Physiocrates/Notice sur la vie et les travaux de François Quesnay

Physiocrates
Texte établi par Eugène DaireGuillaumin (p. 3-18).


NOTICE
SUR
LA VIE ET LES TRAVAUX
FRANÇOIS QUESNAY.


François Quesnay, médecin de Louis XV et chef de l’école physiocratique[1], naquit a Mérey, près Montfort-l’Amaury, le 4 juin 1694. Il n’était pas le fils d’un cultivateur, comme on le trouve rapporté dans presque tous les livres d’économie politique, mais d’un avocat au parlement qui, domicilié à Mérey, dans un petit domaine rural dont il était propriétaire, exerçait sa profession dans la ville de Montfort. Il n’en est pas moins vrai que, malgré cette origine, l’enfance de Quesnay se passa dans une ferme, que sa première éducation fut toute villageoise, et qu’en un mot il ne fut pas élevé d’abord avec plus de soin que le fils d’un simple paysan. Cette circonstance s’explique par l’originalité de caractère, tout à la fois généreuse et insouciante, de l’auteur de ses jours.

Quoique Nicolas Quesnay, son père, se livrât d’une manière exclusive, et avec une sorte de passion, au métier de jurisconsulte, il était loin d’en tirer les ressources nécessaires à l’entretien de sa famille. Doué de beaucoup de noblesse dans les sentiments, il ne connaissait pas l’art de rendre sa profession lucrative, et l’exerçait, d’après le témoignage d’un contemporain, qui ne tenait pas apparemment à flatter les gens de loi de l’époque, d’une façon toute singulière[2]. C’était un avocat qui tendait sans cesse à rapprocher les parties au lieu de les désunir ; à étouffer les procès dans leur germe, au lieu de rechercher laborieusement les moyens qu’offre toujours l’imperfeclion des lois pour les faire naître. Mais, comme ce système ne produisait pas, au point de vue de l’utile, des résultats aussi fructueux que sous le rapport moral, le père de Quesnay s’était déchargé sur sa femme du soin d’en balancer les inconvénients, en lui abandonnant le gouvernement suprême de sa maison et l’exploitation de leur petit domaine. D’un esprit fort positif, pleine d’ailleurs d’intelligence et d’activité, cette dernière jugea, non sans quelque apparence de raison, qu’il n’était pas à propos d’initier son fils à plus de connaissances que celles qui lui étaient nécessaires pour la remplacer un jour dans l’administration rurale dont elle tenait les rênes ; et le jeune Quesnay, n’ayant d’autre instituteur que la nature, resta jusqu’à l’âge de onze ans sans avoir même appris a lire. Il ne devait pas, toutefois, perdre son temps à cette école, et fournit bientôt la preuve que des facultés intellectuelles, d’une trempe peu commune, n’ont pas besoin d’être exercées prématurément.

La Maison rustique de Liébault lui étant par hasard tombée sous la main, l’enfant, qui s’était contenté jusqu’alors d’observer et de réfléchir par lui-même, comprit, comme par une inspiration subite, l’immense secours qu’il pouvait demander à la science des autres. Avec l’aide du jardinier de la maison, il parvint a lire ce livre couramment, et y puisa pour l’étude une infatigable ardeur. De nouvelles lectures agrandirent progressivement le cercle de ses idées, et le mirent en état d’amasser tout seul un trésor de connaissances générales d’autant plus solides, qu’elles étaient plus péniblement acquises. Ce fut presque sans maître qu’il apprit le latin et le grec. Le besoin de s’instruire le dominait à tel point, qu’on le vit plus d’une fois partir de Mérey, au lever du soleil, dans les grands jours d’été, venir a Paris acheter un livre, retourner à Mérey en le lisant, et y arriver le soir, après avoir fait vingt lieues à pied et lu le livre pour lequel il avait bravé la fatigue d’un pareil voyage.

À seize ans, Quesnay sentit la nécessité de spécialiser son instruction, de ne pas user ses forces dans l’impuissante tentative d’aborder toutes les branches du savoir humain, et de délibérer avec lui-même sur le choix d’un état. Ses rapides progrès avaient été vivement applaudis par son père, quoique celui-ci, absorbé complètement par les affaires judiciaires, n’y eût guère eu d’autre part que de répéter souvent au jeune homme cette allégorique et brève leçon de morale : Le temple de la vertu est appuyé sur quatre colonnes : l’honneur et la récompense, la honte et la punition. Sa mère s’en était fort inquiétée, au contraire ; et elle s’alarma plus que jamais quand elle vit son fils résolu à échanger une existence modeste, mais certaine, contre la perspective aventureuse d’un avenir plus brillant, il est vrai, mais assez semé d’écueils pour que le naufrage ne fût pas impossible. Quesnay, malgré tout le respect qu’il portait à sa mère, ne pouvait, on le conçoit bien, céder aux craintes qu’elle éprouvait. Il lui fit connaître avec fermeté l’intention qu’il avait conçue de se vouer à l’étude de la médecine, et quitta la maison paternelle pour aller prendre d’abord des leçons de chirurgie auprès d’un praticien du voisinage.

