Philosophie contemporaine - Fragments de philosophie par M. Hamilton



PHILOSOPHIE
CONTEMPORAINE.

FRAGMENS DE PHILOSOPHIE,
PAR M. HAMILTON.[1]

La philosophie écossaise n’a guère régné en France que dans l’enseignement public ; et dans ce paisible domaine où l’abandonnait de plus en plus l’indifférence générale, il semble la voir déjà, délaissée par ceux mêmes qui l’avaient soutenue, languir et se consumer. Elle s’éteint sans bruit dans la solitude.

En Écosse, elle avait à peine survécu à ses fondateurs. Elle a paru renaître avec le successeur de Brown, leur disciple infidèle. Les Fragmens de M. Hamilton le placent à côté de Reid et de Dugald Stewart. M. Peisse vient d’en traduire les principaux, et il y a joint une Préface qui lui assigne à lui-même, par la force de la pensée et par l’éclat du style, une place très distinguée dans la littérature philosophique contemporaine. Cependant cette publication, en attestant le rare talent de ses auteurs, ne paraît pas faite pour rassurer sur la vitalité de l’école écossaise. Loin de là, il semble qu’on y trouve des symptômes nouveaux de la crise à laquelle elle est en proie, des preuves significatives que son mal est décidément incurable, et le présage de sa fin prochaine.

M. Hamilton, professeur de logique et de métaphysique à l’université d’Édimbourg, est un disciple fidèle, en général, de la doctrine écossaise, telle qu’on la trouve surtout dans les écrits de Reid, et il en a défendu les principes avec une égale force contre le scepticisme déguisé de Brown, contre le matérialisme des phrénologistes et contre ce qu’il appelle le rationalisme de M. Cousin et de M. Schelling. Pourtant il s’en écarte, comme on le verra, sur un point considérable. Outre cela, il est étranger à bien des égards, et par les qualités mêmes qui lui sont propres, aux habitudes et à l’esprit de ses maîtres. À cette profonde connaissance de l’histoire de la philosophie dont il donne tant de preuves, à la haute estime qu’il professe pour les métaphysiciens de tous les temps, sans en excepter les scholastiques, surtout à sa prédilection pour la logique péripatéticienne, on ne reconnaît plus la manière ni même les opinions favorites de Reid et de Stewart ; on ne reconnaît plus, s’il faut le dire, les antipathies caractéristiques de cette école, impartiale en apparence, au fond très exclusive.

Quant à M. Peisse, s’il paraît s’accorder avec son auteur sur le fond de la doctrine, et principalement sur la nécessité de restreindre à d’étroites limites le pouvoir de la philosophie, évidemment il se trouve, dans ces limites, encore plus mal à l’aise. Il y demeure, comme M. Cousin l’a dit de M. Hamilton, par vertu scientifique, et il en souffre et s’en indigne presque. Il se plaint de l’humiliation de la philosophie, aujourd’hui réduite à la condition d’une spécialité assez bornée, « tandis qu’en fait elle est au-dessus et en dehors de toutes les sciences particulières, soit spéculatives, soit pratiques, puisque sa fonction propre et supérieure est de déterminer les principes, les conditions et la possibilité de toutes les applications de l’esprit humain ; » il ne voit que de l’indécision dans la prudence tant louée des Écossais. Il laisse voir beaucoup de dédain pour leurs procédés minutieux de description, d’énumération et de classification, et peu de confiance dans les résultats qu’ils s’en promettent. Il regrette visiblement ces régions, dont il croit l’accès impossible à la raison humaine, « mais dont une irrésistible loi lui prescrit la recherche, tout en lui interdisant la découverte. » On ne peut parler plus dignement qu’il ne le fait de ce but suprême auquel la science aspire, mais qui à ses yeux, malheureusement, « semblable à la fantastique Ithaque, recule sans cesse dans les profondeurs flottantes de l’horizon. » M. Hamilton dépasse son propre système de toute la portée de sa science et de sa dialectique. M. Peisse accepte à peine le joug de ce système, et le secoue avec une singulière impatience.

Ces esprits distingués, éminens, se trouvent donc à l’étroit dans leur propre doctrine. Leurs inclinations et leurs désirs dépassent à chaque instant le cercle où ils se croient nécessairement renfermés, et en même temps ils s’efforcent de se démontrer à eux-mêmes et de démontrer aux autres qu’il n’est pas possible de le franchir. Ils le démontrent par les principes, qui leur semblent être incontestables. Ils réussissent à faire voir de combien leur propre doctrine reste au-dessous de l’idéal de la philosophie, du besoin et de l’espoir qu’en conçoit l’ame humaine. Ils la convainquent de son impuissance, et c’est cela même qui est le plus fait pour achever sa ruine. La conséquence, mieux déduite que jamais, accuse le principe. Elle lui renvoie une lumière nouvelle ; elle fait qu’on en cherche, et peut-être qu’on en découvre le vice encore caché.


Lorsque Bacon entreprit de réformer les sciences, il réduisit d’abord toute science proprement dite à la connaissance de la nature, et, en même temps, il proclama comme un principe aussi nouveau que fécond, que la science consiste dans l’observation des faits, et dans l’induction qui, en rapprochant les semblables, en découvre les lois générales ; Newton fortifia le précepte de l’autorité de son exemple. La doctrine écossaise se fonde sur cette idée, qu’il faut étendre à la philosophie la théorie de Bacon, touchant les sciences en général et particulièrement la physique.

Tout le monde sait qu’on distingue les apparences des principes qui les font apparaître et dans lesquels elles résident, c’est-à-dire qu’on distingue d’un côté les phénomènes, de l’autre leurs causes et leurs substances. On sait aussi que la science consiste essentiellement à rendre raison des choses en les expliquant par leurs principes, et toujours l’on avait pensé que toutes les sciences supposent en définitive une science supérieure des premiers principes. C’est cette science qu’on appelait la philosophie. Selon les Écossais, la philosophie doit renoncer à cette prétention d’être la science des causes et des substances ; tout ce que nous pouvons connaître de la réalité se réduit à des faits ou phénomènes que nous observons, et aux conséquences qu’on en peut tirer sur ce que l’observation n’atteint pas. Les faits sont de deux sortes : les uns tombent sous nos sens, ce sont les phénomènes extérieurs ; les autres ne sont l’objet que du sens intime, ce sont les phénomènes internes, spirituels, psychologiques. Ceux-là sont du domaine de la science physique ou naturelle, ceux-ci du domaine de la science philosophique. Dans l’une et l’autre science, l’expérience recueille les faits, l’induction en découvre les lois. Aux deux sciences suffit donc une seule et même méthode, la méthode dont Bacon a prescrit l’usage et tracé (disent-ils) les véritables règles.

Ces propositions remplissent tous les ouvrages de Reid et de Dugald Stewart. Nous nous contenterons d’apporter ici le témoignage de leur célèbre interprète, M. Jouffroy : « S’il est, dit-il dans la préface de sa traduction de Reid, un service, et un service éminent, que les Écossais aient rendu à la philosophie, c’est assurément d’avoir établi une fois pour toutes dans les esprits, et de manière à ce qu’elle ne puisse plus en sortir, l’idée qu’il y a une science d’observation, une science de faits, à la manière dont l’entendent les physiciens, qui a l’esprit humain pour objet et le sens intime pour instrument, et dont le résultat doit être la détermination des lois de l’esprit, comme celui des sciences physiques doit être la détermination des lois de la matière[2]. » — « Ce qui reste quand on les a lus, ce qui a saisi l’esprit, ce qui le préoccupe et le possède, c’est l’idée qu’il y a une science de l’esprit humain, science de faits, comme les sciences physiques, qui, comme elles, doit procéder par l’observation et l’induction[3].

M. Royer-Collard a dit pareillement : « L’observation de la nature humaine, comme celle du monde physique, consiste dans la revue des faits. Voilà le premier pas dans l’étude de l’homme ; le second consiste à classer les faits eu égard à leurs similitudes et à leurs différences, etc.[4]. » Et il a pareillement fait honneur à Bacon de la découverte de la méthode.

M. Cousin est parfaitement d’accord en tous ces points avec toute l’école écossaise ; mêmes opinions, même langage sur la division des sciences physiques et philosophiques, sur la diversité et l’analogie de leurs objets, enfin sur l’auteur (prétendu) de la véritable méthode scientifique. « Ici comme ailleurs, comme partout, comme toujours, dit-il dans la préface de la deuxième édition de ses Fragmens, je me prononce pour cette méthode qui place le point de départ de toute saine philosophie dans l’étude de la nature humaine, et par conséquent dans l’observation, et qui s’adresse ensuite à l’induction et au raisonnement pour tirer de l’observation toutes les conséquences qu’elle renferme. »

Et dans sa première préface : « Il faut emprunter à Bacon la méthode expérimentale. » Seulement, M. Cousin remarque que Bacon avait eu le tort de vouloir restreindre aux sciences physiques l’application de sa méthode, et il ajoute : « Il faut n’employer que la méthode d’observation, mais l’appliquer à tous les faits, quels qu’ils soient, pourvu qu’ils existent. Son exactitude est donc dans son impartialité, et l’impartialité ne se trouve que dans l’étendue. Ainsi, peut-être, se ferait l’alliance tant cherchée des sciences métaphysiques et physiques, non par le sacrifice systématique des unes aux autres, mais par l’unité de leur méthode appliquée à des phénomènes divers. » « L’expérience a les mêmes conditions et les mêmes règles, quel que soit l’objet auquel elle s’applique. » La physique, comme on le voit, marche toujours de pair avec la philosophie. Nous pourrions citer encore, parmi beaucoup de passages analogues, le parallèle entre les sciences naturelles et les sciences philosophiques par lequel s’ouvre la treizième des leçons de 1829 sur l’histoire de la philosophie moderne.

