Philosophie zoologique (1809)/Troisième Partie/Sixième Chapitre

Troisième Partie, Sixième Chapitre
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CHAPITRE VI.
De la volonté.


JE me propose de prouver, dans ce chapitre, que la volonté, qu’on a regardée comme la source de toute action, dans les animaux, ne peut avoir d’existence que dans ceux qui jouissent d’un organe spécial pour l’intelligence, et qu’en outre, à l’égard de ces derniers, ainsi qu’à celui de l’homme même, elle n’est pas toujours le principe des actions qu’ils exécutent.

Si l’on y donne quelqu’attention, on reconnoîtra, effectivement, que la volonté est le résultat immédiat d’un acte d’intelligence ; car elle est toujours la suite d’un jugement, et par conséquent d’une idée, d’une pensée, d’une comparaison, ou d’un choix, que ce jugement détermine ; enfin, l’on sentira que la faculté de vouloir n’est autre chose que celle de se déterminer par la pensée, c’est-à-dire, par une opération de l’organe de l’entendement, à une action quelconque, et de pouvoir exciter une émotion du sentiment intérieur, capable de produire cette action.

Ainsi, la volonté est une détermination à une action, opérée par l’intelligence de l’individu : elle résulte toujours d’un jugement, et ce jugement lui-même provient nécessairement d’une idée, d’une pensée, ou de quelqu’impression qui donne lieu à l’idée ou à la pensée dont il s’agit ; en sorte que c’est uniquement par un acte de l’intelligence que la volonté, qui détermine un individu à une action, peut se former.

Mais si la volonté n’est autre chose qu’une détermination, qui s’opère à la suite d’un jugement, et conséquemment, que le résultat d’un acte intellectuel, il sera donc alors évident que les animaux, qui n’ont pas un organe pour l’intelligence, ne sauroient exécuter des actes de volonté. Cependant ces animaux agissent, c’est-à-dire, exécutent tous, en général, des mouvemens qui constituent leurs actions. Il y a donc plusieurs sources différentes dans lesquelles les actions des animaux puisent les moyens qui les produisent.

Or, les mouvemens de tous les animaux étant excités et non communiqués, les causes, excitatrices de ces mouvemens, doivent différer entre elles. En effet, on a vu que, dans certains animaux, ces causes provenoient uniquement de l’extérieur, c’est-à-dire, des milieux environnans qui les fournissent ; tandis que, dans les autres, le sentiment intérieur, que possèdent ces derniers, étoit un moteur suffisant pour produire les mouvemens qui doivent s’exécuter.

Mais le sentiment intérieur, qui ne devient une puissance que lorsqu’il a été ému par une cause physique, reçoit ses émotions par deux voies fort différentes : dans les animaux qui manquent de l’organe nécessaire à la formation des actes de volonté, le sentiment intérieur ne peut s’émouvoir que par la voie des sensations ; tandis que, dans ceux qui ont un organe pour l’intelligence, les émotions de ce sentiment sont, tantôt, le résultat unique des sensations qu’éprouvent ces animaux, et tantôt, celui d’une volonté qu’une opération de l’entendement fait naître.

Or, voilà trois sources distinctes pour les actions des animaux ; savoir : 1°. Les causes extérieures qui viennent exciter l’irritabilité de ces êtres ; 2°. Le sentiment intérieur que des sensations émeuvent ; 3°. Enfin, le même sentiment recevant ses émotions de la volonté.

les actions, ou les mouvemens, qui proviennent de la première de ces trois sources, s’opèrent sans la voie des muscles ; car le système musculaire n’existe pas dans les animaux en qui on les observe ; et lorsqu’il commence à se former, les excitations du dehors suppléent encore au sentiment intérieur qui n’a pas d’existence ; mais les actions, ou les mouvemens, qui prennent leur origine dans les émotions du sentiment intérieur de l’individu, ne s’exécutent que par l’intermédiaire des muscles qu’excite le fluide nerveux.

Ainsi, lorsque la volonté détermine un individu à une action quelconque, le sentiment intérieur en reçoit aussitôt une émotion, et les mouvemens qui en résultent, se dirigent de manière que, dans l’instant même, le fluide nerveux est envoyé aux muscles qui doivent agir.