Le maître que Quesnay avait choisi ne lui fut pas d’un grand secours. L’art de saigner fut tout ce qu’il en put apprendre. Mais, en revanche, l’élève devint, sans le savoir, très utile au professeur. Ce dernier exerçait sans diplôme, parce qu’il manquait des connaissances dont il aurait fallu justifier pour l’obtenir. La pensée lui vint de s’emparer, en l’absence de Quesnay, des cahiers où celui-ci consignait le résumé de ses observations et de ses lectures. Ayant exécuté ce projet, il vint à Paris les présenter au lieutenant du premier chirurgien du roi comme des leçons qu’il donnait à son élève. Ce travail fut trouvé excellent par l’examinateur, et celui qui s’en attribuait le mérite pourvu, sans autre justification, de ses lettres de maîtrise. La science de l’élève servait aussi de passeport à l’ignorance du maître, et c’était Quesnay qui recevait ses grades sous le nom d’un autre.

Quesnay, sans s’être aperçu de ce stratagème, reconnut bientôt la profonde incapacité de son auteur. Édifié sur le compte de son maître, il l’abandonna, et vint à paris continuer son éducation médicale. L’amour de la science le suivit sur ce nouveau théâtre, où il sut conserver encore les habitudes laborieuses, les goûts simples contractés au village, et la régularité de mœurs à laquelle l’avait accoutumé la vie de famille. Pendant un séjour de cinq ou six années, la théorie et la pratique de la médecine et de la chirurgie, ainsi que des sciences accessoires, telles que la physique, la chimie et la botanique, formèrent son occupation principale. Sans cesse, il passait, des bancs de la Faculté ou de l’école de Saint-Come, dans les hôpitaux, pour y suivre la visite et le pansement des malades. Son zèle fut promptement distingué et lui valut alors la faveur, assez difficile à obtenir, d’être admis comme élève à l’Hôtel-Dieu. Mais tant d’aliments offerts à l’activité intellectuelle de Quesnay ne lui suffirent pas encore, et il y associa la culture des mathématiques et de la philosophie. Il avait été attiré d’une manière invincible, et qui devait percer dans tous ses ouvrages, vers cette dernière science et vers la métaphysique notamment, par la lecture du livre célèbre de la Recherche de la vérité. Enfin, Quesnay entreprit, comme délassement, d’apprendre l’art du dessin et de la gravure. Dirigé à cet égard par un grand artiste de l’époque, Cochin, auprès duquel le hasard l’avait placé à un titre qu’on ignore, il profita si bien des leçons de ce maître, qu’il était parvenu à dessiner et graver des planches d’anatomie d’une manière assez parfaite pour que ces ouvrages pussent être avoués par les plus habiles en ce genre.

Vers 1718, Quesnay, ayant terminé ses cours, voulut s’établir à Mantes et se faire admettre parmi les chirurgiens de cette ville. Il se présentait avec une réputation de talent et d’honneur dont, à ne consulter que l’intérêt du public, la communauté aurait dû être fière. Mais les communautés, petites sociétés fractionnelles et excentriques, qui ne s’isolent de la grande qu’en vue de leur bien propre, n’ont pas l’habitude de l’immoler au bien général. Celle des chirurgiens de Mantes refusa obstinément le candidat. Force lui fut donc d’en appeler à Paris, où des juges plus désintéressés dans la question lui concédèrent ses lettres de maîtrise avec beaucoup d’éloges. Qui sait si, de ce jour, Quesnay ne commença pas à réfléchir sur l’importance de la liberté du travail, et s’il ne fut pas jeté, par cette tracasserie envieuse, sur la voie des théories économiques que plus tard il lança dans le monde ?

Fixé à Mantes, le jeune chirurgien ne tarda pas à s’y créer une clientèle distinguée et nombreuse. Il dut, aux succès qu’il obtint dans le traitement des grandes blessures, la place de chirurgien-major de l’Hôtel-Dieu de cette ville, et au nom qu’il se fit dans la pratique des accouchements, d’être demandé dans tous les châteaux du voisinage. Ces rapports aristocratiques lui procurèrent la connaissance du maréchal de Noailles, le même qui avait dirigé les finances de l’État sous la Régence, avant qu’elles ne tombassent entre les mains de Law. Ce seigneur conçut pour lui tant d’estime et d’amitié, qu’il détermina la reine a ne pas appeler, toutes les fois qu’elle venait à Maintenon, d’autre médecin auprès de sa personne. Un incident imprévu grandit tout à coup sa réputation, et acheva de le mettre en évidence.