Enfin, dans un compte-rendu, entièrement favorable, des Esquisses de philosophie morale de Stewart, M. Cousin proclame hautement son acquiescement aux principes de « cette école nouvelle qui se prétend seule fille légitime de Bacon, et réclame le titre tant prodigué et si peu compris d’école expérimentale. »

Comme Reid, comme Stewart, comme leurs disciples français, M. Hamilton est d’avis qu’il faut réduire la philosophie à l’observation des phénomènes et à la généralisation de ces phénomènes en lois[5]. Il répète en plusieurs endroits que les êtres en eux-mêmes, que les causes et les substances, échappent à la science ; seulement nous ne voyons plus dans ses écrits ce parallèle qu’établit partout l’école à laquelle il appartient, entre la philosophie et les sciences physiques. On dirait que quelque doute à cet égard s’est introduit dans son esprit.

M. Peisse, enfin, est encore de cette opinion, qu’on ne connaît de l’être pensant que ses manifestations phénoménales, et il croit fermement que « tout ce qu’on peut tenter d’en affirmer, lors de ces manifestations, est inévitablement frappé de contradiction et d’inintelligibilité. » Mais il n’attend plus rien de la méthode écossaise… Il désire plus et espère moins.

Outre l’expérience qui nous fait connaître les faits, et l’induction qui en obtient les lois, les philosophes écossais reconnaissent dans l’intelligence humaine des vérités qui ne viennent pas de cette source, ce sont des principes en quelque sorte innés, que nous trouvons en nous, et qui nous servent soit pour entendre l’expérience elle-même, soit pour la devancer, soit même pour en dépasser les limites. Les principes qui nous portent à dépasser entièrement l’expérience, ce sont ces jugemens primitifs, en vertu desquels nous supposons à tous les phénomènes des êtres qui en sont les principes, des causes et des substances, et nous nous élevons ainsi du monde visible à un monde invisible, qui en est le principe.

Il est permis de douter que cette seconde partie de la doctrine des Écossais leur appartienne en propre, comme la première. Reid est très redevable, ainsi que M. Peisse l’a remarqué, à un auteur peu connu, le père Buffier. « J’ai trouvé, dit Reid lui-même, plus de choses originales dans le Traité des premières vérités et de la source de nos jugemens, que dans la plupart des livres métaphysiques que j’ai lus. Les observations de Buffier me paraissent en général d’une parfaite justesse, et quant au petit nombre de celles que je ne saurais tout-à-fait approuver, elles sont au moins fort ingénieuses. » C’est vraisemblablement le philosophe français qui a fourni au fondateur de l’école écossaise presque toute sa théorie des vérités premières.

Quoi qu’il en soit, l’école écossaise proprement dite n’a jamais pensé que les principes innés à l’intelligence humaine, qui la poussent à dépasser le cercle de l’expérience, pussent la mener fort loin. Tout en reconnaissant que nous sommes autorisés à croire que par-delà les phénomènes et leurs lois, il y a des substances et des causes, les philosophes écossais pensent que nous ne pouvons rien savoir de ces êtres sinon ce que l’induction autorise à conclure du fait à la cause, du mode à la substance, et ils estiment que cela se réduit à très peu de chose. Stewart surtout insiste sur la nécessité de faire rentrer la philosophie, comme la physique, dans la sphère des questions de fait, et de lui interdire les questions métaphysiques sur la raison des faits et la nature des choses. C’est tout simplement, il faut l’avouer, bannir de la philosophie l’objet même de toute philosophie digne de ce nom.

Les disciples français de l’école écossaise n’ont jamais souscrit à cet arrêt. M. Jouffroy, sans espérer, dit-il, de l’induction appliquée aux questions philosophiques un ensemble de résultats très étendu et qui ressemble en rien aux systèmes hardis de la plupart des métaphysiciens, M. Jouffroy professe cependant la conviction, « qu’elle peut aboutir à fixer d’une manière certaine un petit nombre de points principaux qui sont de la plus haute importance pour le bonheur et les espérances de l’humanité, et qui suffiraient seuls pour mériter à ces recherches la haute considération de tous les amis de la science et les relever de l’injuste mépris auquel l’assertion écossaise tend à les condamner. »

Pour M. Cousin, il refuse d’admettre aucune restriction à la science des causes et des substances, à la science des êtres en eux mêmes, ou, si l’on veut, à la métaphysique. Pour comprendre ce fait et pour l’apprécier, il faut, avec M. Hamilton et M. Cousin lui-même, en indiquer l’origine. Elle n’est plus dans l’école écossaise, elle est dans l’Allemagne.

Comme le fondateur de l’école écossaise, mais avec tout autrement de profondeur et de génie, Kant avait cru établir que l’intelligence humaine n’a pour objet que des phénomènes et leurs lois. Il avait démontré que, si nous concevons au-delà des apparences des choses qui en seraient comme le fonds, il est impossible de tirer de ces conceptions une science. Ajoutons que la démonstration de Kant ne repose en aucune façon, quoi qu’on en ait dit, sur ce fondement que les jugemens par lesquels l’intelligence humaine dépasse les données de l’expérience, n’étant rien en définitive que des jugemens humains, ne pourraient rien établir sur la réalité de leurs objets, et que la nécessité avec laquelle ils s’imposent à nous ne serait nullement garante de leur véracité absolue. La démonstration de Kant se fonde sur une critique des idées prétendues transcendantes, critique d’où il résulte, selon lui, qu’appliquées à des êtres purement intelligibles, elles seraient absolument insignifiantes, qu’elles n’ont de sens au contraire qu’appliquées aux objets de l’expérience comme des règles qui nous servent à les concevoir ; d’où il suit que ce sont uniquement des manières d’apercevoir les phénomènes, des formes (transcendentales) sous lesquelles les comprend l’intelligence humaine. Dès-lors le monde invisible des êtres n’était plus pour la science (sinon pour la croyance, qui vient d’une autre source,) qu’un problème insoluble, et la métaphysique une chimère.

L’idéalisme transcendental existait à peine que dans son sein même prenait naissance une philosophie plus hardie peut-être qu’aucune des anciennes théories, et qui, dépassant les limites qu’il avait cru tracer pour toujours, prétendait ressaisir, au-delà des phénomènes, non-seulement les êtres, les choses en elles-mêmes, mais le principe absolu de toute existence. On avait voulu interdire à la science les réalités : elle prétendait entrer, non par le raisonnement, mais par une vue immédiate, par une intuition directe de l’intelligence, en possession de l’absolu. Ce fut la philosophie de Fichte, ce fut surtout celle de M. Schelling, sous sa première forme, la Philosophie de la Nature.

M. Cousin a raconté comment, en 1817, sa méthode, sa direction, ses vues générales déjà arrêtées, il fit connaissance en Allemagne avec la philosophie de la nature. Il en admira la grandeur. M. Cousin a lui-même l’imagination grande ; il aime les hautes cimes, les vastes horizons ; il voulut embrasser dans son propre système toute l’étendue des spéculations allemandes. Mais, imbu des principes de la philosophie de l’observation, il espéra avec leur seul secours suffire à l’entreprise. La doctrine de M. Schelling lui sembla une sublime hypothèse qu’il fallait démontrer ; elle lui apparut enfin comme la vérité même, mais à qui, pour devenir la science, il manquait la méthode ; et c’est dans la combinaison de la spéculation avec la méthode d’expérience qu’il voulut faire consister le caractère distinctif et le mérite propre de sa philosophie.

Ainsi, M. Cousin déclare qu’en reculant les bornes où la philosophie écossaise avait cru devoir renfermer l’intelligence humaine, il n’entend aucunement être infidèle aux principes de cette philosophie. Il ne cesse point de croire avec elle que le point de départ est l’observation et l’analyse des faits. Il pense seulement qu’elle impose au raisonnement des limites arbitraires, au raisonnement, c’est-à-dire surtout à l’induction, car, dit-il, « c’est l’induction qui fait rendre aux faits les conséquences qu’ils renferment dans leur sein ; » et il aspire ouvertement à une métaphysique transcendante, à une ontologie. Ainsi ce trait seul le sépare des psychologues de l’école écossaise : il place le but plus haut, et il a dans le moyen une confiance plus grande, on peut dire une confiance absolue et sans bornes. Il nomme la seule méthode philosophique « cette méthode d’observation et d’induction qui a élevé si haut et porté si loin toutes les sciences physiques, ne s’appuie que sur la nature humaine, mais l’embrasse tout entière, et avec elle atteint l’infini[6]. » L’infini, l’absolu, tel est le terme où la méthode de Bacon, bien entendue, doit porter la métaphysique.

Or, c’est ce que contestent à l’illustre philosophe français, comme une prétention mal fondée en droit, mal justifiée par le fait, et la philosophie allemande et la philosophie écossaise. Celle-là approuve le but et désapprouve le moyen[7] ; celle-ci croit le but chimérique et voit dans le procédé par lequel M. Cousin veut y atteindre une fausse application d’une méthode vraie.

Dans l’un des quatre opuscules que M. Peisse vient de traduire, M. Hamilton combat à la fois la prétention de M. Schelling et celle de M. Cousin à donner la science de l’absolu. Nous avons dit que M. Schelling avait cru trouver le premier et absolu principe de toute chose par une vue directe et immédiate de l’intelligence. Cette intuition intellectuelle (expression empruntée à Kant par Fichte), ce serait l’acte où, la pensée, principe de la science, se reconnaissant pour absolument identique à l’existence, le sujet de la connaissance et son objet ne se distingueraient plus, mais se trouveraient unis ensemble et définitivement confondus dans une indivisible unité.

