Petite pervertie/00
EN GUISE DE PRÉFACE
« Petite Pervertie » pouvait se passer d’une préface. Je pouvais également me dissimuler derrière un incognito plus impénétrable. Je n’ai pas le courage de ne pas avoir de courage.
Des esprits timorés vont crier au scandale. Je me voue à la vindicte de l’opinion publique. Je m’attache moi-même au pilori. D’autres anges vont rire, d’autres démons vont pleurer. Lorsque les démons rient, alors les anges commencent à pleurer.
J’éprouve une certaine jouissance à sentir le pipi de chat. À me faire courser par les puritains, ces concierges de l’immeuble où demeurent les gens sérieux. Il y a dans la société des masochistes qui s’ignorent. Il y a aussi tant d’imbéciles.
J’arrive à un âge où l’opinion n’est plus qu’une monnaie qui a autant de métal précieux qu’une Bedoucette. La valeur en est fictive.
Dans la vie tout homme capable de sentir, de vibrer lorsqu’il possède encore, même avec ses derniers rayons, cette jeunesse du cœur qui ne vieillit jamais, peut suffisamment comprendre pour beaucoup pardonner.
Il en est qui commençant par cette haine si naturelle contre une société stupide et mal faite, trouvent leurs théories premières dans l’anarchie. Puis finissent dans la peau d’un conservateur, défendant alors l’église, la pensée soi-disant bonne, parce qu’elle est la leur, comme tous les travailleurs doivent être communistes pour ces derniers et enfin se font les champions des bonnes mœurs.
Je me suis créé une telle originalité que pour ma part c’est tout le contraire. Je débute par la fin. Je termine par le commencement. Je me crée une anarchie si ordonnée, qu’elle se passe de bombes, qu’elle regarde avec scepticisme les Ravachols quels qu’ils soient.
Je ne bâtis pas une chapelle comme Auguste Comte à l’humanité. En bloc elle ne m’intéresse pas… Je préfère l’observer en détail. Contrairement à la conception du vieux philosophe dont la fin fut la chute d’un ange. Je déclare que prise individuellement elle peut être refaite. La beauté ne se découvre qu’en brassant beaucoup de fumier.
On dit que les anges étant descendus sur la terre trouvèrent belles les femmes des hommes. Ils s’accouplèrent.
Il naquit des anges. Ceux-là nous voulons les découvrir. Ils vivent au milieu de nous. Tout autour, s’ébattent les Juifs dissimulant dans leur pantalon une petite queue de cochon. Les rois en firent brûler quelques-uns. Je ne ferai brûler personne. La graisse surchauffée, à mon avis, ne sentant pas bon.
J’aime la beauté sans voile. La parfaite nudité. Une vieille coquette trop fardée mérite qu’on lui passe un linge humide sur la figure. À moi la peau nature. Seules les vierges ont le droit de rougir.
Je veux faire jaillir les seins en toute liberté, du corsage. Caresser la peau douce comme du satin, de belles cuisses qui s’offrent et qui s’entr’ouvrent. Enfin las d’avoir trop aimé m’écrouler sur cette poitrine. Sous l’enveloppe entendre battre son cœur et pouvoir l’ausculter librement.
L’homme ne doit-il admirer que la femme et vice-versa et versa-vice ?
Toute la création mérite notre attention. Je ne veux plus de pagne sur ces parties « dites honteuses ». Celles que Mme Bovary tremblante et émue ne consentait à voir que dans un fiacre, les rideaux soigneusement tirés.
La lumière, le grand soleil. Ne confondons pas autour et alentour. Amour et rigolade.
Ne détruisons rien. Tout mérite d’être conservé.
Ne conservons rien. Tout mérite d’être détruit.
Le corps éprouve un besoin naturel, celui de s’unir à un autre corps.
L’homme comme la femme ont besoin de caresses. La jouissance est-elle un jeu ? L’amour une plaisanterie ? Est-il absolument nécessaire de spolier, d’avilir, de détruire ?
Est-ce une honte de ne rien refuser à celui ou à celle à qui l’on a déjà tout donné ?
Faut-il comme des chats chercher les goûttières ? Ou comme les oiseaux de nuit des vieux troncs d’arbre pourris.
L’ombre, toujours l’ombre. La belle hypocrisie !
Un père jésuite me déclarait que l’époque était admirable. Retour vers la pudeur, retour vers la chapelle. La jeunesse brûlant ce qu’elle a adoré fait marche-arrière vers la sacristie.
L’époque est admirable ?…
Il n’y eut jamais tant d’escrocs, de scandales, de satyres, de vampires, etc.
Crise de moralité. Non crise d’hypocrisie.
Les livres interdis à l’étalage, se vendent à l’intérieur.
On parle de liberté. Allons donc !
