Chapman & Hall, limited (p. 294-296).



PETITE ABEILLE



AH ! te voilà enfin posée sur le montant de ma fenêtre :

Depuis un long moment tu étais là, dansant dans le soleil levant, le soleil d’automne encore tout frais de la fraîcheur de la nuit.

D’où viens-tu, petite abeille jaune et noire ?

Quel chemin t’a conduite par la grande ville jusqu’à mon sixième étage, et quelle gaîté ou quel désespoir t’a fait danser si longtemps dans l’encadrement de ma fenêtre ouverte ?

Parfois tu t’élançais si fort qu’on eût dit que tu voulais atteindre le ciel, puis ta danse devenait triste et ton vol retombant.

Dis-moi, petite abeille, viens-tu d’un bal de nuit ou reviens-tu de guerre ?

Quand tu t’es posée sur le montant de ma fenêtre, tout ton petit corps tremblait de fatigue. Tes pattes se repliaient sans forces, tes ailes frissonnaient et ta tête ronde remuait et se balançait comme la tête d’une vieille femme dont le cou est devenu faible.

Maintenant tu dors, petite abeille.

Tes fines pattes sont agrippées au bois, mais ton corps est si lourd qu’il penche de côté et tu fais penser à un pauvre homme sans gîte, qui a erré toute la nuit, et qui s’est endormi au matin sur un banc.

Tout à l’heure tu t’envoleras, tu secoueras tes fines ailes qui ressemblent en ce moment à des parcelles d’écailles séchées.

Tu redescendras vers la terre, où tu trouveras encore des fleurs et des ruisseaux.

Mais maintenant, dors dans le rayon du soleil levant, dors tranquille sur la boiserie de ma fenêtre ouverte, car j’ignore d’ tu viens petite abeille. Mais que tu viennes d’un bal de nuit ou que tu reviennes de guerre, dors jusqu’à midi, sous le doux soleil d’octobre.