M. Hamilton nie ce mode sublime de connaissance ; mais il avoue avec M. Schelling, et il soutient contre M. Cousin, que s’il était possible de connaître en lui-même le principe absolu des choses, ce ne serait pas du moins sous les conditions de diversité et de division dont la connaissance ordinaire est inséparable.

M. Cousin admet avec les modernes métaphysiciens allemands que ce qui est relatif et borné ne saurait être le dernier et véritable objet de la philosophie. Il croit que les bornes et les relations de tout genre exigent en dernière analyse un principe absolu et infini, l’absolu, l’infini lui-même. Mais tandis que les métaphysiciens allemands pensent que cet absolu n’est accessible qu’à un mode de connaissance supérieur, sinon à toute conscience, comme on le dit souvent, du moins aux conditions ordinaires de la conscience humaine, il se fait fort de le trouver par l’observation et l’induction au sein de la conscience. Or, il croit la conscience nécessairement soumise à la condition de l’opposition du sujet qui connaît et de l’objet connu, de la diversité de l’objet lui-même, et en général à la loi de la limitation et de la relativité. Bien plus, il se refuse à affranchir de cette loi l’intelligence divine. « On ne peut, dit M. Hamilton, désirer un plus complet aveu, non-seulement que la connaissance de l’absolu est impossible pour l’homme, mais encore que nous ne pouvons pas en concevoir la possibilité, même dans Dieu, sans contredire notre conception humaine de la possibilité même de l’intelligence. Notre auteur cependant n’aperçoit ici aucune contradiction, et, sans preuve ni explication, il accorde la connaissance de ce qui ne peut être connu que sous la négation de toute différence et de toute pluralité à ce qui ne peut connaître que sous l’affirmation de ces deux choses. — Ce ne serait qu’en méconnaissant les difficultés radicales du problème, que M. Cousin voudrait abandonner l’intuition intellectuelle et conserver l’absolu. En effet, comment cela même dont l’essence est une unité qui embrasse tout, pourrait-il être connu par la négation de cette unité sous la condition de pluralité ? comment ce qui n’existe que comme l’identité de toute différence peut-il être connu par la négation de cette identité, dans l’antithèse du sujet et de l’objet, de la connaissance et de l’existence ? Ce sont là des contradictions que M. Cousin n’a pas tenté de résoudre. »

Peut-être ne serait-il pas impossible de faire voir que dans les argumens présentés d’ailleurs avec tant d’habileté par M. Hamilton, soit contre la doctrine de M. Schelling, soit contre celle de M. Cousin, il y a plus d’apparence que de fond. Son argumentation revient à dire que la science de l’absolu, selon M. Schelling, est en contradiction avec la nature de toute science, et la science de l’absolu, selon M. Cousin, en contradiction avec la nature de l’absolu, tel que le définit M. Cousin lui-même ; et cela sur ce principe que la connaissance implique toujours quelque diversité, et l’absolu, au contraire, une unité parfaite. Peut-être qu’il y a moyen de donner aux deux doctrines un sens vrai, d’en résoudre les contradictions apparentes, et de les unir en une seule et même et profonde vérité. Qu’y aurait-il d’étrange à concevoir comme le dernier terme de la science une extrémité où la diversité, l’opposition qui est la loi de son développement, viendrait par degrés s’évanouir ? Qu’y aurait-il de si absurde à penser que l’absolue connaissance est en quelque sorte (comme dans les mathématiques) la limite où se trouve la commune mesure et la raison dernière des contraires, non le lieu où ils se confondent, mais le terme où la négation et la limitation disparaissent, vaincues, dans l’identité du principe ? Un auteur ingénieux et pénétrant dit à propos d’un de ces mélanges de contraires qui se rencontrent souvent dans la conduite de la vie, et qu’il est si mal aisé d’exprimer : « Cela paraît galimathias ; mais ce galimathias est de ceux que la pratique fait connaître quelquefois, et que la spéculation ne fait jamais entendre. J’en ai remarqué de cette sorte en toutes sortes d’affaires. » Peut-être que la spéculation ne sera pas toujours impuissante pour faire entendre, sinon pour faire pleinement comprendre cette unité mystérieuse des différences, qui est le secret de la science non moins que de la vie. Mais nous ne pensons pas que la clé de cette énigme puisse être jamais trouvée dans la doctrine des Écossais, et M. Hamilton nous paraît avoir démontré que, pour être conséquent aux principes, sinon fidèle aux promesses de sa propre philosophie, M. Cousin doit renoncer, comme lui, à la poursuite de l’absolu.

Dans ses derniers écrits, M. Cousin a paru abandonner et le mot, et, jusqu’à un certain point, la chose même. Il n’y parle plus guère de la connaissance de l’absolu comme premier et unique principe de toutes choses, mais seulement de la connaissance des êtres en eux-mêmes, par opposition aux phénomènes, des causes, des substances, des existences réelles. M. Peisse, dans son excellente préface, suit M. Cousin sur ce terrain, tandis que M. Hamilton n’avait argumenté que sur l’absolu, l’infini et l’inconditionnel, entendus à la rigueur dans le sens le plus abstrait et le plus relevé.

Dans l’avertissement qui précède la dernière édition de ses Fragmens philosophiques (1838), M. Cousin, s’adressant à M. Hamilton : « Vous vous résignez, dit-il avec sa verve ordinaire, à vous passer de l’ontologie. Vous m’exhortez à en faire autant, et à savoir ignorer ce qu’il n’est pas donné à l’homme de connaître. Qu’est-ce à dire ? N’ayons pas peur des mots. L’ontologie, ce n’est pas moins que la science de l’être, c’est-à-dire, en réalité, des êtres, c’est-à-dire de Dieu, du monde et de l’homme. Voilà donc ce que vous me proposez d’ignorer par scrupule de méthode ! Mais si votre science n’atteint pas jusqu’à la nature, ni jusqu’à Dieu, ni jusqu’à moi, que m’importe ce qu’elle m’enseigne[8] ? » — « On ne nie pas, réplique M. Peisse, au nom de M. Hamilton et au sien propre, on ne nie pas que notre science n’atteigne jusqu’à Dieu, jusqu’à la nature et jusqu’à nous ; on ne discute que sur la nature, le contenu et la forme de cette science. Selon nous, notre connaissance des êtres est purement indirecte, finie, relative ; elle n’atteint pas les êtres eux-mêmes dans leur réalité et leur essence absolues, mais seulement leurs accidens, leurs modes, leurs rapports, leurs limitations, leurs différences, leurs qualités. — Selon nous, toute notre science des êtres se réduit à savoir qu’ils sont ; — selon nos adversaires, nous pouvons savoir des êtres non-seulement qu’ils sont, mais ce qu’ils sont. »

Cette idée que nous ne pouvons rien savoir des êtres en eux mêmes, sinon qu’ils existent, c’est, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la doctrine écossaise dans toute sa pureté, la doctrine de Reid et surtout de Stewart ; c’était aussi celle du P. Buffier. « L’homme, dit cet auteur, est forcé par sa raison d’admettre l’existence de quelque chose qu’il ne comprend pas ; » pour la nature divine, par exemple, « il comprend qu’elle est, et non pas quelle elle est. » Si l’on nous permettait d’employer ici les formules de la scholastique, nous dirions que, selon le P. Buffier, selon les Écossais, selon M. Hamilton et M. Peisse, nous ne savons des êtres que le quod et non le quid.

Nous remarquerons pourtant, et M. Peisse avouera assurément (encore avec le P. Buffier), qu’on ne peut connaître l’existence d’une chose sans avoir préalablement ou en même temps quelque connaissance de sa nature ou essence ; car, pour affirmer qu’un être existe, encore faut-il savoir ce que c’est qu’un être, et, si on affirme l’existence d’un être d’un certain genre, ce que c’est que ce genre. Seulement on peut soutenir que nous n’avons de l’essence des êtres qu’une notion générale et indéterminée, et de leurs rapports avec les phénomènes qu’une conception extérieure et logique.

Maintenant, jusqu’à quel point l’induction est-elle autorisée à remplir le vide de ces déterminations abstraites, en transportant au monde invisible où elles nous introduisent les caractères de ce monde visible dont il forme le fonds ? C’est là toute la question, il ne s’agit que de plus et de moins dans une connaissance inductive ; car, si l’on convient de ce principe que l’expérience ne nous montre que des phénomènes, et si on ajoute seulement que la raison (ou si l’on veut le sens commun) nous révèle à leur occasion que ces phénomènes supposent des substances et des causes, il faut avouer aussi que la raison ne nous dit là autre chose, sinon que ces substances et ces causes existent, et nullement ce qu’elles sont en elles-mêmes ; qu’elle nous en enseigne (tout au plus) l’existence et le rapport général avec les phénomènes, mais non pas la nature intime, et que par conséquent, enfin, l’induction seule pourrait nous en apprendre quelque chose de plus. Que peut-elle nous apprendre ? Ici seulement M. Cousin paraît avoir compté plus que les Écossais sur les ressources de l’induction ; mais qu’elle lui ait donné beaucoup davantage, c’est ce qu’il ne semble pas. Son système est vaste par les contours et les lignes générales, les vues élevées y abondent ; mais les propositions dogmatiques dans lesquelles il a résumé sa doctrine sur la nature de Dieu, de l’ame et de la matière, sur l’essence des êtres et sur leur liaison interne, n’excèdent point les limites des spéculations écossaises. On n’y trouve rien de semblable aux théories qui constituent le fonds de la moderne métaphysique allemande. Telle est du moins l’opinion de M. Schelling. Dans un jugement exprès sur la philosophie de M. Cousin, il dit : « La métaphysique de M. Cousin ne diffère point de celle qui a précédé Kant, en ce qu’elle repose uniquement sur le syllogisme, et surtout en ce qu’elle se contente du que sans se mettre en peine du comment (par exemple, que Dieu est la cause suprême du monde).

