour trouver des armes contre vous. Cette étude, en horreur à l’amour, se découvrira par les mille petits piéges qu’elle vous tendra pour se faire, à dessein, rudoyer, gronder par vous ; car lorsqu’une femme n’a pas d’excuses pour minotauriser son mari elle tâche d’en créer.

Elle se mettra peut-être à table sans vous attendre.

Si elle passe en voiture au milieu d’une ville, elle vous indiquera certains objets que vous n’aperceviez pas ; elle chantera devant vous sans avoir peur ; elle vous coupera la parole, ne vous répondra quelquefois pas, et vous prouvera de vingt manières différentes qu’elle jouit près de vous de toutes ses facultés et de son bon sens.

Elle cherchera à abolir entièrement votre influence dans l’administration de la maison, et tentera de devenir seule maîtresse de votre fortune. D’abord, cette lutte sera une distraction pour son âme vide ou trop fortement remuée ; ensuite elle trouvera dans votre opposition un nouveau motif de ridicule. Les expressions consacrées ne lui manqueront pas, et en France nous cédons si vite au sourire ironique d’autrui !…

De temps à autre, apparaîtront des migraines et des mouvements de nerfs ; mais ces symptômes donneront lieu à toute une Méditation.

Dans le monde, elle parlera de vous sans rougir, et vous regardera avec assurance.

Elle commencera à blâmer vos moindres actes, parce qu’ils seront en contradiction avec ses idées ou ses intentions secrètes.

Elle n’aura plus autant de soin de ce qui vous touche, elle ne saura seulement pas si vous avez tout ce qu’il vous faut. Vous ne serez plus le terme de ses comparaisons.

À l’imitation de Louis XIV qui apportait à ses maîtresses les bouquets de fleurs d’oranger que le premier jardinier de Versailles lui mettait tous les matins sur sa table, M. de Vivonne donnait presque tous les jours des fleurs rares à sa femme pendant le premier temps de son mariage. Un soir il trouva le bouquet gisant sur une console, sans avoir été placé comme à l’ordinaire dans un vase plein d’eau. — « Oh ! oh ! dit-il si je ne suis pas un sot, je ne tarderai pas à l’être. »

Vous êtes en voyage pour huit jours et vous ne recevez pas de lettre, ou vous en recevez une dont trois pages sont blanches… Symptôme.

Vous arrivez monté sur un cheval de prix, que vous aimez beaucoup, et, entre deux baisers, votre femme s’inquiète du cheval et de son avoine… Symptôme.

À ces traits, vous pouvez maintenant en ajouter d’autres. Nous tâcherons dans ce livre de toujours peindre à fresque, et de vous laisser les miniatures. Selon les caractères, ces indices, cachés sous les accidents de la vie habituelle, varient à l’infini. Tel découvrira un symptôme dans la manière de mettre un châle, lorsque tel autre aura besoin de recevoir une chiquenaude sur son âne pour deviner l’indifférence de sa compagne.

Un beau matin de printemps, le lendemain d’un bal, ou la veille d’une partie de campagne, cette situation arrive à son dernier période. Votre femme s’ennuie et le bonheur permis n’a plus d’attrait pour elle. Ses sens, son imagination, le caprice de la nature peut-être appellent un amant. Cependant elle n’ose pas encore s’embarquer dans une intrigue dont les conséquences et les détails l’effraient. Vous êtes encore là pour quelque chose ; vous pesez dans la balance, mais bien peu. De son côté, l’amant se présente paré de toutes les grâces de la nouveauté, de tous les charmes du mystère. Le combat qui s’est élevé dans le cœur de votre femme devient devant l’ennemi plus réel et plus périlleux que jadis. Bientôt plus il y a de dangers et de risques à courir, plus elle brûle de se précipiter dans ce délicieux abîme de craintes, de jouissances, d’angoisses, de voluptés. Son imagination s’allume et pétille. Sa vie future se colore à ses yeux de teintes romanesques et mystérieuses. Son âme trouve que l’existence a déjà pris du ton dans cette discussion solennelle pour les femmes. Tout s’agite, tout s’ébranle, tout s’émeut en elle. Elle vit trois fois plus qu’auparavant, et juge de l’avenir par le présent. Le peu de voluptés que vous lui avez prodiguées plaide alors contre vous ; car elle ne s’irrite pas tant des plaisirs dont elle a joui que de ceux dont elle jouira ; l’imagination ne lui présente-t-elle pas le bonheur plus vif, avec cet amant que les lois lui défendent, qu’avec vous ? enfin elle trouve des jouissances dans ses terreurs, et des terreurs dans ses jouissances. Puis, elle aime ce danger imminent, cette épée de Damoclès, suspendue au-dessus de sa tête par vous-même, préférant ainsi les délirantes agonies d’une passion à cette inanité conjugale pire que la mort, à cette indifférence qui est moins un sentiment que l’absence de tout sentiment.

Vous qui avez peut-être à aller faire des accolades au ministère des finances, des bordereaux à la Banque, des reports à la Bourse, ou des discours à la Chambre ; vous, jeune homme, qui avez si ardemment répété avec tant d’autres [autres] dans notre première Méditation le serment de défendre votre bonheur en défendant votre femme, que pouvez-vous opposer à ces désirs si naturels chez elle ?… car pour ces créatures de feu, vivre, c’est sentir ; du moment où elles n’éprouvent rien, elles sont mortes. La loi en vertu de laquelle vous marchez produit en elles ce minotaurisme involontaire. — « C’est, disait d’Alembert, une suite des lois du mouvement ! » Eh ! bien, où sont vos moyens de défense ?… Où ?

Hélas ! si votre femme n’a pas encore tout à fait baisé la pomme du Serpent, le Serpent est devant elle ; vous dormez, nous nous réveillons, et notre livre commence.

Sans examiner combien de maris, parmi les cinq cent mille que cet ouvrage concerne, seront restés avec les prédestinés ; combien se sont mal mariés ; combien auront mal débuté avec leurs femmes ; et sans vouloir chercher si, de cette troupe nombreuse, il y en a peu ou prou qui puissent satisfaire aux conditions voulues pour lutter contre le danger qui s’approche, nous allons alors développer dans la Seconde et la Troisième Partie de cet ouvrage les moyens de combattre le minotaure et de conserver intacte la vertu des femmes. Mais, si la fatalité, le diable, le célibat, l’occasion veulent votre perte, en reconnaissant le fil de toutes les intrigues, en assistant aux batailles que se livrent tous les ménages, peut-être vous consolerez-vous. Beaucoup de gens ont un caractère si heureux, qu’en [eu] leur montrant la place, leur expliquant le pourquoi, le comment, ils se grattent le front, se frottent les mains, frappent du pied, et sont satisfaits.