Petits poèmes (Rouquet)
Vive la Muse et les Rimeurs !
ive la Muse et les Rimeurs !
Des lourds ennuis leur voix console.
Que leur chanson soit triste ou folle
Ils sont les éternels charmeurs.
Si d’exciter bien des stupeurs,
Hélas ! est souvent dans leur rôle,
Vive la Muse et les Rimeurs !
Des lourds ennuis leur voix console.
Eux seuls vont bravant les clameurs
Et, dans les querelles d’École,
Ils ont pour glaive la parole.
De l’Idée ils sont les semeurs ;
Vive la Muse et les Rimeurs !
lic ploc, plic plac, l’eau dévalait
Changeant les ruisseaux en rivières ;
Rapidement chacun filait ;
Plic ploc, plic plac, l’eau dévalait.
Or, j’entrevis un fin mollet
Aux premiers feux des réverbères.
Plic ploc, plic plac, l’eau dévalait
Changeant les ruisseaux en rivières.
Fort poliment, j’offre un abri
Pour laisser s’écouler l’averse.
Elle avait peut-être un mari…
Fort poliment, j’offre un abri.
De conquérir cette houri
J’avais l’intention perverse ;
Fort poliment j’offre un abri
Pour laisser s’écouler l’averse.
Il fallut se serrer un peu
Afin d’éviter les gouttières ;
Et j’étais enchanté, parbleu !
Qu’il fallut se serrer un peu.
Nos cœurs battaient, un doux aveu
Brûlait ma lèvre et ses paupières…
Il fallut se serrer un peu
Afin d’éviter les gouttières.
Lorsque l’eau cessa de tomber
Elle s’enfuit à tire d’aile.
Hélas ! elle allait succomber
Lorsque l’eau cessa de tomber.
Ce que j’avais pu dérober
Me la montrait moins que cruelle…
Lorsque l’eau cessa de tomber
Elle s’enfuit à tire d’aile.
En signe de remerciement,
Pour terminer notre aventure,
Je reçus un billet charmant
En signe de remerciement.
On m’indiquait tout simplement
L’adresse… et l’heure la plus sûre.
En signe de remerciement
Pour terminer notre aventure.
e vin blanc mousse dans les verres !
C’est l’heure du gai réveillon,
Et Noël, de son carillon,
Lance au dehors les notes claires.
Sur les pâtés alimentaires
S’acharne un bruyant bataillon ;
Le vin blanc mousse dans les verres,
C’est l’heure du gai réveillon.
Propos légers, lestes manières
Au repas servent d’aiguillon
Et font monter le vermillon
Jusqu’au visage des moins fières.
Le vin blanc mousse dans les verres !
harme des folles nuits, éblouissant Poème,
Éternel Idéal, fleur de Mysticité,
Ô femme, j’ai compris d’où te vient la beauté
Dont rayonne ton front fait pour le diadème.
Le Paros de ta chair a beau servir de thème,
On n’en dira jamais toute la pureté ;
Et ton corps où, parfois, s’endort la volupté
En reçoit pour toujours une grâce suprême.
Mais, si l’on doit aimer la courbe de tes flancs.
La superbe rondeur de tes seins aussi blancs
Que la neige des Monts, le lys ou l’asphodèle ;
Si l’on rêve de tes cheveux longs et soyeux.
Ce qu’il faut admirer et qui te rend si belle,
Déesse, c’est surtout la splendeur de tes yeux !
ls étaient vaincus ; mais, coûte que coûte,
Pour que l’allemand ne pût tout broyer,
Il fallait sauver l’armée en déroute.
Un régiment seul osa l’essayer.
On le vit, ayant toutes les audaces,
Sur un terrain nu posté sans faiblir,
Défier ainsi les profondes masses
Qui, de toute part, venaient l’assaillir.
Et s’il résistait et, seul, tenait tête
À leurs flots pressés pareils à la mer,
C’est qu’il espérait grandir la défaite
Dont le souvenir serait moins amer.
Le combat fut long, implacable, horrible !
Et tous ces martyrs s’étant fait hacher,
Leur dernier sommeil parut si terrible
Que les ennemis n’osaient approcher.
Le torrent passa.
Dans la même fosse
Sans les distinguer on mit ces héros
Et le lieu qui vit la mêlée atroce
Fut pour nos soldats le champ du repos.
Puis, quand de la lutte effaçant la trace,
Un gazon épais vint les recouvrir,
Deux bâtons en croix dirent seuls la place
Où ces fiers français avaient su mourir.
Or, douze ans après, sur cette colline
Que les allemands voudraient oublier,
La petite croix ayant pris racine
Était devenue un grand peuplier.