Il s’en faut donc beaucoup qu’elle soit une science des choses en elles-mêmes (real-philosophie), comme la philosophie à laquelle aspirent les systèmes modernes. Non-seulement il ne reconnaît pas de science objective sans une base psychologique, mais, à vrai dire, il n’en reconnaît aucune, et n’y arrive ni de cette manière ni d’une autre. Suivant lui, on atteint le faîte suprême de la métaphysique par la nécessité que la raison impose à la conscience de s’élever des causes limitées (moi et non moi), qui, en tant que limitées, ne sont pas causes, à la cause illimitée, à la cause proprement dite, à la vraie cause, qui donne à celles-là l’être, et qui les maintient. Tout se borne à ces généralités, qui ne promettent pas le moins du monde, comme chacun le voit, une science proprement dite[9]. »

Serait-ce seulement qu’en faisant usage de la méthode d’induction, on n’en aurait pas tiré encore tout ce qu’elle peut donner, et peut-on toujours fonder sur elle un espoir infini ? Sans doute les phénomènes desquels on veut s’élever aux êtres, nous représentent ces êtres, mais non pas en ce qui leur est propre et dans leur caractère spécifique. Sans doute les effets représentent la cause, et les modes la substance ; mais, bien loin d’en représenter le fonds, ils nous le dérobent. « Ces accidens relatifs, dit justement M. Peisse, loin de réaliser la notion absolue de l’objet, la détruisent ou plutôt l’empêchent. » La nature, a-t-on dit également avec un grand sens, la nature nous montre Dieu, mais en même temps elle nous le cache.

En outre, l’induction se fondant sur des ressemblances qui peuvent être trompeuses, n’arrivera jamais, tout le monde en convient, qu’à des résultats plus ou moins vraisemblables ; elle n’engendre que des présomptions.


Ainsi la philosophie qui s’appuie sur les principes écossais ne peut jamais prétendre à donner sur les êtres, au-delà de la simple existence, rien autre chose que des présomptions très bornées.

Est-il bien vrai qu’elle atteigne du moins l’existence des êtres ? En lui refusant le quid des substances et des causes, n’est-ce pas trop lui accorder que de lui en laisser le quod ? Après avoir réduit toute philosophie qui prend pour principes ceux de l’école écossaise à ce que demande cette école, il faut, ce nous semble, aller plus loin ; il faut établir que la demande est encore excessive et dépasse le droit.

On nous dit que la vue des phénomènes n’est que l’occasion ou la circonstance qui détermine la raison à nous découvrir l’existence de certaines réalités qu’ils supposent ; qu’à l’occasion, à propos de la perception d’un changement, d’une qualité, elle nous révèle d’elle-même la cause et la substance. Le vague de l’expression semble accuser ici l’insuffisance de l’idée ; sous les mots, on sent un vide, une lacune qu’ils dissimulent mal. Comment d’un phénomène la raison passe-t-elle ainsi à l’affirmation de l’être ? Comment un pur mode devient-il l’occasion qui lui suggère l’idée de la nécessité de la substance ? Comment, à propos d’un évènement, s’élève-t-elle tout à coup à la cause ? Comment, enfin, le phénomène est-il la circonstance qui détermine la raison à le concevoir comme un effet et un attribut ? Les Écossais ont vu là un fait qui ne demandait pas, qui ne souffrait pas d’explication. C’est, dans le langage de Reid, l’effet d’une certaine faculté d’inspiration et de suggestion ; selon M. Cousin, une révélation de la raison. Est-ce donc, demande M. Schelling, le résultat mystérieux d’une sorte de qualité occulte de l’intelligence ? Mais, s’il en est ainsi, la raison humaine ne se justifie plus que par des instincts aveugles, et le scepticisme de Hume a gain de cause.

Un des philosophes écossais avait appelé leurs vérités premières des préjugés légitimes. N’est-ce point là le vrai nom, et n’est-on pas obligé de convenir que cette philosophie ne peut aboutir à rien en fait de science des êtres qu’à des présomptions édifiées sur des préjugés ?


Dans la philosophie de Kant, il en est tout autrement. D’abord l’expérience n’y est pas seulement une occasion pour la conception des principes qui la dépassent, mais ces principes sont la condition indispensable et en quelque sorte un élément intégrant de l’expérience elle-même[10]. De la sorte, l’intelligence humaine n’est plus un composé de deux facultés détachées et distinctes, mais, selon l’expression de Jacobi, un tout d’une seule pièce, ou du moins un ensemble organique. En second lieu, l’idéalisme transcendental ne laisse point sans explication ces principes, dont il fait la base et la loi de l’expérience.

Comment se fait-il, demande Kant, que dans certains jugemens (par exemple : tout évènement a une cause) l’intelligence ajoute à une donnée de l’expérience (l’évènement) quelque chose (la cause) qui n’y est pas logiquement contenu ? Quel est le principe inconnu (x) qui lui fait unir à la notion a, sans expérience préalable, une notion étrangère b ? Comment se peut-il, enfin, qu’elle prononce à priori des jugemens synthétiques ? C’est, selon lui, la question même de la possibilité de la métaphysique, et le sort de la philosophie y est attaché. Où il n’y a point de problème pour la philosophie écossaise, l’auteur de la philosophie critique a démêlé le problème fondamental de toute science rationnelle.

Des deux systèmes, lequel est le vrai ? Faut-il, avec l’école écossaise et les écoles qui en dérivent, reconnaître dans les principes nécessaires de la raison des croyances primitives, révélations inexplicables d’un instinct mystérieux, ou faut-il en chercher avec Kant la justification ?

Nous avons fait remarquer que, pour croire d’une chose qu’elle existe, il faut déjà savoir d’une manière générale ce qu’elle est. La croyance ne peut être antérieure à quelque science. Il suit de cela seul que, pour que la raison affirme l’existence de l’être invisible, en dehors et au-delà des phénomènes, il ne suffit pas que la connaissance d’un phénomène lui en fournisse l’occasion. Il faut qu’elle ait, en outre, de l’objet de sa croyance une connaissance quelconque. Cette connaissance, d’où la tirera-t-elle, s’il n’y a d’autre objet de connaissance directe que des phénomènes, et d’autre vue que la vue des faits ? Dans quelle réalité puiserait-elle donc l’idée sur laquelle porte sa foi, et de quelle intuition cette conception lui serait-elle venue ?

Dans le système de Kant, il y a un intermédiaire sur lequel l’intelligence s’appuie pour lier dans ses jugemens synthétiques à priori les deux termes hétérogènes, l’objet de l’observation et l’objet de la conception. — Nous ne pouvons, dit l’auteur de la Critique de la raison pure, apercevoir les phénomènes que comme se succédant dans le temps : le temps n’est pas une simple conception comme les idées générales ; c’est comme le lieu individuel dans lequel nous plaçons nécessairement tous les faits. C’est une intuition ou une imagination à priori[11] ; or, les phénomènes sont dans le temps comme une succession dans une durée immuable. Telle est la base des jugemens qui affirment à priori des causes et des substances ; tout phénomène a dans le temps une place déterminée, et c’est par le passé que le présent où il arrive se détermine. Il faut donc, dans le passé, quelque chose qui fasse être le phénomène présent à cette place qu’il occupe ; cette règle, c’est l’idée de la cause. En second lieu, puisque tout phénomène est une apparition passagère dans la durée du temps, il faut, pour le concevoir, l’opposer à quelque chose de durable, en quoi tout passe et qui ne passe point ; cette règle, c’est l’idée de la substance. Ainsi, la cause n’est que l’expression du rapport des phénomènes entre eux, dans le temps ; la substance, l’expression de leur rapport avec le temps, avec la durée elle-même. — La cause est la représentation de l’ordre du temps ; la substance, la représentation de sa quantité ; ce ne sont que les figures (ou schêmes) des règles nécessaires de l’expérience.

Or le temps, dans la doctrine de Kant, n’est pas une chose subsistante en elle-même, mais seulement une manière, la seule possible, d’imaginer les faits, et par conséquent une simple forme de notre intelligence. La cause et la substance ne sont donc autre chose que les réalisations symboliques des conditions de l’intelligence humaine.

Quand donc nous affirmons que tout phénomène a une cause, et se passe en une substance, nous ne faisons qu’énoncer les règles indispensables à notre esprit pour se représenter un phénomène quelconque ; l’idée du temps est le moyen terme par lequel nous passons des phénomènes aux intelligibles (ou noumènes), par cette raison très simple que le temps est la forme nécessaire de l’imagination des phénomènes, et que l’intelligible est l’image réalisée de cette forme.

Ainsi s’explique le jugement synthétique à priori. La réalité de l’intelligible s’évanouit, elle se dissipe en une illusion ; mais du moins l’idée et le jugement qui la pose ont reçu une justification rationnelle.