Quant aux animaux qui, doués de la sensibilité physique, ne possèdent point d’organe pour l’intelligence, et qui, conséquemment, ne peuvent exécuter aucun acte de volonté, chacun de leurs besoins résulte toujours d’une sensation quelconque, c’est-à-dire, d’une perception qui le fait ressentir, et non d’une idée, ni d’un jugement ; et ce besoin, ou cette perception, émeut immédiatement le sentiment intérieur de l’individu. Il suit de là, que ces animaux, avant d’agir, ne délibèrent point, ne jugent point, et n’ont aucune détermination préalable à exécuter. Leur sentiment intérieur, directement ému par le besoin, et ensuite dirigé, dans ses mouvemens, par la nature même de ce besoin, met aussitôt en action les parties qui doivent se mouvoir. Donc les actions qui proviennent de cette source, ne sont pas précédées par une volonté réelle.

Mais ce qui est ici une nécessité, pour les animaux dont il vient d’être question, a lieu aussi, le plus souvent, dans ceux qui sont doués des facultés de l’intelligence ; car presque tous les besoins de ces derniers, provenant de sensations qui réveillent certaines habitudes, émeuvent immédiatement le sentiment intérieur, et mettent ces animaux dans le cas d’agir avant d’y avoir pensé. L’homme même exécute aussi des actions qui ont une semblable origine, lorsque les besoins qui les provoquent sont pressans. Par exemple, si, par distraction, vous prenez, pour quelqu’usage, un morceau de fer qui, contre votre attente, se trouve très-chaud, la douleur que vous fait éprouver la chaleur de ce fer, émeut aussitôt votre sentiment intérieur, et avant d’avoir pu penser à ce que vous devez faire, l’action des muscles, qui vous fait quitter ce fer chaud que vous teniez, est déjà exécutée.

Il suit des considérations que je viens d’exposer, que les actions qui s’exécutent à la suite des besoins, que provoquent des sensations, lesquelles émeuvent immédiatement le sentiment intérieur de l’individu, ne sont nullement le résultat d’aucune pensée, d’aucun jugement, et conséquemment d’aucun acte de volonté ; tandis que celles qui s’opèrent à la suite des besoins, que provoquent des idées ou des pensées, sont uniquement le résultat de ces actes d’intelligence, qui émeuvent aussi immédiatement le sentiment intérieur, et mettent l’individu dans le cas d’agir par une volonté évidente.

Cette distinction entre les actions dont la cause, immédiatement déterminante, prend sa source dans quelque sensation, et celles qui résultent d’une détermination exécutée par un jugement, en un mot, par un acte d’intelligence, est d’une grande importance pour éviter la confusion et l’erreur, lorsque nous considérons ces admirables phénomènes de l’organisation. C’est parce qu’on ne l’avoit pas faite, qu’on a attribué généralement aux animaux une volonté pour l’exécution de leurs actions ; en sorte que, se fondant sur ce qui est relatif à l’homme et aux animaux les plus parfaits, dans la définition qu’on a donnée des animaux en général, on a supposé qu’ils avoient tous la faculté de se mouvoir volontairement, ce qui n’est pas, même pour ceux qui possèdent un système nerveux, et à plus forte raison pour ceux qui en sont dépourvus.

Assurément, les animaux qui n’ont pas de système nerveux, ne sauroient jouir de la faculté de vouloir, c’est-à-dire, ne sauroient exécuter aucune détermination, aucun acte de volonté ; bien loin de cela, ils ne peuvent avoir même le sentiment de leur existence : les infusoires et les polypes sont dans ce cas.

Ceux qui ont un système nerveux capable de leur donner la faculté de sentir, mais qui manquent d’hypocéphale, c’est-à-dire, d’organe spécial pour l’intelligence, jouissent, à la vérité, d’un sentiment intérieur, source de leurs actions, et il se forme en eux des perceptions confuses des objets qui les affectent ; mais ils n’ont point d’idées, ne pensent point, ne comparent point, ne jugent point, et conséquemment, n’exécutent aucun acte de volonté. on a lieu de croire que les insectes, les arachnides, les crustacés, les annelides, les cirrhipèdes et même les mollusques, se trouvent dans ce second cas.