En 1727, Silva, qui tenait alors à Paris le sceptre de la médecine, publia un livre sur la saignée. L’ouvrage avait été couvert d’applaudissements. Quesnay ne l’en trouva pas meilleur, et ne dissimula pas à plusieurs de ses amis son projet d’en essayer une réfutation fondée sur les lois de l’hydrostatique. Tous considérèrent presque comme une folie le dessein, de la part d’un simple chirurgien de province, d’entrer en lutte avec un médecin de la capitale, dont le nom seul faisait autorité. Mais, pour toute réponse, Quesnay leur déclara qu’il soumettrait son manuscrit à l’examen de l’un d’entre eux, le Père Bougeant, membre très distingué de l’ordre des jésuites[3], qui était lié aussi avec Silva. Après l’exécution de cette promesse, les craintes du Père changèrent d’objet ; il trembla pour le médecin, et fut l’engager a prévenir l’attaque dangereuse dont son livre était menacé.

La raison parlait par la voix du Père Bougeant ; Silva n’entendit que celle plus flatteuse de son amour-propre, et il en fut très mal conseillé dans cette affaire. Dépositaire du manuscrit de Quesnay, il commença par le rendre avec un superbe dédain, puis voulut le ravoir quand il était retourné entre les mains de l’auteur. Ce dernier n’y consentit pas, et n’accepta qu’une entrevue avec son adversaire chez le maréchal de Noailles. Des personnages compétents y assistaient. Silva y vint avec un ton de supériorité et de morgue scientifique qu’il crut propre à attérer le chirurgien de village, mais qui, contre son attente, ne produisit pas le moindre effet sur le caractère ferme et l’esprit convaincu de son contradicteur. Loin de là, Quesnay réussit à concilier en sa faveur l’opinion de tous les juges du débat, et fut déclaré libre dans la publication de sa critique.

Tout, dans cette lutte, devait tournera la confusion de Silva. D’abord, un ordre exprès du chancelier d’Aguesseau ruina l’appui que le célèbre médecin avait trouvé, pendant près d’un an, dans le censeur royal, pour entraver l’impression de la réponse faite à son livre. Enfin on le vit, lorsque cette réponse parut, obligé de se taire, après avoir annoncé une réplique foudroyante. Il avait invoqué le secours des plus illustres membres de l’Académie des sciences, qui l’avaient aidé, même, dans les calculs d’hydrostatique servant de base à la doctrine de son livre. Mais, après plusieurs conférences tenues chez lui, et où la critique de Quesnay fut soumise à l’examen le plus rigoureux, tous tombèrent d’accord qu’elle n’était pas susceptible de réfutation.

Plus tard, Quesnay se lia avec La Peyronie, premier chirurgien du roi, qu’il rencontrait souvent chez le maréchal de Noailles. La Peyronie, passionné pour son art dont il avait reculé les bornes, voyait avec douleur qu’à cette époque il fût presque complètement séparé de l’exercice de la médecine, et confié à des mains dont la plupart n’étaient dignes que d’être armées de la lancette on du rasoir. Pour remédier à cette honteuse dégradation, cet homme célèbre avait sollicité, et obtenu en 1731, l’établissement d’une académie de chirurgie. Mais il lui fallait, pour appuyer cette institution sur des bases durables, des coopérateurs d’autant plus habiles, que la Faculté, par une rivalité de corps qui ne fait pas l’éloge de l’esprit ou du cœur humain, était animée de sentiments fort hostiles contre ses projets. Il vit dans Quesnay une conquête précieuse pour son académie, et l’y attacha, en 1737, en qualité de secrétaire perpétuel.

Il y avait eu, pour arriver à ce résultat, deux obstacles a surmonter. Le premier, et le plus difficile, était la répugnance que Quesnay éprouvait à se transporter dans la capitale. Entouré de l’estime générale à Mantes, il y vivait heureux, dénué d’ambition, et en véritable philosophe. Il ne se souciait donc nullement d’échanger cette paisible retraite contre les ennuis du monde et le tumulte d’une grande ville. Il céda, toutefois, aux considérations d’intérêt public exposées avec chaleur par son illustre confrère, et vint s’établir chez le duc de Villeroy, qui le reçut comme son médecin, et le traita comme son ami. Peu de temps après, ce seigneur le pourvut d’une place de commissaire des guerres à Lyon, dont il avait droit de disposer en qualité de gouverneur de cette ville.

Le second consistait en ce que Quesnay n’était pas membre du Collège de chirurgie de Paris, et ne pouvait décemment se remettre sur les bancs de l’école pour obtenir ce titre. La Peyronie tourna cette difficulté, en lui faisant obtenir la charge de chirurgien ordinaire du roi, en la prévôté de l’hôtel, place qui emportait l’agrégation à ce collège, et il lui obtint, en outre, le brevet de professeur royal des écoles, pour la partie des médicaments chirurgicaux.

