Petits poèmes russes/Lermontov

Traduction par Catulle Mendès.
G. Charpentier et E. Fasquelle, éditeurs (p. 39-46).

LERMONTOV


I

LE RENOUVEAU DE LA FOI




Lorsqu’en l’air parfumé le bois frais s’extasie
Et que la plaine au loin d’or mouvant se revêt
Et que la prune cramoisie
Rit sous la feuille au fin duvet,

Lorsque, secouant la rosée, à l’heure en fête
De l’aurore ou du soir dans la pourpre endormi,
Le muguet d’argent, de la tête,
Me fait un petit signe ami,

Quand le ruisseau frôlé de saules et d’yeuses
Glisse et m’entraîne l’âme en un rêve hésitant
Et dit les fables merveilleuses
Du pays qu’il baigne en chantant,

Alors la joie éclôt en mon cœur solitaire,
Les rides de mon front s’effacent, et sans fiel
Je veux bien du bonheur sur terre
Et retrouve Dieu dans le ciel !





II

RECONNAISSANCE




Seigneur Dieu ! je vous remercie
De tout, de tout, de tout, de tout !
Du traître amour, du prompt dégoût,
Du noir destin sans éclaircie,

Et de l’amertume des larmes,
Et des baisers empoisonnés,
Et des longs jours que j’ai traînés
Dans la misère et les alarmes,
Des haines, de la calomnie,
Et des durs efforts que l’on perd
À semer son âme au désert,
Et de l’outrage à mon génie,
Et des sots que le monde encense…
Seulement, ô Dieu qui m’entends,
Daigne ne plus avoir longtemps
Des droits à ma reconnaissance !





III

L’ANGE ET L’ÂME




Un ange traversa le minuit azuré !
L’ange disait le chant des célestes patries,
Et lune, étoile, nue, écoutaient, attendries,
Au bleu minuit, l’hymne sacré.

Il disait le délice épanoui des âmes
Innocentes dans les jardins du paradis,
Et Dieu même, et l’amour sans demain ni jadis
En les immarcescibles flammes.

Destinée aux soucis, aux larmes d’ici-bas,
Il portait dans ses bras une âme, sœur fidèle…
L’hymne céleste, voix sans parole au fond d’elle,
Faible et vague, n’y mourut pas.

Longtemps elle porta, vivante solitaire.
Le deuil du ciel parmi les humaines douleurs…
Rien n’a valu le bel hymne pour l’âme en pleurs
Qu’attristaient les chants de la terre !