Dans le système de Kant, l’être est l’image décevante de la forme vide qu’on appelle le Temps, et c’est le rêve de l’intelligence que de prendre ce néant pour une chose. Dans la philosophie écossaise, le fantôme même est chimérique et le rêve impossible. Pour elle, en effet, il n’y a entre le monde des phénomènes et le monde des intelligibles aucun lien ; la raison passe du premier au second sans point d’appui, sans intermédiaire, et son jugement porte à vide. Non seulement elle ne justifie pas la réalité des objets de ses idées nécessaires, mais elle ne justifie pas la possibilité de l’idée, elle n’en assigne pas le sens ; à vrai dire, elle nous laisse douter si c’est bien une conception ou un vain mot.

En prenant son point de départ dans l’observation des phénomènes, la science ne va donc pas plus loin ; tout au plus s’élèverait-elle des faits particuliers à l’expression générale des mêmes faits, et encore on a souvent fait voir que la généralisation la plus bornée ne trouverait pas dans l’expérience pure et simple des faits une justification suffisante. Mais, quoi qu’il en soit, les substances et les causes, les êtres, les existences réelles lui sont interdits ; il faut qu’elle demeure dans un monde d’apparence sans fonds et sans raison.

N’est-il aucun moyen d’échapper à une semblable conséquence ? Elle sort d’un principe qu’on tient pour assuré. Que serait-ce si ce principe n’était qu’une fausse supposition, un préjugé trompeur ?


Le principe de la philosophie écossaise est celui de toute la philosophie anglaise depuis Bacon. Bacon, Hobbes, Locke et Reid s’accordent sur ce point fondamental, qu’aucune expérience n’a pour objet des causes ni des substances, mais uniquement des phénomènes.

Nous allons retrouver dans l’histoire de la science, et de la science parmi nous, dans notre propre pays, un principe contraire, aussi fécond que celui-là nous a paru stérile.

La philosophie anglaise fut apportée et elle a paru naturalisée en France ; mais, après y avoir produit le matérialisme, son fruit naturel, la pensée de Bacon et de Locke, tombée dans le pays de Descartes et de Malebranche, ainsi qu’une plante qui change de nature en changeant de climat, s’y est métamorphosée secrètement. Du point de vue de la matière, la philosophie française s’est élevée, par une suite de degrés que nous essaierons de marquer, au point de vue de l’esprit.

Locke avait ramené toutes les connaissances humaines à deux sources : la sensation, qui fournit les idées des phénomènes extérieurs ; la réflexion, par laquelle l’ame prend connaissance de ses opérations propres sur les idées arrivées par les sens. Condillac, comme l’on sait, réduisit à une seule faculté les deux faits signalés par Locke. Selon lui, l’homme est tout entier dans la sensation. Or, la sensation est une manière d’être de celui qui l’éprouve, un mode de sa faculté de connaître. Condillac commence par ces mots le Traité de l’origine des connaissances humaines, son premier ouvrage : « Soit que nous nous élevions, pour parler métaphoriquement, jusque dans les cieux, soit que nous descendions dans les abîmes, nous ne sortons point de nous-mêmes, et ce n’est jamais que notre propre pensée que nous apercevons. »

De là à l’extrémité où Hume poussa la théorie de Locke, il n’y avait qu’un pas ; car, si rien n’est connu que par des sensations, il est impossible de tirer de ces phénomènes la réalité d’un objet qu’ils représentent ; il ne l’est pas moins d’en tirer la réalité d’un sujet qui les éprouve. Mais, sur la pente de cet idéalisme, Condillac rencontra bientôt un point d’arrêt ; la sensation elle-même lui enseigne une réalité qu’une réflexion de plus en plus profonde trouve de plus en plus rebelle à l’idéalisation.

« D’un côté, dit-il dans l’extrait raisonné du Traité des Sensations, placé en tête de la seconde édition de l’ouvrage, toutes nos connaissances viennent des sens ; de l’autre, nos sensations ne sont que nos manières d’être. Comment donc pouvons-nous voir des objets hors de nous ? En effet, il semble que nous ne devrions voir que notre ame modifiée différemment.

« Je conviens que ce problème a été mal résolu dans la première édition du Traité des Sensations. — Nous avons prouvé qu’avec les sensations de l’odorat, de l’ouïe, du goût et de la vue, l’homme se croirait odeur, son, saveur, couleur, et qu’il ne prendrait aucune connaissance des objets extérieurs. — Il est également certain qu’avec le sens du toucher, il serait dans la même ignorance, s’il restait immobile. — Il faut trois choses pour faire juger à cet homme qu’il y a des corps : l’une, que ses membres soient déterminés à se mouvoir ; l’autre, que sa main, principal organe du tact, se porte sur lui et sur ce qui l’environne ; et la dernière, que, parmi les sensations que sa main éprouve, il y en ait une qui représente nécessairement des corps. — Par conséquent, ou le toucher ne nous donnera aucune connaissance des corps, ou parmi les sensations que nous lui devons, il y en aura une que nous n’apercevrons pas comme une manière d’être de nous-mêmes, mais plutôt comme la manière d’être d’un continu formé par la contiguité d’autres continus (c’est-à-dire d’une étendue). Il faut que nous soyons forcés à juger étendue cette sensation même. »

« Cette sensation, ajoute-t-il dans la deuxième édition du Traité des Sensations, c’est celle d’où nous concluons l’impénétrabilité des corps, la sensation de solidité ou de résistance. » — « Il n’en est donc pas de la sensation de solidité comme des sensations de son, de couleur et d’odeur, que l’ame qui ne connaît pas son corps aperçoit naturellement comme des modifications où elle se trouve et ne trouve qu’elle. Puisque le propre de cette sensation est de représenter à la fois deux choses qui s’excluent l’une hors de l’autre, l’ame n’apercevra pas la solidité comme une de ces modifications où elle ne trouve qu’elle-même ; elle l’apercevra nécessairement comme une modification où elle trouve deux choses qui s’excluent, et par conséquent elle l’apercevra dans ces deux choses. Voilà donc une sensation par laquelle l’ame passe d’elle hors d’elle, et on commence à comprendre comment elle découvrira des corps[12]. »

Mais la résistance où Condillac trouve la révélation d’un monde extérieur est celle de notre propre corps au mouvement involontaire et irréfléchi de la main ; on sent assez combien cette première analyse est grossière et imparfaite.

Le disciple et le successeur de Condillac va plus loin. Comment saurais-je, dit Destutt de Tracy dans l’Idéologie, que le mouvement de ma main vient à être suspendu ? Il faut bien que je connaisse ce mouvement, et, pour apprendre qu’il cesse d’être, que je sache ce qu’il est. Il faut une sensation spéciale qui me l’enseigne. — Ainsi, de la résistance extérieure où s’était arrêté Condillac, la réflexion recule déjà à un sentiment interne du mouvement.

Mais cela suffit-il ? Mon bras rencontre un corps qui l’arrête, ma sensation de mouvement cesse, je n’éprouve plus cette manière d’être. J’en suis averti, il est vrai ; mais ne sachant pas qu’il y a des corps, je ne sais encore rien de la cause de cet effet. « Du moins, il n’est pas prouvé que je sois nécessairement conduit, par ce changement de manière d’être, à reconnaître que ce qui cause la cessation de ma sensation de mouvement est un être étranger à mon moi ; j’ai pensé jadis que cela était ainsi, mais je crois que je m’étais trop avancé. Il faut donc, pour rendre cette découverte inévitable, appeler encore à notre aide une autre de nos facultés, et c’est la faculté de vouloir ; avec celle-là il ne nous manquera plus rien, car, lorsque je me meus, que je perçois une sensation, si mon mouvement s’arrête, si ma sensation cesse, mon désir subsistant toujours, je ne puis méconnaître que ce n’est pas là un effet de ma seule vertu sentante ; cela impliquerait contradiction, puisque ma vertu sentante veut, de toute l’énergie de sa puissance, la prolongation de la sensation qui cesse[13]. »

« En un mot, » dit Destutt de Tracy, en résumant ces développemens dans l’extrait raisonné de l’Idéologie, » quand un être organisé de manière à vouloir et à agir sent en lui une volonté et une action, et en même temps une résistance à cette action voulue et sentie, il est assuré de son existence et de l’existence de quelque chose qui n’est pas lui. Action voulue et sentie d’une part, et résistance de l’autre, voilà le lien entre notre moi et les autres êtres, entre les êtres sentans et les êtres sentis. »

Il est intéressant, ce nous semble, d’assister, dans ces descriptions naïves, à la marche de la réflexion psychologique, qui, de l’observation des sensations, de ce point de vue extérieur et superficiel, se replie pas à pas dans la profondeur du sujet.

Parvenu à ce point, de Tracy ne pouvait pas tarder à s’apercevoir que, si le monde extérieur ne se fait connaître pour tel que par sa résistance à la volonté, la volonté est la révélation naturelle du monde intérieur, et qu’à la connaissance de l’objet est intimement liée la conscience du sujet. Dans l’Idéologie, il admet encore qu’on peut arriver sans le mouvement volontaire et par la sensation seule à la connaissance de soi-même : « Tant que l’on ne fait que sentir des sensations, on n’est assuré que de sa propre existence. »

Dans un chapitre du même ouvrage (chap. XIII, p. 169), et dans l’extrait raisonné, il commence à remarquer que « nous confondons plus notre moi avec la faculté de vouloir qu’avec toute autre, puisque nous disons indifféremment : cela dépend de moi ou cela dépend de ma volonté. »

Dans le Traité de la volonté et de ses effets, il ne lui semble plus que vraisemblable que la sensibilité proprement dite suffise pour nous faire connaître à nous-mêmes notre moi, notre personnalité, et encore il avoue que le moi, dans la sensibilité, ne connaissant tout au plus que soi-même, ne se connaîtrait pas par opposition à d’autres êtres, qu’il serait pour lui-même l’infini ou l’indéfini, mais non une individualité et une personnalité distincte ; ainsi « c’est proprement dans ce mode de la sensibilité qu’on appelle volonté » que le moi se manifeste. C’est de la faculté de vouloir que naissent les idées de personnalité et de propriété.