Nommé alors secrétaire perpétuel de l’Académie de chirurgie, Quesnay justifia toute la confiance qu’il avait inspirée au fondateur. D’abord, il consigna d’importants travaux dans le premier volume des Mémoires de la nouvelle académie, dont il accompagna la publication, en 1743, d’une préface que les hommes de l’art et les gens de lettres regardèrent comme un chef-d’œuvre. Ensuite, il eut a soutenir presque tout le poids du long procès que s’intentèrent la Faculté de médecine et le Collège de chirurgie, pour déterminer la limite respective des deux professions. Pendant sept années que dura cette querelle, Quesnay, passant sans cesse de l’attaque à la défense, déploya dans l’une comme dans l’autre un remarquable talent de polémique. Il devint antiquaire, jurisconsulte, historien, avec un succès qui portait la désolation dans le camp de ses adversaires, et l’enthousiasme au sein de sa compagnie. Mais il ne faudrait pas en conclure qu’il cédât à l’influence de l’esprit de corps, et le fait suivant prouve le contraire.

Quesnay avait ressenti, dès l’âge de vingt ans, des attaques de goutte, dont les mains et les yeux étaient le siège principal. Leur répétition plus fréquente lui inspira la crainte de ne pouvoir plus se livrer aux opérations manuelles de son art. Cette circonstance le plaçait donc dans l’alternative ou de renoncer au devoir d’être utile à ses semblables, ou d’abandonner l’exercice de la chirurgie pour celui de la médecine, changement d’état qui devait infailliblement lui attirer le blâme de ses confrères. Dans cette position difficile, il n’écouta que le cri de sa conscience : d’une part, on le vit prendre le bonnet de docteur à l’université de Pont-à-Mousson pendant la campagne de 1744, ou il avait suivi Louis XV à Metz ; et de l’autre, quoique devenu membre de la Faculté, continuer d’écrire en faveur de la chirurgie que la médecine voulait avilir. Il acheta alors la survivance de la charge de premier médecin ordinaire du roi, et obtint ensuite la place de premier médecin-consultant de Sa Majesté. Cette dernière grâce fut précédée de la concession de lettres de noblesse, où les armes, trois fleurs de pensée, et la devise : propter cogitalionem mentis, avaient été données par Louis XV lui-même. Ce prince aimait beaucoup Quesnay, recherchait sa conversation, et l’appelait familièrement le penseur.

Dans le cours de cette brillante carrière, Quesnay avait publié successivement divers ouvrages de médecine, qui soutinrent la réputation qu’il s’était faite par son livre contre Silva[4]. Mais il n’avait pas concentré toutes ses méditations sur la science de guérir ; et il se livrait en même temps a des études qui, bien que d’un autre genre, ne laissaient pas d’offrir encore quelque analogie avec celles dont le corps humain est l’objet. La constitution normale de la société, les causes auxquelles on doit attribuer les souffrances qu’elle éprouve, et les moyens de porter remède à ces souffrances, tels étaient les graves problèmes que le médecin philosophe cherchait à résoudre, en faisant table rase de toutes les idées antérieurement émises, et en n’appuyant sa marche que sur l’observation seule et le raisonnement.

À la lumière de cette méthode, il reconnut, ce dont ne s’étaient pas douté les moralistes et les hommes d’État, que l’organisation de la société n’est pas tout entière l’effet de l’art, et que, loin de dépendre des institutions arbitraires de l’homme, elle est soumise, comme celle de l’individu lui-même, en ce qui touche sa conservation et son développement, à des lois immuables, résultat d’une nature des choses sur laquelle notre espèce n’exerce aucun empire. Ce point de vue nouveau lui révéla, et que les peuples n’ont pas d’affaire plus capitale que la production et la distribution de la richesse, et qu’il n’en était pas cependant qui fût plus négligée, ou poursuivie d’une manière plus irrationnelle, par les gouvernements. Le démontrer, eu soumettant la richesse dans sa nature et dans ses causes, le travail dans ses droits et dans ses effets, la société dans son mécanisme nécessaire, à toute la rigueur de l’analyse philosophique, c’était fonder une science nouvelle : Quesnay se laissa tenter par cette gloire, et l’économie politique, que pressentaient Vauban et Boisguillebert, dès la fin du dix-septième siècle, se développa d’une manière presque définitive sous sa main.

Le trait saillant de la doctrine économique du médecin de Louis XV est la prédilection pour l’agriculture, et il la fonde sur une observation de fait incontestable. La nature a placé l’homme dans la dépendance la plus étroite de la matière ; elle n’est pas moins indispensable à la satisfaction de tous ses besoins moraux et intellectuels, qu’au soutien même de sa vie physique. L’homme tire la matière de la terre par le travail ; mais, le travail supposant lui-même la subsistance ou l’entretien du travailleur, il en résulte que, si la terre ne produisait rien au-delà des besoins de ceux qui l’exploitent, l’existence de ceux qui ne l’exploitent pas cesserait d’être possible. Quesnay vit dans ce fait la preuve que le travail agricole, considéré au point de vue social, présente un caractère qui ne se retrouve pas dans le travail industriel. Il en conclut que le premier est le principe du second, et que celui-ci ne peut se développer que proportionnellement à la puissance de l’autre ; enfin, que cet excédant de rapport de la terre, auquel il donne le nom de produit net, est la source où s’alimentent l’industrie, le commerce, les sciences et les arts, et par conséquent l’élément générateur de la civilisation. En ce sens, l’agriculture, dirigée de manière à fournir un produit net, parut au philosophe la seule industrie productive, parce qu’elle est la seule qui donne un revenu disponible, dans lequel l’État puise l’impôt, et la société les moyens de rétribuer les services de tous ceux qui n’appartiennent pas à la classe agricole.

