Petite Nell/Tante Olympe

Verlag Von Raimund Gerhard (p. 4-8).
CHAPITRE II.
Tante Olympe.

Heureusement pour nous, quel que soit notre chagrin, le temps passe, emportant avec lui la première violence de notre douleur.

Pour Petite Nell et pour son frère, le temps passait aussi, bien que lentement, mais il passait néanmoins.

Louis était retourné à ses cours, quoiqu’il eût dès l’abord déclaré qu’il ne ferait rien, ne sachant plus pourquoi ni pour qui il se donnerait la peine d’étudier ; et la brave tante avait eu bien du mal à faire comprendre à ce neveu rebelle que le travail est un devoir autant qu’un privilège, mais elle avait tenu bon et il fut bientôt prouvé qu’elle avait raison, le jeune étudiant retrouvait peu à peu cette humeur égale et joyeuse qui avait toujours fait le bonheur de sa mère.

Quant à Petite Nell, qu’aucun devoir n’obligeait plus à quitter la maison, elle passait ses journées dans une inaction qui désespérait tante Olympe, qui ne comprenait pas qu’on pût rester des heures les mains inoccupées et le regard perdu dans le vague.

— C’est une drôle d’enfant, pensait-elle, je ne la comprends pas tout à fait. Et, comme elle n’avait jamais été forte pour les énigmes, elle ne cherchait pas à deviner celle-là.

Pendant ce temps, et peut-être pour échapper aux regards scrutateurs de sa tante, Petite Nell se glissait furtivement dans la jolie pièce, que remplissaient seuls, maintenant, les rayons du soleil. Et là, en face de ce lit vide, recouvert de blanc, en face de cette chaise longue, de ces oreillers qui gardaient encore l’empreinte de la tête chérie, elle s’abîmait dans ses souvenirs.

Elle revoyait cette douce figure, toute blanche, ces beaux yeux, si tendrement inquiets, ces lèvres pâlies, qui souriaient encore, malgré la souffrance ; et, soudain, saisie d’un désir insensé de la presser encore une fois sur son cœur, elle se jetait sur le divan et serrait d’une étreinte passionnée l’oreiller où elle s’était reposée et éclatait en cris et en sanglots, dont rien ne peut rendre l’amertume et la violence.

Mais tante Olympe, qui ne voyait pas ses accès de désespoir, ne comprenait rien à cette douleur muette et tranquille. Elle se sentait gauche, intimidée devant cette silencieuse enfant qu’elle n’osait ni gronder, ni encourager, et elle aurait donné beaucoup, dans son embarras, pour reprendre le chemin de sa demeure et retourner à ses occupations ; mais comment abandonner les deux orphelins ? et quant à proposer à sa nièce de l’accompagner, elle eut mieux aimé tenir par les cornes un taureau furieux.

Et pourtant, il faudrait bien finir par parler. Si Louis voulait mener ses études d’ingénieur à bonne fin, sa sœur devrait nécessairement le quitter, elle était trop jeune, pour tenir un ménage ; du reste, il y avait une raison qui primait toutes les autres, l’argent manquait, c’est à peine s’il suffirait aux études du jeune garçon ; il ne resterait donc à Petite Nell qu’à accepter l’hospitalité de sa tante, jusqu’à ce qu’elle fût en âge de s’en aller seule par le monde, gagner son pain à l’aide de ce beau diplôme, obtenu au prix de tant de labeur.

Voilà ce que tante Olympe voulait dire à ses neveux et ce qu’elle ne trouvait jamais le courage de leur communiquer, quand une lettre d’oncle Nestor vint faire cesser toute hésitation.

Après l’avoir lue et relue, elle se décida à appeler sa nièce auprès d’elle.

— Nellie, dit-elle, je viens de recevoir une lettre qui me met dans un grand embarras, car j’aurais voulu rester avec vous jusqu’aux vacances de Louis et vous emmener alors tous les deux chez moi, mais oncle Nestor m’écrit… que mon jardin est en très mauvais état et qu’il n’a pas le temps de s’en occuper, et… il est décidé, si je ne rentre pas de suite, à prendre une servante.

— Alors, fit Petite Nell, dont la figure sérieuse était restée impassible, si oncle Nestor prend une servante, vous pourrez rester avec nous, tante Olympe, et nous partirons ensemble après les examens de Louis.

La brave tante enleva le châle qui lui couvrait les épaules et fit deux ou trois fois le tour de la chambre avant de pouvoir parler.

— Tu n’y entends rien, dit-elle enfin, il faut que je m’en retourne : tu dois comprendre que je ne peux pas laisser une étrangère s’introduire ainsi dans m’a maison. Que deviendraient mon linge, ma garde-robe, mes provisions !… En vérité, je crois que Nestor a perdu la tête.

— Écoute, petite, fit-elle, comme la fillette s’apprêtait à quitter la chambre, j’ai encore quelque chose à te dire. Est-ce que tu voudrais venir demeurer chez moi, en attendant que tu sois en âge de… de gagner ta vie ?

Un douloureux étonnement se peignit sur la figure de l’enfant.

— Tu sais, continua tante Olympe, décidée cette fois à décharger son cœur, que vous n’êtes pas riches.

Petite Nell fit un signe affirmatif.

— Et que ça coûte beaucoup d’étudier et plus encore de tenir un ménage. Si tu ne veux pas venir demeurer chez moi, il faudra que Louis renonce à ses études et se cherche une autre occupation.

Une angoisse indicible passa sur le visage de la fillette.

— Mais, s’écria-t-elle, maman nous a recommandé de ne jamais nous séparer ; elle m’a dit… de veiller sur Louis, de l’aider, de l’encourager, elle savait… elle savait qu’il…

Une explosion de larmes lui coupa la parole.

Tante Olympe attendit quelques secondes.

— Écoute, ma fille, dit-elle enfin, il nous faut parler raison, bien qu’il m’en coûte beaucoup. Tu ne sais peut-être pas que la pension de veuve qui vous aidait à vivre a pris fin en même temps que ta pauvre mère, et ce qu’elle vous laisse suffira tout juste pour l’entretien de Louis. Elle n’y a pas pensé, naturellement, sans cela elle ne vous aurait pas fait cette recommandation. Quant à encourager Louis, ce n’est vraiment pas nécessaire, il me semble ; et si tu veux venir demeurer quelque temps chez moi tu me feras plaisir ; Louis te rejoindra bientôt, et plus tard, dans une année ou deux, si tu en as encore le goût, tu seras libre de faire servir ce beau diplôme dont ta mère m’a parlé.

— Quand partirons-nous, tante Olympe ? murmura Petite Nell.

— Je ne sais pas encore, mais j’irai d’abord la première, pour remettre un peu d’ordre dans ma maison, voir ce qui s’y passe, préparer ta chambre et les prévenir de ton arrivée ; tu sais, oncle Nestor est un peu singulier, il a des idées particulières sur les messieurs et les dames, mais au fond, il est bon comme l’or, seulement il ne faut pas le contrarier, tu comprends, n’est-ce pas ?

Mais si Petite Nell comprenait, elle n’en dit rien ; la figure cachée dans ses mains, elle pleurait comme si son cœur allait se briser.

Tante Olympe la regarda d’un air triste.

— Ça lui fera du bien, pensa-t-elle, en s’essuyant furtivement les yeux, les larmes sont pour les cœurs malades, comme la rosée du matin pour les fleurs fanées.