Par une bizarre confusion de langage, de Tracy, avec son maître Condillac, appelle encore la volonté un mode de la sensibilité ; l’action se trouve encore être un mode de la passion. Mais si les mots subsistent, les choses ont bien changé. L’activité est devenue la base de l’existence personnelle et même le principe de la vie sociale : le Traité de la volonté et de ses effets est un traité d’économie politique.


Il était réservé à un disciple de Destutt de Tracy de dégager du sensualisme la théorie nouvelle, et de l’élever, sur la ruine de la fausse philosophie où elle avait pris naissance, au rang de premier principe. Ce réformateur de la philosophie en France fut Maine de Biran.

Maine de Biran commence[14] par séparer profondément de la passivité l’activité, que Condillac avait confondue avec elle sous le titre commun de sensation. La sensation proprement dite est une affection toute passive ; l’être qui y serait réduit irait se perdre, s’absorber dans toutes ses modifications ; il deviendrait successivement chacune d’elles, il ne se trouverait pas, il ne se distinguerait pas, et jamais ne se connaîtrait lui-même. Bien loin que la connaissance soit la sensation seule, la sensation, en se mêlant à elle, la trouble et l’obscurcit, et elle éclipse à son tour la sensation. De là, la loi que M. Hamilton a signalée dans son remarquable article sur la théorie de la perception : la sensation et la perception, quoique inséparables, sont en raison inverse l’une de l’autre. Cette loi fondamentale, Maine de Biran l’avait découverte près de trente ans auparavant, et en avait suivi toutes les applications ; il en avait surtout approfondi le principe, savoir, que la sensation résulte de la passion, et que la perception résulte de l’action.

Maintenant, où prend naissance la conscience de l’action ? Maine de Biran répond comme Destutt de Tracy, et comme Stahl avant eux dans le mouvement volontaire.

Enfin la conscience de notre mouvement volontaire n’existe que dans la conscience d’un effort, par lequel nous surmontons une résistance pour produire le mouvement. Dans la conscience comme dans la nature extérieure, l’action implique la réaction. La réaction qui nous est opposée se fait connaître à nous par une sensation. L’action se fait connaître par elle-même, dans la conscience actuelle et immédiate de notre volonté motrice.

La conscience de cette volonté motrice n’est pas un composé de deux faits, d’un côté le mouvement, de l’autre la volonté qui le produit. Le mouvement ne nous est pas donné ici comme détaché de l’acte qui le fait être, et l’acte de la volonté ne nous est pas connu hors de ce mouvement actuel où il se réalise. « On voit donc bien ici, dit Maine de Biran, qu’il n’y a pas deux faits, deux modes spécifiquement différens, en connexion accidentelle, mais un seul fait, un seul et même mode actif, et relatif par sa nature, de telle sorte qu’on ne peut isoler l’un de ses deux élémens constitutifs sans l’anéantir ou le détruire[15]. » — « L’effort voulu est un seul fait composé de deux élémens, un seul rapport à deux termes, dont l’un ne peut être isolé de l’autre sans changer de nature, et sans passer du concret à l’abstrait[16]. »

Ainsi, la conscience de l’activité motrice est la connaissance immédiate d’une cause, d’une cause liée en un fait indivisible avec son effet. Ce n’est pas la connaissance abstraite d’une simple capacité, d’une cause à part de son effet, mais bien d’une cause agissante et dans son efficacité réelle. Cette cause, c’est moi-même, moi, me manifestant dans un signe extérieur en contraste avec le non moi où je l’imprime. La cause efficace n’est point l’objet seulement de ma conscience, elle est le sujet qui sait, et, à vrai dire, la conscience elle-même.

L’école écossaise en général sépare la conscience de la perception des phénomènes extérieurs, et la définit : la connaissance des phénomènes internes ou modifications du moi. C’est là le point capital sur lequel M. Hamilton s’éloigne d’elle. Il a très bien remarqué qu’elle prenait là une distinction logique pour une différence réelle, et que le sens intime, mis à part comme une faculté détachée, n’est qu’un être de raison. « Le sujet et l’objet, dit-il très bien, ne nous sont connus que dans leur corrélation et leur opposition. Toute conception du moi implique nécessairement une conception du non-moi ; toute perception de ce qui est différent de moi implique une connaissance du sujet percevant comme distinct de l’objet perçu. Dans tel acte de connaissance, il est vrai, l’objet est l’élément prédominant ; dans tel autre, c’est le sujet ; mais il n’en existe aucun où l’un soit connu hors de sa relation avec l’autre. »

Ainsi les phénomènes subjectifs internes, isolés de tout élément objectif (au moins imaginé), sont de pures abstractions, où il n’y a rien de réel, tout-à-fait creuses et vaines.

Aristote, Stahl, Kant, ont successivement établi qu’il n’y a point de pensée distincte sans quelque image représentée en quelque étendue. On peut donc donner un sens très vrai à cette proposition de Bacon : Mens humana si agat in materiam, naturam rerum et opera Dei contemplando, pro modo materiæ operatur atque ab eadem determinatur ; si ipsa in se vertatur, tanquam aranea texens telam, tunc demum indeterminata est, et parit telas quasdam doctrinæ, tenuitate fili operisque mirabiles, sed quoad usum frivolas et inanes. Condamnée par les Écossais, elle condamne au contraire leur psychologie abstraite. Ainsi, au lieu de faire honneur à Bacon, en dépit de lui-même, de l’invention d’une méthode également et parallèlement applicable aux phénomènes internes et aux phénomènes externes, il faut mettre sa gloire comme philosophe où il l’a voulu mettre, dans la condamnation de ce qu’on pourrait appeler la phénoménologie abstraite du sens intime.

Mais, d’un autre côté, est-il vrai, comme le croit M. Hamilton, qu’il n’y ait à faire entre la perception des objets extérieurs et la conscience de ce qui nous est propre aucune distinction solide, et qu’au mot de perception on puisse substituer indifféremment celui de conscience ? Locke avait judicieusement distingué de la connaissance des objets (qu’il appelait sensation) ce qu’il nomme la réflexion. Il avait bien vu que la réflexion n’est pas une faculté de connaître subsistant à part avec des objets séparés : il l’avait définie la connaissance que prend l’ame de ses opérations sur ses perceptions mêmes. Mais il ne l’en avait pas moins distinguée de la perception comme un élément original. Il ne faut pas séparer ce qui est lié en une unité vivante, mais il faut distinguer dans le sein même de cette unité ce qui est distinct. La connaissance complète, la connaissance humaine n’est point la perception simple tout entière appliquée à l’objet extérieur, comme chez l’animal ; c’est la perception réfléchie, l’aperception de Leibnitz : apperceptio est perceptio cum reflexione conjuncta.

Or, dans la conscience ou l’aperception, qu’est-ce que l’élément réflexif ? c’est le moi, c’est moi-même. Sans le moi, il n’y a point de conscience, car avoir conscience, le mot le dit de lui-même, c’est savoir avec soi, en soi. Mais le moi c’est l’action, l’énergie. Ainsi, non-seulement la conscience implique la perception actuelle de quelque objet extérieur, mais elle implique, ou plutôt elle est essentiellement le sentiment actuel de l’activité, son sujet propre ; les phénomènes internes, considérés à part, en eux-mêmes, et hors de l’activité personnelle, ne sont point, quoi qu’en disent et l’école sensualiste et l’école écossaise, les phénomènes subjectifs de la conscience du moi. C’est là ce que Maine de Biran a supérieurement établi. En outre, s’il est vrai que le non-moi ne soit possible que par l’opposition du moi, il s’ensuit que les phénomènes considérés en dehors de l’activité personnelle n’expriment pas plus le non-moi que le moi. Et par conséquent la psychologie écossaise, et celle même de M. Hamilton, se meuvent dans une sphère d’abstractions, où il n’y a pas plus de matière que d’esprit, de corps que d’ame, dans le royaume des ombres, dans la région du vide,

Quo neque permanent animæ neque corpora nostra,
Sed quæedam simulacra modis pallentia miris
.

Tant que l’on considère les phénomènes internes en eux-mêmes et comme de simples objets d’observation, tant qu’on les considère de ce point de vue objectif, et en quelque sorte du dehors, comme Condillac et Bonnet les modifications de leur statue animée, c’est une science de formes et de cases vides, une creuse logique ; ce n’est point la science vivante du sujet de la pensée, la science subjective (dans le sens profond de ce mot), la science de l’esprit.

Ainsi, tandis que la science du monde extérieur n’a pour objet immédiat que des phénomènes, l’expérience de conscience, l’aperception est l’expérience d’une cause. Le physicien ou naturaliste voit devant lui un monde changeant d’apparences diverses, qu’il ramène par degrés à des lois générales. Le philosophe sent en soi, il voit d’une vue intérieure le principe de sa science ; lui-même il est ce principe, lui-même la loi et la cause immanente de ce qui se passe en lui.

Abstraire la cause, c’est, il faut bien le dire avec Maine de Biran, « dénaturer ou détruire toute la science de l’homme intérieur. » Comment donc ne pas repousser, comme lui, « l’application imprudente de la méthode de Bacon à la science des facultés ou des faits de l’ame humaine ? » comment ne pas y voir comme lui l’erreur la plus funeste à la philosophie ? Et alors que devient l’axiome fondamental de l’école qui se fait honneur du titre de fille de Bacon ? Ce n’est plus que le primum falsum qui doit l’entraîner dans sa chute.