Fausse liberté, voulez-vous dire. Puritanisme imbécile. Cachant le mal. Par suite ne pouvant le guérir.
Ou alors faussement nous trafiquons du cochon qui sommeille. Nous vendons de la chair malade. La viande en est de mauvaise qualité.
J’ai trouvé, cela arrive, paraît-il, un éditeur intelligent. Il se nomme Georges du Cayla.
J’ai suffisamment étudié toute cette littérature que l’on nomme légère. Celle qui ne se soucie pas des barrières. Celle qui a la prétention de franchir les frontières des zones interdites. De tout voir, de tout écrire.
De l’imagination, pas même. Il est si facile de trouver l’invraisemblable. Il est beaucoup plus difficile de le faire avaler à des lecteurs. De se renouveler. De ne pas les prendre pour plus bêtes qu’ils ne sont.
En ai-je lu de ces élucubrations qui se disent osées. Qui sont pornographiques sans être intéressantes. Peut-on ainsi se moquer du public impunément ?
Oui, paraît-il ! On fouette les « Sonias ». Leurs fesses ne sont que plaies. On y passe de l’huile et on recommence. Et les esclaves qu’un trafiquant a ramassées parmi de pauvres petites girls sans défense, puis a cloîtrées sur une île déserte, puis obligées à servir de paillasson à toutes les passions possibles et impossibles. Il y plante sa canne où vous devinez, il leur arrache des lambeaux de chair pour s’en repaître à son dîner.
Et comme dans Maya, ça continue, ça continue. Au fou ! Au fou !
Georges du Cayla m’a dit :
« Chassons les vendeurs du temple. Faites quelque chose de nouveau. Du vraisemblable.
Du vécu !
— Tout s’est fait, tout se refait. Que puis-je dire encore ? !
— Cherchez dans vos souvenirs. Votre réputation n’est plus à faire. Peut-être même pourriez-vous écrire vos mémoires. Votre expérience pourra servir à mes lecteurs.
Hélas ! mes mémoires, pauvres mémoires, alors ! Tourbillon de souvenirs où des images fugitives sourient et pleurent.
On n’écrit ses mémoires qu’à l’heure où comme un glas a sonné le gong de la vieillesse.
À cette époque, je serai probablement trop impotent pour pouvoir tenir une plume.
Je me suis regardé dans ma glace.
J’ai quelques cheveux blancs. Puis-je encore aspirer aux folies ? Puis-je attendre encore quelque temps avant de me décider à prendre une retraite amoureuse honorable ?
Je suis romancier et journaliste. L’un n’exclut pas l’autre. Je ne puis que difficilement en sortir. Les autres métiers ne me sont pas permis.
Il aurait été préférable pour moi que je sois garçon épicier, charcutier, ouvrier à la chaîne chez Citroën, bedeau, employé des pompes funèbres, etc., etc.
Je suis, hélas, un intellectuel. Donc, à notre époque, un bon à rien.
Il me faut également expier, ma naissance, mon honnêteté, mon patriotisme.
Que de choses inutiles.
J’ai été assez stupide pour donner à des femmes en échange de leurs faveurs et soi-disant de leur amour, le peu qu’il me restait encore. Au lieu de vivre d’elles. D’avoir répondu à l’appel de mon pays. D’avoir fait trois années de guerre. De n’avoir pas osé tirer d’importants subsides de maladies, de dommages de guerre, etc. De n’avoir pas trempé dans des affaires plus ou moins louches. D’avoir versé l’or que je possédais pour que le coq finisse de crever les yeux du soldat allemand. Sur le conseil de mon gouvernement, d’avoir acheté des fonds russes pour aider nos chers alliés. J’appartiens à la catégorie des poires, et aussi des noceurs, parce que j’ai aimé, j’ai vécu, j’ai cru devoir user de tout ce que la nature avait mis à ma disposition. Lumière soit honnie par les oiseaux des ténèbres ! !
Pourtant je continue. Et alors, un soir, comme un serin malade, faisant le gros dos, je saurai me cacher pour mourir, car mon seul espoir c’est d’expirer en beauté, si je n’ai pas toujours vécu ainsi. C’est-à-dire loin du monde.
J’écris sur la demande de mon ami du Cayla ce roman, je prends mes responsabilités, j’ai soif de franchise.
À propos, savez-vous faire une bonne crème fouettée ?
Voilà la recette :
Prenez une grande bassine. Versez dedans un grand pot de crème. Mettez beaucoup de sucre.
Battez alors, battez bien fort, sur la glace.
Prenez bien garde qu’elle ne tourne en beurre. Arrêtez-vous à temps ! Stop !
À joutez-y une gousse de vanille.
Puis goûtez, mangez, offrez-en à vos amis. C’est excellent. Vous en avez déjà mangé ? Moi aussi.
Vous en mangerez encore.
« Honni soit qui mal y pense. »