Le sentiment intérieur, ému par quelque besoin, est la source de toutes les actions de ces animaux. Ils agissent sans délibération, sans détermination préalable, et toujours dans l’unique direction que le besoin leur imprime ; et lorsqu’en agissant, un obstacle quelconque les arrête, s’ils l’évitent, s’en détournent, et semblent choisir, c’est qu’alors un nouveau besoin émeut encore leur sentiment intérieur. Aussi leur nouvelle action ne résulte, ni de combinaison d’idées, ni de comparaison entre les objets, ni d’un jugement qui les détermine, puisque ces animaux ne sauroient former aucune des opérations de l’intelligence, n’ayant pas l’organe qui peut les effectuer ; enfin, cette nouvelle action est en eux la suite de quelque émotion de leur sentiment intérieur.

Il n’y a donc que les animaux qui, outre un système nerveux, possèdent encore l’organe spécial dans lequel s’exécutent des idées complexes, des pensées, des comparaisons, des jugemens, etc., qui jouissent de la faculté de vouloir, et qui puissent exécuter des actes de volonté. C’est apparemment le cas des animaux à vertèbres : et puisque les poissons et les reptiles ont encore un cerveau tellement imparfait qu’il ne peut remplir entièrement la cavité du crâne, ce qui indique que leurs actes d’intelligence sont extrêmement bornés, c’est au moins dans les oiseaux et les mammifères, qu’on doit reconnoître la faculté de vouloir, ainsi que la jouissance d’une volonté déterminatrice de plusieurs des actions de ces animaux ; car ils exécutent évidemment différens actes d’intelligence, et ils ont effectivement l’organe particulier qui les rend capables de les produire.

Mais, j’ai déjà fait voir que, dans les animaux qui possèdent un organe spécial pour l’intelligence, toutes les actions ne résultoient pas exclusivement d’une volonté, c’est-à-dire, d’une détermination intellectuelle et préalable, qui excite la force qui les produit. Certaines d’entre elles sont, à la vérité, le produit de la faculté de vouloir ; mais beaucoup d’autres ne proviennent que de l’émotion directe du sentiment intérieur, qu’excitent des besoins subits, et qui fait exécuter à ces animaux, des actions qu’aucune détermination, par la pensée, ne précède en aucune manière.

Dans l’homme même, que d’actions sont uniquement provoquées, et aussitôt exécutées, par la simple émotion du sentiment intérieur, et sans la participation de la volonté ! Enfin, n’est-ce pas à de premiers mouvemens, non maîtrisés, qu’une multitude de ces actions doivent leur origine ; et ces premiers mouvemens, que sont-ils, si ce ne sont les résultats du sentiment intérieur ?

S’il n’y a point, ainsi que je l’ai dit plus haut, de volonté réelle dans les animaux qui possèdent un système nerveux, mais qui sont dépourvus d’un organe pour l’intelligence, ce qui est cause que ces animaux n’agissent que par les émotions que des sensations produisent en eux ; il y en a bien moins encore dans ceux qui sont privés de nerfs. Aussi paroît-il que ces derniers ne se meuvent que par leur irritabilité excitée, et que par l’effet immédiat des excitations extérieures.

On conçoit, d’après ce que je viens d’exposer, que lorsque la nature fut parvenue à transporter, dans l’intérieur des animaux, la puissance d’agir, c’est-à-dire, à créer, au moyen du système nerveux, ce sentiment intérieur, source de la force qui fait produire les actions, elle perfectionna ensuite son ouvrage, en créant une seconde puissance intérieure, celle de la volonté, qui naît des actes de l’intelligence, et qui seule peut réussir à faire varier les actions habituelles.

La nature n’eut besoin, pour cela, que d’ajouter au système nerveux un nouvel organe, celui dans lequel s’exécutent les actes de l’intelligence ; et que de séparer du foyer des sensations, ou des perceptions, l’organe où se forment les idées, les comparaisons, les jugemens, les raisonnemens, en un mot, les pensées.