C’était l’erreur de la philosophie du XVIIe siècle de vouloir s’assimiler aux mathématiques et se traiter par leur méthode. Ce fut l’erreur de l’école anglaise du XVIIIe siècle, et c’est surtout l’erreur de l’école écossaise d’assimiler la philosophie à la physique, et de la soumettre à toute force au joug de la méthode naturelle. La philosophie n’est ni une science fondée sur des définitions comme les mathématiques, ni comme la physique expérimentale une phénoménologie superficielle. C’est la science par excellence des causes et de l’esprit de toutes choses, parce que c’est avant tout la science de l’Esprit intérieur dans sa Causalité vivante. Elle a son point de vue à elle, le point de vue de la réflexion subjective indiqué par Descartes, mais qu’il avait laissé flottant dans la sphère mal définie de la pensée en général, mieux déterminé par Leibnitz, et maintenant établi, par un progrès original de la philosophie française, au centre de la vie spirituelle, dans l’expérience intime de l’activité volontaire.


Descartes cherchait quelque chose d’inébranlable (aliquid inconcussum) sur quoi pût être assis l’édifice de la philosophie. Cette base est trouvée.

Nous avons vu Kant poser le problème de la possibilité de la métaphysique : quelle est la raison, c’est-à-dire quel est le moyen terme des jugemens par lesquels l’intelligence conclut à priori des phénomènes à leurs principes ? Ce problème, l’école écossaise ne peut pas le résoudre, et elle en ignore l’existence ; Kant le résout par l’idéalisme. Pour lui, le moyen terme de ses jugemens synthétiques à priori, le moyen terme entre les phénomènes et les êtres, est une pure loi et forme de l’imagination, et l’être par conséquent une chose imaginaire.

Mais maintenant, la conscience a découvert, sous toutes les formes et les lois abstraites de la connaissance, un principe réel qui unit les deux mondes distincts des phénomènes et des êtres. Là, la raison trouvera non-seulement l’explication de ses conceptions, mais la justification de ses croyances.

La preuve de cette assertion excéderait les limites que nous nous sommes tracées ; nous nous contenterons de dire avec Maine de Biran, sauf à en essayer ailleurs la démonstration :

« La raison est bien une faculté innée à l’ame humaine, constitutive de son essence ; on pourrait dire que c’est la faculté de l’absolu, mais cette faculté n’opère pas primitivement ni à vide ; elle ne saisit pas son objet sans intermédiaire : cet intermédiaire essentiel, cet antécédent de la raison, c’est le moi primitif. — La science et la croyance ont leur base et leur point d’appui nécessaire dans la conscience du moi ou de l’activité causale qui le constitue[17]. »

Il semble que Kant lui-même eût pressenti, sous son idéalisme, cette profonde doctrine. Après avoir détruit les prétentions d’une dialectique abstraite à la science de la réalité, il cherche à cette science un fondement nouveau dans l’idée de la liberté morale ; ce qu’il avait refusé à la raison spéculative, il l’accorde à la raison pratique. On n’a vu bien souvent dans cette distinction qu’une contradiction : c’était l’incomplète expression d’une vérité profonde, désormais impérissable.

Le disciple de Kant, Fichte se rencontre, dans la dernière formule de sa philosophie souvent aussi bien mal comprise, avec Maine de Biran. Dans ses leçons sur les Faits de la conscience (1813), nous lisons ces propres paroles :

« Le moyen terme entre l’expérience et la sphère supérieure de la connaissance se trouve dans l’intuition de la volonté par elle-même. C’est dans cette intuition que le moi passe d’une région à l’autre[18]. »

Aujourd’hui enfin, après avoir traversé de nouvelles périodes de naturalisme et d’idéalisme abstrait, la philosophie allemande se retrouve fortifiée, agrandie, à ce point de vue de la réalité vivante et de l’énergie spirituelle ; M. Schelling place dans l’action, dans la personnalité, dans la liberté, la base de la métaphysique future. La France et l’Allemagne, par des voies si diverses, se rencontrent enfin, et la patrie de Descartes semble près de s’unir de pensée, j’oserais dire de cœur et d’ame, avec la patrie de Leibnitz.


En France, la doctrine de Maine de Biran a déjà pénétré jusqu’à un certain point au sein des doctrines écossaises, mais plus ou moins modifiée dans son principe et restreinte dans ses conséquences.

Dans les fragmens qui restent de l’enseignement de M. Royer-Collard, nous le voyons acquiescer à la théorie de Maine de Biran sur l’origine de la notion de la cause, et sur le jugement primitif qui transporte à toutes les causes extérieures les caractères que la personnalité trouve en soi. Mais M. Royer-Collard n’en est pas moins resté fermement attaché à la méthode de Reid.

M. Cousin déclare qu’il adopte la doctrine de Maine de Biran sur l’identité du moi ou de la personnalité avec la volonté, et sur l’origine de l’idée de la cause. Mais en même temps, à ce qu’il nous semble, par les restrictions qu’il lui impose, il la dénature et l’annule. D’abord il se refuse à admettre que l’effort soit la source unique où la volonté humaine puisse acquérir la première connaissance d’elle-même. Il suppose une organisation seulement nerveuse, dépourvue d’organes de mouvement, et il affirme que la volonté s’y produirait et s’y reconnaîtrait encore : hypothèse que Maine de Biran avait prévue et réfutée d’avance. Le moi ne se révèle originairement à soi-même que dans son contraste avec ce qui n’est pas lui. Or, le moi ne reconnaît ce non-moi qu’à la résistance qu’il rencontre. C’est ainsi, comme M. Cousin lui-même le dit quelque part, « que l’esprit nous est donné avec son contraire, le dehors avec le dedans, la nature avec l’homme. Supprimez les conditions du mouvement, et par conséquent le mouvement, plus de résistance, plus de non-moi, plus de moi, et la conscience de la volonté est impossible. — En second lieu, M. Cousin se refuse à admettre que l’intelligence conçoive toute cause à l’image du moi, c’est-à-dire comme une force intelligente et libre, et, pour tout dire, comme un esprit. Ici M. Cousin ne s’écarte pas seulement, comme il paraît le croire, de l’opinion de Maine de Biran et de M. Royer-Collard ; il s’écarte formellement de la doctrine écossaise. Reid prononce sans hésiter, et il prouve, ce nous semble, que nous n’avons aucune idée d’une puissance intellectuelle qui diffère en nature de celle que nous possédons, et qu’il en est de même de la puissance active. « Si donc, ajoute-t-il, quelqu’un affirme qu’un être peut être la cause efficiente d’une action et avoir la puissance de la produire, bien qu’il ne puisse ni la concevoir ni la vouloir, il parle « une langue que je ne comprends pas[19]. »

Quelques restrictions que M. Cousin croie encore devoir mettre au principe fondamental de Maine de Biran, il semble qu’il y a quelques années une nouvelle étude des doctrines de ce maître l’a amené à en reconnaître l’une des plus importantes conséquences. Dans la préface qu’il a mise en tête des œuvres de Maine de Biran, il semble disposé à avouer que, la philosophie ayant pour point de départ la connaissance immédiate de la cause, la méthode de Bacon ne saurait s’y appliquer, et près d’abandonner par conséquent le drapeau de l’école écossaise.

L’interprète pénétrant de cette école, M. Jouffroy acquiesce, dans le dernier de ses ouvrages, au principe de Maine de Biran, et de la phénoménologie abstraite, il transporte la psychologie dans le centre vivant de la personnalité. M. Jouffroy avait toujours dit que nous avons le sentiment immédiat de notre causalité personnelle. Dans son mémoire récent Sur la légitimité de la distinction de la psychologie et de la physiologie, œuvre de fine analyse, il ajoute : « Qu’est-ce que la conscience ? C’est le sentiment que le moi a de lui-même. — Si l’homme est en possession de cette preuve (la preuve de sa dualité), il ne le doit qu’à une seule circonstance ; c’est qu’il a conscience en lui d’autre chose que les phénomènes, c’est qu’il atteint le principe qui les produit, la cause qui le constitue et qu’il appelle moi. — Ce qui a si long-temps dérobé cette preuve à l’attention des philosophes, c’est la vieille opinion enracinée dans les esprits, que la conscience n’atteint en nous que les actes et les modifications du principe personnel, et point du tout ce principe lui-même. — Il faut donc rayer de la psychologie cette proposition consacrée : L’ame ne nous est connue que par ses actes et ses modifications. L’ame se sent comme cause dans chacun de ses actes, comme sujet dans chacune de ses modifications. » De là à l’exclusion expresse de la méthode baconienne, et par conséquent de l’empirisme écossais, il n’y a plus qu’un pas[20].

La jeune école que ces maîtres ont formée les suivra assurément dans la nouvelle voie. Demeurer plus long-temps assujétis à la doctrine étrangère, ce serait véritablement, inventa fruge, glandibus vesci.


Il reste encore à savoir si, des deux propositions que renferme l’axiome écossais, l’expérience n’atteint pas les causes ni la substance, la seconde du moins doit subsister encore, ou si elle est, comme la première, réfutée par l’expérience même. La cause qui est le sujet propre de l’expérience intime n’est-elle pas la substance, elle n’est encore, en ce sens, qu’un phénomène, une modification superficielle d’un fonds invisible, d’un substrat inconnu.

