Petits Mémoires littéraires (Monselet)/Chapitre XXXV

CHAPITRE XXXV

Autre académicien. — Camille Doucet.

Voyez-le passer souriant, blanchi ou plutôt poudré à frimas, le regard d’une jeunesse incroyable, la lèvre spirituelle au possible, l’allure rapide, avec quelque chose d’heureux dans la physionomie et dans le geste. C’est l’auteur du Baron Lafleur, — ou plutôt c’est le baron Lafleur lui-même !

M. Camille Doucet est né à Paris (Il n’est bon bec que de Paris, disait François Villon), le 16 mai 1812. On voulait faire de lui un notaire, il se contenta d’être un avocat. Je ne sache pas qu’il ait beaucoup plaidé ; mais il (it^lus tard une jolie petite comédie intitulée : l’Avocat de sa cause, qui vaut mieux que bien des plaidoyers.

Une demi-douzaine de pièces composent son bagage littéraire. Ces pièces sont toutes en vers et elles ont toutes réussi, — soit à l’Odéon, soit au Théâtre-Français.

Le tempérament dramatique de M. Camille Doucet le rattache à la liguée des Demoustier, des Andrieux, des Casimir Delavigne, de tous ces esprits honnêtes, ingénieux, que le public aime du premier coup et comprend dès le premier vers. Il ne cherche pas à corriger les mœurs, il lui suffit de « fronder les ridicules ». Pour cela, il n’a besoin que du style de ses prédécesseurs, de cette langue sobre d’ornements ou qui n’admet que les images consacrées.

De toutes ses pièces, la Considération est celle où il a le plus essayé d’élever son essor.

La Considération discute un point d’un haut intérêt social : la probité selon le code et la probité selon la conscience. Un négociant malheureux ou maladroit, spéculateur ruiné et ruinant, prenant des arrangements, comme on dit, avec ses créanciers, leur donnant vingt ou vingt-cinq pour cent ; puis réédifiant sa fortune et en enveloppant le passé dans un égoïste oubli, — tel est le personnage que M. Camille Doucet a mis en lumière, personnage bien observé, mélange de faiblesse et de vanité, d’irréflexion et… d’indélicatesse. Maintenant, voici le fond de la pièce : ce que fait le Georges de l’Honneur et l’Argent pour son père mort, le Lucien de la Considération le fait pour son père vivant ; il désintéresse ses victimes et se résout à la pauvreté pour recouvrir un nom intact. Il est récompensé de son sacrifice par un beau mariage.

Il y a beaucoup de chiffres là-dedans, et la poésie a bien de la peine à se faire jour à travers les livres de caisse ; elle y parvient quelquefois cependant. Un général dit à deux amoureux :

XXXXXXXXXXX …… Ne vous dérangez pas !
Je connais la chanson que vous chantez là-bas ;
On l’apprend à seize ans, on l’oublie à soixante ;
Je ne la chante plus, mais j’aime qu’on la chante.

Ailleurs, M. Doucet raille spirituellement son spéculateur, après le remboursement opéré en secret par le fils :

XXXXXXXX …Vous avez conquis l’opinion ;
Vous allez concourir pour le prix Montyon…
À merveille ! Le monde est vertueux ; il aime

Les belles actions qu’il ne fait pas lui-même.
 
D’ailleurs, c’est amusant, quand on est assez riche,

D’acheter des vertus qu’en public on affiche.
Si vous aviez payé jadis, tout bonnement,
Qui diable parlerait de vous en ce moment ?
Donc, il faut avoir pris un peu pour pouvoir rendre.

M. Camille Doucet, — personne n’en ignore, — a occupé pendant longtemps un emploi public. En 1853, il était nommé chef de la division des théâtres au ministère d’État ; en 1863, il passait, avec le même titre, au ministère de la maison de l’Empereur.

Auteur applaudi, fonctionnaire en vue et généralement aimé, il pouvait se dire un homme heureux. Quelque chose cependant manquait à son bonheur : l’Académie ! Après la mort de Scribe, on le vit traverser furtivement le pont des Arts et se diriger vers le palais de l’Institut. Sous la porte il se rencontra avec M. Autran. Les deux candidats furent favorablement accueillis par les Trente-Neuf, et peu s’en fallut que l’un ou l’autre ne fût élu de prime abord.