Ainsi, dans les animaux les plus parfaits, la moelle épinière sert ou fournit au mouvement musculaire des parties du corps, et à l’entretien des fonctions vitales ; tandis que le foyer des sensations, au lieu d’être placé dans l’étendue ou dans quelque point isolé de cette moelle épinière, se trouve évidemment concentré à son extrémité supérieure ou antérieure, dans la partie inférieure du cerveau. Ce foyer des sensations est conséquemment très-rapproché de l’organe dans lequel s’exécutent les différens actes de l’intelligence, sans être néanmoins confondu avec lui.

L’organisation animale étant parvenue au terme de perfectionnement qui y fait exister un organe pour les actes d’intelligence, les individus, qui possèdent cette organisation, ont des idées simples et peuvent s’en former de complexes ; ils jouissent d’une volonté, libre en apparence, qui détermine certaines de leurs actions ; ils ont des passions, c’est-à-dire, des penchans exaltés qui les entraînent vers certains ordres d’idées et d’actions qu’ils ne maîtrisent point ; enfin, ils sont doués de mémoire, et ont la faculté de se rendre présentes des idées déjà tracées dans leur organe, ce qui s’exécute au moyen du fluide nerveux qui repasse et s’agite sur les impressions ou les traces subsistantes de ces idées.

On sent que des agitations désordonnées du fluide nerveux sur les traces dont il s’agit, sont les causes des songes que font souvent pendant leur sommeil les animaux capables d’avoir des idées.

Les animaux, qui ont de l’intelligence, font néanmoins la plupart de leurs actions par instinct et par habitude, et à ces égards, ils ne se trompent jamais ; et lorsqu’ils agissent par volonté, c’est-à-dire, à la suite d’un jugement, ils ne se trompent pas encore ou du moins très-rarement ; parce que les élémens qui entrent dans leurs jugemens, sont en petit nombre, et qu’en général, ils leur sont fournis par les sensations ; et surtout, parce que, dans une même race, il n’y a point d’inégalité dans l’intelligence et dans les idées des individus. Il suit de là que leurs actes de volonté sont des déterminations qui les font toujours satisfaire sans erreur aux besoins qui les émeuvent. On a dit, d’après cela, que l’instinct pour les animaux étoit un flambeau qui les éclairoit mieux que notre raison.

Le vrai est que, moins libres que nous de varier leurs actions, plus assujettis à leurs habitudes, les animaux ne trouvent dans leur instinct qu’une nécessité qui les entraîne, et dans leurs actes de volonté qu’une cause, dont les élémens non variables, non modifiés, très-peu compliqués, et toujours les mêmes dans tous les individus d’une même race, a dans tous une puissance et une étendue égales dans les mêmes cas. Enfin, comme il ne se trouve entre les individus de la même espèce, aucune inégalité dans les facultés intellectuelles, leurs jugemens sur les mêmes objets, et leur volonté d’agir qui peut résulter de ces jugemens, sont des causes qui leur font exécuter, à très-peu près, les mêmes actions dans les mêmes circonstances.

Je terminerai ces vues sur les sources et les résultats de la volonté, par quelques considérations relatives à la même faculté dans l’homme ; et l’on va voir que les choses sont bien différentes à son égard, de celles que nous venons d’examiner dans les animaux ; car, quoiqu’il paroisse beaucoup plus libre qu’eux dans ses actes de volonté, il ne l’est effectivement pas, et cependant, par une cause que je vais tâcher de faire sentir, les individus de son espèce agissent très-différemment les uns des autres dans des circonstances semblables.

La volonté dépendant toujours d’un jugement quelconque, n’est jamais véritablement libre ; car le jugement qui y donne lieu est, comme le quotient d’une opération arithmétique, un résultat nécessaire de l’ensemble des élémens qui l’ont formé. Mais l’acte même qui constitue un jugement doit varier dans ses produits, selon les individus, par la raison que les élémens qui entrent dans la formation de ce jugement, sont dans le cas d’être fort différens dans chaque individu qui l’exécute.