Mais, en proclamant l’excellence de l’agriculture, Quesnay ne réclamait pour elle aucun privilège, aucun monopole, aucune faveur qui dérogeât au droit commun. Il se bornait à protester, d’une part, contre l’oppression qu’on lui faisait subir dans l’intérêt prétendu du lise, des manufactures et du commerce extérieur ; et à démontrer, de l’autre, par une analyse neuve et profonde de l’action de l’industrie et du commerce en général, que la prospérité de l’État tenait par-dessus tout, au contraire, à ce que les capitaux se portassent vers l’exploitation du sol, source première et unique, selon lui, de la richesse nationale. Puis, levant l’étendard de la révolte contre le système mercantile, inauguré en France par Colbert, il bouleversait de fond en comble ses vaines théories, mettait au grand jour l’effet désastreux des prohibitions et des règlements, lui opposait la puissance salutaire de la liberté, et appelait les peuples à la donner pour pivot a l’ordre économique.

Ce fut vers 1756 que Quesnay, après avoir déjà répandu ses idées à la cour et parmi quelques hommes appartenant à la haute administration, les livra pour la première fois au public dans les articles Fermiers et Grains, de l'Encydopédie. Elles eurent un retentissement extraordinaire, et qu’attestent les nombreux ouvrages qui se succédèrent sur l’économie politique à partir de cette époque[5].

À la fin de 1758, il consigna sa doctrine d’une manière plus précise dans un écrit peu volumineux et de format in-4o, intitulé : Tableau économique. Cette œuvre nouvelle, imprimée avec beaucoup de luxe à Versailles, sous les yeux et dans le palais même du roi, qui en tira des épreuves de sa main, ne le fut qu’à un très petit nombre d’exemplaires. Elle comprenait, selon Forbonnais[6] : 1o une Table arithmétique destinée à rendre sensible à l’œil la marche de la circulation annuelle des produits dans la société ; 2o sous le titre d’Extrait des économies royales de M. de Sully, un développement où se trouvaient, au nombre de vingt-quatre, les Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole, éclaircies par des Notes plus considérables que le texte. La disparition totale de l’édition première[7] n’a pas empêché, comme on le dira tout-à-l’heure, les Maximes et leurs Notes de parvenir jusqu’à nous ; mais il reste incertain de savoir si l’on possède la Table dans toute son étendue, à moins qu’elle ne soit identique avec la série de formules, très peu intelligibles d’ailleurs, accumulées dans l'Ami des hommes par le marquis de Mirabeau.

Postérieurement, Quesnay poursuivit l’exposition de ses théories économiques, dans le Journal de l’agriculture, du commerce et des finances, ainsi que dans les Éphémérides du citoyen ; et en 1768 Dupont de Nemours, son disciple et son ami, tirant du premier de ces recueils, dont il était le rédacteur en chef, tout ce que le maître y avait inséré de plus capital, en composa le livre ayant pour titre : Physiocratie, ou constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain. Là fut reproduite complètement, d’après l’éditeur[8], et même avec des augmentations, puisque les Maximes y sont portées au nombre de trente et que la Table arithmétique est suivie d’Observations non relatées par Forbonnais, toute la seconde partie du livre imprimé à Versailles. Mais, comme le Tableau économique proprement dit ne s’y trouve donné que sous le titre d’Analyse[9], il est permis de croire, conformément à ce qu’on a dit plus haut, que, dans l’édition de Versailles, cette espèce d’arbre généalogique de la circulation apparaissait avec plus de développement[10].

Un fait plus incontestable que ce point, c’est que peu d’années avaient suffi pour que la science nouvelle, comme on l’appelait alors, préoccupât vivement toutes les intelligences. Sans parler de Gournay, qui y avait été conduit par ses propres méditations, et qui la résumait pratiquement par cette courte formule : laissez faire, laissez passer[11] ; sans parler de Turgot, son illustre élève, les meilleurs esprits du temps avaient embrassé ses principes, qu’ils défendaient avec chaleur, pendant que les préjugés et l'intérêt personnel se réunissaient à leur tour pour les combattre[12]. De la France, ce mouvement d’idées passa dans toute l'Europe ; n’y fut pas sans influence sur l’administration de plusieurs souverains ; produisit en Angleterre le beau livre de la Richesse des Nations[13], et chez nous la suppression des douanes intérieures et l’affranchissement du travail, quand vint la révolution de 1789. S’il n’en est pas résulté tout le bien qui pouvait en sortir, si l’impôt appelle toujours une grave et nécessaire réforme, si nous voyons encore les peuples opposer des barrières artificielles à la circulation respective de leurs produits, tandis qu’ils se consument en efforts pour créer des routes, des canaux et des chemins de fer, il n’en est pas moins vrai que c’est à l’école de Quesnay que nous devons, soit directement, soit indirectement par les travaux de ses successeurs, toutes les notions plus saines que les hommes d’état ont acquises sur les moyens de développer la richesse publique. C’est elle enfin, et ce n’est pas la sa moindre gloire, qui, imbue du respect le plus profond pour la morale, démontra la première que les lois n’en étaient pas en opposition avec les calculs mêmes de l’intérêt ; qu’il y avait solidarité de bonne et de mauvaise fortune entre toutes les nations, et que, dans aucun cas, la ruine des unes ne pouvait contribuer à l’opulence des autres.