Cependant, ainsi que cela arrive souvent à l’Académie, ni M. Camille Doucet, ni M. Autran ne furent nommés ce jour-là. Ce fut M. Octave Feuillet qui mit les voix d’accord.

Mais ce n’était qu’un petit retard pour l’auteur de la Considération, qui, le 22 février 1866, venait prendre possession du fauteuil d’Alfred de Vigny.

Depuis sa réception, M. Camille Doucet n’a plus rien produit, ou du moins il n’a plus rien publié. Une fois cependant, en 1869, il a rompu le silence et lu, dans une séance publique des cinq Académies, une sorte d’épître familière intitulée : Mon Voyage. En voici le début :

Je ne recherchais pas l’honneur que l’on m’impose ;
Le silence me plait… pour beaucoup de raisons ;
Mais à notre programme il manquait quelque chose :
Les petits vers font bien après la grande prose,
Et tout finit par des chansons.

Donc, vers la fin de juin, pour quatre ou cinq semaines.
J’allais partir ; j’allais voir les monts et les plaines,
Quand notre président me dit : « C’est votre tour…
Avant le quatorze août vous serez de retour.
Pour la réunion que ce jour-là ramène,
Faites-nous quelques vers, un poème, une scène,
Un conte, moins que rien… » La belle occasion
Que j’avais d’être absent ou de répondre : Non !
Mais l’échéance était si loin… En perspective
Rien ne semble devoir arriver ; — tout arrive.
À vous, chers auditeurs, je n’avais pas songé !
Je promis, je partis… vieil enfant en congé !

Dès la première nuit, dans l’express de Marseille,
Je me disais : « Faisons pour eux quelque merveille ;
Jusqu’aux plus hauts sommets essayant de monter.
Ma muse rajeunie aimerait à chanter.
Chantons !… » Le train s’arrête. Ô grandeur et ruine !
Nous étions à Mâcon… Mâcon de Lamartine !

C’est de la poésie en pantoufle, comme on voit. Le tour en est suranné jusqu’à faire croire au pastiche.

Après avoir payé son tribut de regrets à Lamartine, — Lamartine de Mâcon, pour parler son langage, — l’auteur se remet en route ; mais arrivé à Vienne, il se heurte à un autre souvenir, à une autre ombre, à Ponsard. Nouvel accès d’attendrissement.

………Avouons que pour un honnête homme,
Qui dans un coupé-lit comptait l’aire un bon somme,
Et qui pour son plaisir prétendait voyager,
Ce début était peu propre à l’encourager !

Le soleil reparut, et pour les Pyrénées
Nous partîmes bientôt, à petites journées,
Heureux de contempler tout le long du chemin
Les chefs-d’œuvre éternels qu’y sema l’art romain.

Un beau jour, nous devions, en passant par Narbonne ;
Sur la foi de Nadaud, aller voir Carcassonne.
C’était le huit juillet, jeudi, jour d’Institut.
Mon cœur suivit sa pente et tourna vers ce but :
« À trois heures, pensai-je, ils seront en séance. »

L’évocation de Nadaud me semble un peu folâtre dans ce docte milieu.

De station en station, de rime en rime, M. Camille Doucet arrive à Béziers. Mais à Béziers, même aventure qu’à Vienne et à Màcon. Le fantôme du père Viennet se dresse devant lui. M. Doucet est bon ; il s’arrête à pleurer sur Viennet, comme il s’est arrêté à pleurer sur Ponsard. Tout cela prend du temps.

Enfin, le voilà à Luclion ; il va se reposer, se réconforter ; déjà il a bu son premier verre de Ferras-Nouvelle… Ô douleur ! en entrant à l’hôtel, il trouve un télégramme qui lui dit : « Repartez pour Paris à l’instant ! »

À l’instant, je repars. Et ce charmant voyage
Qui, tous les plaisirs nous offrant le mirage,
Promettait presque trop et ne tint pas assez.
Il est fini ! Mes vers… ne sont pas commencés !

Toute la belle humeur et tout l’esprit de M. Camille Doucet sont là. J’imagine que Mon Voyage eut un succès de lecture prodigieux, — à rendre jaloux M. Ernest Legouvé.