Dans ses longs rameaux brillait l’espérance ;
Son faîte élevé qu’on voyait verdir,
Aux cœurs alsaciens rappelait la France
Qui dans le malheur avait su grandir.
Un matin que tout était près d’éclore,
Ayant du printemps senti les frissons,
Et que les oiseaux saluaient l’aurore
Dans le peuplier plein de leurs chansons,
Tandis que montait la brise attiédie,
On vit des prussiens passer stupéfaits !
Au sommet de l’arbre une main hardie
Avait osé mettre un drapeau français.
Pendant quatre jours en roi de l’espace,
Il cingla, vainqueur, les cieux empourprés.
Pas un alsacien, malgré la menace
Ne voulut toucher à ses plis sacrés.
En vain des soldats tentaient l’aventure ;
Il flottait toujours par les vents battu.
On dut ordonner, pour venger l’injure,
Que le peuplier serait abattu.
Le tronc fut haché jusqu’au ras de terre ;
Mais, le lendemain, sur ce fier débris,
Les lourds allemands, blêmes de colère,
Lurent en français : Mort pour son pays !
’allée était déserte et la nuit était noire.
Sous son voile, Barbès sommeillait dans sa gloire,
Attendant le grand jour où son front radieux
Apparaîtrait enfin superbe à tous les yeux.
Et l’amour des vaincus ensoleillait son âme ;
Et son cœur revivait au feu de cette flamme,
Car son triomphe était celui du paria.
Tout à coup, à ses pieds, le sable obscur cria
Et son socle gémit d’une voix indicible ;
Et Barbès crut sentir comme une pluie horrible
Qui, tout autour de lui, dans l’ombre s’abattait.
Des rires et des mots confus qu’on chuchotait
Montèrent dans la nuit ; puis ce fut le silence ;
Et le héros, repris de vague somnolence,
S’endormit, attendant que le jour reparut.
Et voilà que soudain, dans l’air, un cri courut
Strident, qui l’éveilla. Soulevant sa paupière,
Anxieux, il scruta son piédestal en pierre
Comme s’il redoutait quelque suprême affront.
Oh ! rougeur de la honte envahissant le front
Devant l’acte idiot, inconcevable, infâme !
Oh ! constatation de la laideur d’une âme !
Malgré l’épais linceul qui lui couvrait les yeux.
Il vit — tandis qu’en bas, montrant les poings aux cieux,
La foule s’indignait — une traînée affreuse,
Noirâtre, maculant tout son socle et, hideuse,
Éclaboussant son nom d’un immonde crachat.
Et Barbes comprit tout : l’effroyable attentat,
La plainte du granit, les voix des voyous pâles
Et les rires mauvais secouant ces vandales
Dans la nuit.
Il laissa tomber un pleur d’airain
Et, lutteur invaincu, reprit son front serein.
Oh ! ne les touchez pas les taches glorieuses
Étalant au grand jour les rancunes honteuses
Et la basse vengeance et la haine aux abois !
Non ! ne les touchez pas, afin que chaque fois
Que la foule à Barbès ira porter son culte,
Devant ce piédestal auguste qu’on insulte
Elle allume un éclair dans ses yeux agrandis
Et qu’il lui monte au cœur le dégoût des bandits !
Carcassonne, le Ier mai, 1886.
a vieille Cité toute grise
Se profilant dans le lointain
Semble défier le destin
Sur son roc fortement assise.
Le voyageur, plein de surprise
N’ose couvrir de son dédain
La vieille Cité toute grise
Se profilant dans le lointain.
Et dans le rêve qui le grise
Son esprit flottant incertain
Voit devant lui surgir soudain
Le long passé qu’elle éternise
La vieille Cité toute grise.
Le trictrac seul des tisserands
Trouble le calme de ses lices ;
Les lézards gris, sans artifices
S’y promènent en conquérants.
Les touristes aux pas errants
Courant surtout aux édifices,
Le trictrac seul des tisserands
Trouble le calme de ses lices.
Partout les lierres adhérents
Bouchent des murs les interstices ;
Et ce lieu qui vit des supplices
Jette aux échos indifférents
Le trictrac seul des tisserands.
Le lourd cliquetis des armures
Luisantes de fauves éclairs,
Ainsi qu’un écho des enfers,
Sortait jadis des embrasures.
Aujourd’hui le bruit des ramures
Remplace, autour des murs déserts,
Le lourd cliquetis des armures
Luisantes de fauves éclairs.
Mais lorsque dans les crénelures
Des vieux remparts souffle le cers,
On croit entendre dans les airs,
Dominant de vagues murmures,
Le lourd cliquetis des armures.
Les lugubres oiseaux de nuit
Doivent cuver des saturnales
Au creux des voûtes ogivales
Où dans l’ombre leur œil reluit.