Maine de Biran a montré que, dès la première expérience intérieure qui nous révèle à nous-mêmes, nous avons avec le sentiment de notre pouvoir actuel le pressentiment assuré de sa permanence ; nous nous révélons à nous-mêmes comme une force durable. Dès la première expérience, nous croyons donc que nous sommes dans l’absolu de notre être ce que nous savons être dans le fait transitoire et relatif d’une action présente. « Ainsi, dit le profond métaphysicien, on peut dire que le relatif et l’absolu coïncident dans le sentiment de force ou de libre activité ; et c’est là, mais là uniquement, que s’applique cette pensée de Bacon, si opposée dans tout autre sens à notre double faculté de connaître et de croire : Ratio essendi et ratio cognoscendi idem sunt, et non magis a se invicem differunt quam radius directus et radius reflexus. Ici, en effet, l’aperception immédiate interne de la force productive n’est-elle pas, comme le rayon direct, la première lumière que saisit la conscience ? Et la conscience réfléchie de force ou d’activité libre qui donne un objet immédiat à la pensée sans sortir d’elle-même, n’est-elle pas comme la lumière qui se réfléchit en quelque sorte du sein de l’absolu[21] ? »

Mais en même temps, Maine de Biran ajoute que nous nous ignorons invinciblement nous-mêmes à titre de substance, et qu’en ce sens il n’y a point de lumière directe ni réfléchie qui nous éclaire sur ce que nous sommes dans l’absolu. Pourquoi ? Parce que la substance est le sujet passif des modifications, que nous ne nous savons nous-mêmes qu’à titre de libre activité, et que, par conséquent, nous ne saurons jamais ce que nous sommes dans le passif et dans le fond de notre être.

Ainsi, la volonté serait la fin de notre connaissance de nous mêmes. Au-delà un abîme sans mesure, une nuit impénétrable.


Il nous semble, au contraire, que, dans la conscience, la volonté ne saurait se suffire, et que, hors de la réalité substantielle dont on la sépare, elle n’est qu’une abstraction.

La volonté se manifeste à elle-même, nous l’avons vu, dans l’effort par lequel elle produit le mouvement. Mais l’effort suppose la résistance du mobile et la résistance un mouvement auquel elle s’oppose. Ce n’est donc point dans l’acte de l’effort que la volonté peut se voir commencer le mouvement. L’effort suppose, comme Maine de Biran l’avait reconnu lui-même, une tendance antérieure qui, en se développant, provoque la résistance ; c’est l’activité originelle, antérieure à l’effort, qui, réfléchie par la résistance, entre en possession de soi et se pose elle-même dans une action volontaire.

Élevons-nous de la volonté motrice à la volonté pure. Toute volonté en général suppose la conception de la possibilité d’un objet comme d’une fin à atteindre, d’un bien à réaliser ; or, la notion d’un objet, comme d’un bien, suppose dans le sujet qui le veut le sentiment qu’il est désirable. Pour que la volonté se détermine par l’idée abstraite de son objet, il faut donc que la présence réelle nous en ébranle déjà secrètement. Avant que le bien soit un motif, il est déjà dans l’ame, comme par une grace prévenante, un mobile, mais un mobile qui ne diffère point de l’ame même. Avant d’agir par la pensée, il agit par l’être et dans l’être, et c’est là jusqu’au bout ce qu’il y a de réel dans la volonté.


Leibnitz disait : l’action a sa source dans la disposition antécédente déjà inclinée à l’action ; la force active a pour fonds et substance la tendance ; c’est la tendance qui fait ce qu’il y a de réel dans les actes et mouvemens. — Nous croyons donner à ces propositions leur sens interne et vrai en disant : la volonté a sa source et sa substance dans le désir, et c’est le désir qui fait le réel de l’expérience même de la volonté.


Cependant le désir n’est pas encore le fonds de l’activité et par conséquent de la conscience ; lui-même il a un fonds plus reculé. L’objet qui le touche et qui le tire, étranger, extérieur à lui, n’irait jamais encore atteindre l’ame dans sa profondeur, et en remuer les puissances. Pour désirer, il faut que, sans le savoir, on se complaise par avance et se repose dans l’objet de son désir ; qu’on mette dans lui en quelque manière son bien propre et sa félicité ; qu’on se pressente en lui, que l’on s’y sente, au fond, déjà uni, et qu’on aspire à s’y réunir encore ; c’est-à-dire que le désir enveloppe tous les degrés de l’amour[22]. Et si la conscience a pour forme éminente l’opposition idéale de son objet (non moi) et de son sujet (moi) dans la volonté, si elle a pour condition immédiate leur union imparfaite, demi-idéale et demi-réelle en quelque sorte, dans le désir, elle a pour fonds leur unité réelle dans l’amour.

Or, l’Amour n’est plus, comme la Volonté, l’acte abstrait d’un principe qui se résout d’aller à la fin, encore tout idéale, où il doit réaliser ses puissances ; et par conséquent un simple mode d’une substance. Ce n’est plus même seulement, comme le Désir, un mouvement par lequel le principe, se transformant en sa fin sous l’action immédiate qu’il en reçoit, tend à s’y réaliser incessamment ; c’est la réalité achevée, la perfection, la consommation du Principe, uni à sa Fin, identifié avec elle. Ce n’est plus un mode, c’est la substance de l’ame.

Peut-être que l’intelligence entière, adéquate, n’en est possible qu’en Dieu. Peut-être qu’en ce sens la réflexion qui la cherche « est à l’ame ce que l’asymptote est à la courbe, qu’elle n’atteint que dans l’infini. » Mais dans cet infini elle approche du moins sans cesse de l’âme, ainsi que l’asymptote approche elle-même de la courbe ; elle y prévoit, y prédit comme le terme et l’accomplissement de toute pensée. Et tandis que la science calcule et poursuit la formule, qui n’en reconnaît en soi, qui n’en trouve dans son cœur l’infaillible quoiqu’obscure conscience ?


Après avoir trouvé l’ame dans une tendance ou désir immortel qui se détermine soi-même incessamment, comme une loi vivante, à une suite réglée de manifestations extérieures, du fond de l’éternel amour[23], demandera-t-on encore au-delà un sujet absolument passif ? Que serait-ce qu’un sujet au-delà ou plutôt en-deçà de tout acte, sinon : ou la simple capacité d’être, la puissance nue de l’ame elle-même, pure conception réalisée, ou bien la matière où cette puissance se manifeste et se figure, et qui n’existe que par la forme qu’elle lui donne ? Que serait-ce, non-seulement dans l’âme, mais en toute chose ? Le substrat passif des phénomènes n’est qu’une abstraction réalisée par l’imagination, et il n’y a de réalité véritable que dans l’activité interne de l’Esprit.

On veut le réduire aux phénomènes, lui en interdire le fonds intelligible, la substance. Et le fonds, la substance, au contraire, c’est l’Esprit lui-même, dont la nature est de s’entendre et de se posséder. Ce qu’il conçoit au-dessus et au-delà de la Nature, c’est ce qu’il voit en lui, et ce qu’il voit, c’est ce qui est lui-même. « Car l’Esprit n’est pas l’invisible, mais le seul visible. » N’est-il pas temps qu’il renonce enfin à se chercher hors de lui, dans son œuvre, l’idole de la matière inerte, et reconnaisse en lui le principe universel, la substance, l’essence, comme la cause première de toutes choses ? — Dépouillé de sa domination légitime, chassé de son propre centre, exilé de lui-même, il semble se mourir aujourd’hui dans le vide et dans le doute. Il retrouvera, rentré en possession de lui-même, la foi qui fait la vie.


Félix Ravaisson.
  1. Traduits de l’anglais, par M. Louis Peisse, avec une préface, des notes et un appendice du traducteur, 1840.
  2. Pag. 200.
  3. Pag. 202.
  4. Fragmens, à la suite du tome III de la traduction française de Reid, pag. 404.
  5. Fragmens de philosophie, pag. 26.
  6. Fragmens, pag. 84.
  7. Fragmens, Avertissement, pag. IV.
  8. Pag. XIV.
  9. Jugement de Schelling sur la Philosophie de M. Cousin, traduit dans la Revue germanique, octobre 1835
  10. M. Jouffroy a déjà signalé cette différence. (Préf. de la traduction de Reid, pag. CLVIII.)
  11. De même l’espace ; au contraire, la philosophie écossaise compte le temps et l’espace parmi les conceptions.
  12. Œuvres, tom. III, pag. 185.
  13. Idéologie (édit.1827), pag. 86.
  14. Dans son premier ouvrage, le traité de l’habitude.
  15. Œuvres (réunies et éditées par M. Cousin), pag. 374.
  16. Ibid., pag. 372.
  17. Œuvres, pag. 389-390.
  18. Thatsachen des Bewustseyns, pag. 464.
  19. Œuvres, traduction française, pag. 355 et suiv.
  20. Dans la préface de sa traduction anonyme de Dugald Stewart, en 1825, Farcy disait déjà : « L’induction ne peut être considérée comme la vraie et la seule méthode philosophique. — Elle nous donne la sagacité qui saisit les rapports et prévoit les résultats éloignés, mais non la réflexion qui replie l’esprit sur lui-même, et l’habitue à se saisir toujours dans son action vivante, au lieu de se conclure des effets extérieurs. » Si qua fata aspera vincas !…
  21. Œuvres, pag. 250.
  22. Amor complacentiœ, benevolentiœ, unionis.
  23. Leibnitz (édit. Erdmann), pag. 158 : « Animam, vel formam animæ analogam,… id est nisum quemdam seu vim agendi primitivam, quæ ipsa est lex insita, decreto divino impressa. » — Pag. 191 : « La nature de la substance consistant, à mon avis, dans cette tendance réglée de laquelle les phénomènes naissent par ordre. »