En effet, il entre, en général, tant d’élémens divers dans la formation de nos jugemens ; il s’en trouve tant qui sont étrangers à ceux qu’il faudroit employer ; et, parmi ceux dont on devroit faire usage, il y en a tant qui sont inaperçus ou rejetés par des préventions, ou, enfin, qui sont, soit altérés, soit changés, par notre disposition, notre santé, notre âge, notre sexe, nos habitudes, nos penchans, l’état de nos lumières, etc., que ces élémens rendent le jugement que l’on porte sur un même sujet, fort différent, selon les individus. Nos jugemens dépendant de tant de particularités inappréciables et très-difficiles à reconnoître, ont fait croire que nous étions libres dans nos déterminations, quoique nous ne le soyons réellement pas, puisque les jugemens qui les produisent ne le sont pas eux-mêmes.

La diversité de nos jugemens est si remarquable, qu’il arrive souvent qu’un objet considéré donne lieu à autant de jugemens particuliers qu’il y a de personnes qui entreprennent de prononcer à son égard. On a pris cette variation pour une liberté dans la détermination, et l’on s’est trompé ; elle n’est que le résultat des élémens divers qui, pour chaque personne, entrent dans le jugement exécuté.

Il y a cependant des objets si simples dans leurs qualités, et qui présentent si peu de faces différentes à considérer, qu’on est à peu près généralement d’accord sur le jugement qu’on en porte. Mais, ces objets se réduisent presque uniquement à ceux qui sont hors de nous, et qui ne nous sont connus que par les sensations qu’ils excitent ou qu’ils ont excitées sur nos sens. Nos jugemens, à leur égard, n’ont guère d’autres élémens à employer que ceux que les sensations nous fournissent, et que les comparaisons que nous en formons avec les autres corps qui nous sont connus. Enfin, pour les jugemens dont il s’agit, notre entendement n’a que très-peu d’opérations à exécuter.

Il résulte de l’énorme multitude de causes diverses, qui changent ou modifient les élémens que nous faisons entrer dans la formation de nos jugemens, surtout de ceux qui exigent différentes opérations de l’intelligence, que, le plus souvent, ces jugemens sont erronés, manquent de justesse, et que, par une suite de l’inégalité qui se trouve entre les facultés intellectuelles des individus, ces mêmes jugemens sont, en général, aussi variés que les personnes qui les forment, les élémens que chacun y apporte n’étant pas les mêmes. Il en résulte, en outre, que les désordres de ces actes d’intelligence en entraînent nécessairement dans ceux qui constituent nos volontés, et par suite, dans nos actions.

Si l’objet que j’ai en vue dans cet ouvrage ne me retenoit dans des bornes que je ne veux pas franchir, je pourrois faire des applications nombreuses qui établiroient encore mieux le fondement de ces considérations ; j’aurois même à ces égards des remarques à faire qui ne seroient pas sans intérêt.

Par exemple, je pourrois montrer que, tandis que l’homme retire de ses facultés intellectuelles, bien développées, de très-grands avantages, l’espèce humaine, considérée en général, en éprouve en même temps des inconvéniens considérables ; car ces facultés donnant autant de facilité et autant de moyens pour exécuter le mal que pour faire le bien, leur résultat général est toujours au désavantage des individus qui exercent le moins leur intelligence, ce qui est nécessairement le cas du plus grand nombre. Alors, on sentiroit que le mal, à cet égard, réside principalement dans l’extrême inégalité d’intelligence des individus, inégalité qu’il est impossible de détruire entièrement. Néanmoins, on reconnoîtroit mieux encore que ce qu’il importeroit le plus pour le perfectionnement et le bonheur de l’homme, seroit de diminuer le plus possible cette énorme inégalité, parce qu’elle est la source de la plupart des maux auxquels elle l’expose.

Maintenant nous allons essayer de reconnoître les causes physiques des actes de l’entendement : nous tâcherons du moins de déterminer les conditions exigées de l’organisation, pour que ces admirables phénomènes puissent se produire.