Et, quand midi les y poursuit,
Au fond des fosses sépulcrales
Les lugubres oiseaux de nuit
Doivent cuver des saturnales.
Le vautour devant qui tout fuit
Plane sur les tours colossales
Et, de ses notes gutturales,
Va réveiller en leur réduit
Les lugubres oiseaux de nuit.
Ô vieux fantôme d’un autre âge !
Berceau de nos vaillants aïeux !
Ton aspect éblouit nos yeux
Des reflets d’un puissant mirage.
Tu rappelles ces Tectosages
Qui bravaient la chute des cieux,
Ô vieux fantôme d’un autre âge !
Berceau de nos vaillants aïeux !
Et si, plus tard, quand le servage
Osa se montrer en tous lieux,
On te vit défier ses dieux,
Moi, je te devais un hommage,
Ô Vieux fantôme d’un autre âge !
e petit bébé tout rose
A vagi, sanglant, menu,
Au fond de la chambre close.
Avec son teint de chorose
Il a l’air bien saugrenu
Le petit bébé tout rose.
Mais on le métamorphose
En baignant son corps charnu
Au fond de la chambre close.
Déjà, l’adorable chose !
On aime cet inconnu,
Le petit bébé tout rose.
Effaré, le père n’ose
Marcher… il semble ingénu
Au fond de la chambre close.
Il va, vient, tourne sans cause,
Heureux qu’il soit bien venu
Le petit bébé tout rose.
Dans le berceau qu’on dispose
La mère a vu l’enfant nu
Au fond de la chambre close,
Et, joyeuse, elle repose,
Couvant d’un œil soutenu
Le petit bébé tout rose
Au fond de la chambre close.
e petit jouet que nous t’apportâmes
Un soir qu’un instant nous t’avions quitté,
Lui, qui dans tes yeux allumait des flammes,
Un seul des grelots nous en est resté.
C’était un laiton garni de clochettes
Dont le timbre grêle en tes sens parlait.
Le manche était noir et tu fis des fêtes
À l’extrémité finie en sifflet.
Tes petites sœurs voulaient te le prendre,
Mais, d’un geste vif, malgré leur émoi,
Tu les écartas et leur fis comprendre
Que tu savais bien qu’il était pour toi.
Ce petit jouet que nous t’apportâmes
Un soir qu’un instant nous t’avions quitté,
Lui, qui dans tes yeux allumait des flammes,
Un seul des grelots nous en est resté.
Nous l’avons gardé parmi nos reliques ;
Et quand nos regrets jamais apaisés
Trop poignants se font plus mélancoliques
Nous le dévorons parfois de baisers.
C’était le premier, mon fils que ta mère
Pour te récréer plaçait dans ta main ;
C’était le premier… ta vie éphémère
En a fait le seul mis sur ton chemin.
L’unique jouet que nous t’apportâmes
Un soir qu’un instant nous t’avions quitté,
Lui, qui dans tes yeux allumait des flammes
Un seul des grelots nous en est resté.
’ai rêvé de l’or les fauves ivresses
Et pour un instant changé mon destin ;
Mais quand j’ai voulu m’asseoir au festin
J’en ai deviné les lois vengeresses.
J’ai rêvé la gloire et ses allégresses
Et j’avais dompté son royal dédain ;
Mais elle n’est pas le bonheur certain
Car j’en ai senti les sombres détresses.
J’ai rêvé l’amour pur comme un ciel clair ;
Mais le Dieu vainqueur m’a mis dans la chair
L’ardent aiguillon de ses convoitises ;
Et, péniblement, suivant le chemin
Qui voyait surgir toutes mes hantises,
J’ai pris en pitié l’Idéal humain.
e tictac de la pendule
Berce mon isolement
Dans ma chambre où, lentement,
La nuit suit le crépuscule.
Vers l’âtre où le tison brûle
J’étends mes pieds mollement,
Le tictac de la pendule
Berce mon isolement.
Dehors le hibou module
Un plaintif hululement,
Et si régulièrement
Que l’on dirait qu’il simule
Le tictac de la pendule.
Dans le vague qui m’oppresse,
Pris comme en un morne étau,
On dirait que mon cerveau
Se complaît dans sa détresse.
De l’implacable tristesse
Je sens le subtil réseau,
Dans le vague qui m’oppresse,
Pris comme en un morne étau.
Et je songe à ma jeunesse
Qui fuit lambeau par lambeau,
Tandis qu’un hideux tombeau
Semble se dresser sans cesse
Dans le vague qui m’oppresse.
Directeur littéraire : ALBERT de NOCÉE. Bruxelles, 69, rue Stévin, 69.