Le chef des économistes vécut assez pour être témoin de l’avènement de Turgot au ministère, et entendre la lecture du célèbre édit qui rendait la liberté au commerce des grains dans l’intérieur du royaume. C’était un premier pas fait vers l’application des doctrines si chères à son cœur, mais il ne lui fut pas donné de voir les autres. La goutte, dont l’âge avait rendu pour lui les attaques plus dangereuses, l’emporta trois mois après cet événement, et il mourut octogénaire le 16 décembre 1774. Sa fin fut celle d’un sage qui ne démentait pas, à ses derniers moments, la résignation courageuse avec laquelle il avait toujours supporté les misères inséparables de l’existence. « Console-toi, dit-il à son domestique qui pleurait près de son lit, console-toi, je n’étais pas né pour ne pas mourir ; regarde ce portrait qui est devant moi ; lis au bas l’année de ma naissance ; juge si je n’ai pas assez vécu. »

L’on peut dire que, pendant le cours de cette longue carrière, Quesnay ne cessa jamais d’être l’homme de ses propres écrits qui, tous, accusent un caractère ferme, un esprit droit et plein d’indépendance, un cœur honnête et vivement pénétré de l’amour du bien public.

« Il possédait au suprême degré, rapporte l’un de ses biographes, l’art de connaître les hommes. Il les forçait, pour ainsi dire sans qu’ils s’en aperçussent, à se montrer à ses yeux tels qu’ils étaient. Aussi accordait-il sa confiance sans réserve a ceux qui la méritaient, et le long usage de la cour l’avait mis à portée de parler sans rien dire aux autres : il ne les ménageait cependant à ce point que lorsqu’ils ne s’étaient pas trop démasqués ; ceux qui lui montraient à découvert une âme vile et corrompue pouvaient être sûrs, de quelque qualité qu’ils fussent, d’être traités comme ils le méritaient[14]. » Appréciant la richesse à sa juste valeur, il ne dédaigna pas de l’acquérir par des voies honorables, mais il refusa constamment d’employer son crédit soit pour lui-même, soit pour placer d’autres personnes que celles dont il croyait les services utiles à l’État. Sa famille le tourmentait pour obtenir a son propre fils une place de fermier-général : « Je ne veux pas, répondit-il, laisser pénétrer chez moi la tentation de prendre intérêt aux genres d’impôts qui arrêtent les progrès de l’agriculture et du commerce. Le bonheur de mes enfants doit être lié à la prospérité publique. » Quesnay mit ce fils à la tête de l’exploitation d’un grand domaine rural, ajoutant : « là, il ne pourra s’enrichir que d’une manière utile à la patrie. » Quoiqu’il logeât dans le palais même du roi, il ne compromit jamais la dignité de son caractère dans aucune intrigue, et, comme l’atteste Marmontel dans ses mémoires : « tandis que les orages se formaient et se dissipaient au-dessous de l’entresol du docteur, celui-ci griffonnait ses axiomes et ses calculs d’économie rustique, aussi tranquille, aussi indifférent a ces mouvements de la cour, que s’il en eût été à cent lieues de distance. »

Quesnay apportait, dans le commerce du monde, une conversation instructive, piquante, une humeur toujours égale et beaucoup d’enjouement ; il était petit de taille et d’une figure peu avantageuse. Un contemporain lui attribue le masque de Socrate. Cette allégation ne s’accorde pas avec le témoignage des artistes qui ont reproduit les traits de cet homme célèbre, et qui leur donnent une ressemblance beaucoup plus marquée avec le buste de Voltaire. Mais, que le médecin de Louis XV ressemblât à Socrate ou au patriarche de Ferney, il est certain, et plusieurs anecdotes le prouvent, qu’il lui arrivait souvent de manier l’ironie avec autant de succès que l’un et l’autre.

Ainsi, lors des disputes du clergé et du parlement, il se rencontra, dans le salon de madame de Pompadour, avec un homme en place qui, voyant combien ces démêlés fatiguaient le monarque, proposait des moyens violents, et disait : C'est la hallebarde qui mène un royaume. — Et qui est-ce qui mène la hallebarde, monsieur ? répliqua Quesnay. On attendait, il développa sa pensée : C’est l’opinion, c’est donc sur l’opinion qu’il faut travailler, ajouta-t-il.

Ainsi encore, après une consultation intéressant un personnage considérable, un médecin fameux, dont l’avis avait prévalu, quoiqu’avec beaucoup d’opposition, vint trouver Quesnay, que la goutte retenait chez lui, et qui n’avait pas été appelé auprès du malade. Le docteur donnait pour but apparent à sa démarche l’intention de s’éclairer des conseils de son confrère, mais ce dernier, saisissant l’esprit de cette tardive déférence, se contenta de lui répondre : Monsieur, j’ai mis aussi à la loterie quelquefois, mais jamais quand elle était tirée.

Frappé des entraves que, dans un intérêt qui n’avait rien de commun avec celui du grand nombre, le conflit perpétuel des trois grands corps de l’état, le clergé, la noblesse et le parlement, opposait à l’exercice de l'autorité royale, Quesnay se prononça en politique pour le gouvernement d’un seul. Il pensait à cet égard, et c’était à peu près aussi l’opinion de Turgot, qui, dans son projet de constitution, ne conféra pas le pouvoir législatif à sa municipalité générale, que le despotisme, dans la mauvaise acception de ce mot, est impossible, si la nation est éclairée, et qu’il n’y a pas de contre force, de système représentatif, qui puisse y mettre obstacle, si la masse du peuple manque de la conscience de ses devoirs et du sentiment de ses droits. C’est un grand problème dont l’avenir seul pourra donner la solution, mais qui, heureusement, n’intéresse en aucune manière la valeur des études économiques auxquelles se sont livrés les physiocrates. Du reste, Quesnay l’a, personnellement, plutôt soulevé que discuté dans ses écrits, où l’on ne rencontre qu’un seul passage qui s’y rapporte, la première des Maximes du gouvernement d’un royaume agricole[15]. En outre, il ne faut pas perdre de vue qu’en reclamant l’unité du pouvoir pour briser plus facilement toutes les résistances à l’intérêt général, ce philosophe et son école n’entendaient pas rendre, comme les radicaux et les socialistes de nos jours, l’autorité souveraine omnipotente. Loin de là, ils traçaient rigoureusement le cercle dans lequel elle devait se mouvoir, et réservaient, au préalable, la liberté de l’individu, sous la seule condition de n’en pas faire un usage nuisible a la liberté des autres[16]. Et, comme ils donnaient, d’accord en cela avec tous les publicistes qui n’ont pas méconnu la nature des choses, la propriété pour fondement à la société civile, il s’ensuit que le despotisme qu’ils préconisaient n’était, au résumé, que l’empire de la raison, celui, en un mot, que doit avoir pour but d’établir tout gouvernement, quelle que soit sa forme, que l’exercice en soit entre les mains de plusieurs ou entre les mains d’un seul.

Il est, dans le cœur de l’homme, un désir qu’on n’en arrachera jamais, celui de réaliser son bien-être, et ce désir est, au fond, le principe secret de toutes les agitations sociales. Contenue par la justice, cette tendance ne peut produire que les effets les plus salutaires ; mais elle n’en produit pas de moins funestes, si elle ne s’y renferme pas, si elle les outrepasse. Régler tout à la fois et satisfaire cette tendance, constitue donc, en quelque sorte, l’unique affaire des gouvernements. L’éternel mérite de Quesnay sera d’avoir compris cette vérité au milieu de la fermentation purement négative du dix-huitième siècle, et d’avoir, le premier, posé scientifiquement le difficile problème de l’amélioration physique, morale et intellectuelle du peuple.

En détruisant le règne de l’empirisme sous ce rapport, il s’est placé au nombre des plus grands bienfaiteurs de l’humanité.

Quesnay est mort membre des académies royales des sciences de Paris et de Lyon, et de la société royale de Londres. Il s’était marié en 1718. Il eut un fils et une fille, qui ont laissé, eux-mêmes, plusieurs descendants. Quesnay de Saint-Germain, l’un d’eux, homme de beaucoup de mérite, après avoir passé quelques instants dans l’administration sous le ministère de Turgot, devint conseiller à la cour des aides de Paris, et député du département de Maine-et-Loire à l’assemblée législative. Il est mort sans postérité ; mais, à cette époque, il existait encore un petit-fils et un arrière petit-fils du docteur Quesnay, qui ont perpétué, peut-être, l’honorable nom de leur auteur[17].


  1. Physiocratie, du grec φυσις, nature, et κρατειν, commander, signifie gouvernement de la nature.
  2. Grandjean de Fouchy, Éloge de Quesnay, prononcé à l'Académie des sciences en 1774.
  3. Auteur de l’Amusement philosophique sur le langage des bêtes, et de deux ouvrages historiques très estimés, l’histoire du Traité de Westphalie, et l’histoire des guerres et des négociations qui précédèrent ce traité.
  4. Les ouvrages de médecine publiés par Quesnay sont : 1o Observations sur les effets de la saignée, Paris, — 1730 ; nouvelle édition, 1750, in-12. —2o Essai physique sur l’économie animale, avec l’Art de guérir par la saignée, ibid., 1736, in-12 ; 1747, 5 volumes in-12. — 3o Traité de la suppuration, ibid., 1749, in-12. — 4o Traité de la gangrène, ibid., 1749, in-12. — 5o Traité des fièvres continues, ibid., 1753, 2 volumes in-12. — 6o Observations sur la conservation de la vue, ouvrage imprimé à Versailles en même temps que le Tableau économique, et qui ne se retrouve pas plus que le dernier.

    La Biographie universelle attribue encore à Quesnay : Recherches critiques et historiques sur l’origine, les divers états et le progrès de la chirurgie en France, Paris, 1744, in-4o et in-12, 2 volumes ; reproduit sous ce titre : Histoire de l’origine et des progrès de la chirurgie en France, ibid., 1749, in-4o.

  5. Voy., Catalogue d’une bibliothèque d’économie politique, à la suite du Prospectus d’un nouveau dictionnaire de commerce, par l’abbé Morellet, ou la Bibliographie des principaux ouvrages d’économie politique, donnée par M. Blanqui.
  6. Principes et observations économiques, t. 1, page 161 et 162.
  7. On ne trouvait plus, dans le commerce, d’exemplaires de cette édition dès 1767. « Nous indiquerions en vain, dit le marquis de Mirabeau, dans les Éphémérides du citoyen, en parlant du Tableau économique, la magnifique édition qui fut faite dans les mois de novembre et décembre 1738 ; il n’est plus possible de s’en procurer des exemplaires (Éphémérides de 1767, t. I, p. 48). »
  8. Voyez la note jointe par Dupont de Nemours à l’Avis précédant les Maximes générales du gouvernement d’un royaume agricole.
  9. Du reste, cette analyse avait été faite par Quesnay lui-même. C’est ce qu’atteste encore le marquis de Mirabeau dans ses Éphémérides, volume et page déjà cités.
  10. Voy. Richesse des nations, t. II, p. 220 et 221, un passage d’Ad. Smith, qui jette quelque jour sur cette question.
  11. D’après quelques écrivains, un négociant nommé Legendre, et consulté par Colbert, serait le véritable auteur de cette formule, si violemment combattue de nos jours.
  12. Les économistes comptaient dans leurs rangs, Mirabeau le père. Bandeau, Roubaud, Mercier de la Rivière, Abeille, Turgot, Trudaine, Herbert, De Fourqueux, Malesberbes, Lavoisier, De Jaucourt, Condorcet, Condillac, Raynal, Dupont, Morellet, Letrosne, De St-Péravy, etc.

    Les seuls noms de quelque poids parmi leurs adversaires, sont ceux de Galiani, de Forbonnais et de Necker.

  13. « Il est facile, dit M. Blanqui dans sa notice sur Adam Smith, de reconnaître l’empreinte de l'école économiste dans les œuvres de Smith, quoique ses doctrines diffèrent en plusieurs points de celles de Quesnay. » L’on sait, en outre, que le premier de ces philosophes avait eu de fréquentes relations avec Turgot et Quesnay dans son voyage en France en 1760, et qu’il avait eu le projet de dédier la Richesse des nations au célèbre docteur, projet que la mort de celui-ci l’empêcha seule d’exécuter. »
  14. Grandjean de Fouchy, Éloge de Quesnay à l’Académie des sciences.
  15. Cette maxime est ainsi conçue :

    Que l’autorité souveraine soit unique et supérieure à tous les individus de la société et à toutes les entreprises injustes des intérêts particuliers ; car l’objet de la domination et de l’obéissance est la sûreté de tous, et l’intérêt licite de tous. Le système des contre forces dans un gouvernement est une opinion funeste qui ne laisse apercevoir que la discorde entre les grands et l’accablement des petits. La division des sociétés en différents ordres de citoyens dont les uns exercent l’autorité souveraine sur les autres, détruit l’intérêt général de la nation, et introduit la dissention des intérêts particuliers entre les différentes classes de citoyens : cette division intervertirait l’ordre du gouvernement d’un royaume agricole qui doit réunir tous les intérêts à un objet capital, à la prospérité de l’agriculture qui est la source de toutes les richesses de l’État et de celles de tous les citoyens. »

  16. « La liberté de chaque homme étant également sacrée, disait Quesnay, le respect pour celle des autres est la limite naturelle de l’usage licite que chacun peut faire de la sienne. »
  17. Quesnay avait marié sa fille à M. Hérin, premier chirurgien de Madame. Quatre enfants naquirent de cette union, de sorte que, du côté des femmes, la postérité du docteur peut encore être fort nombreuse aujourd’hui.