Petite Nell/Sœur Hélène

Verlag Von Raimund Gerhard (p. 26-29).

CHAPITRE VI.

Sœur Hélène.

Toute une semaine avait passé, et, pour Petite Nell, les nuits et les jours n’avaient plus de différence. Son pauvre corps, dévoré par la fièvre, n’avait pas un instant de repos, et sa petite tête, obsédée par la même pensée, continuait à poursuivre la même vision. Elle ne reconnaissait personne, n’entendait rien, ne voyait rien, rien que cet être invisible avec lequel elle ne cessait de s’entretenir.

D’autrefois, elle lui parlait tout bas, sur un ton de joyeux mystère ; puis, elle se mettait à rire à la pensée d’aller bientôt vivre dans un pays ensoleillé. Et puis, la scène changeait, le lit était vide, la tête chérie ne reposait plus sur l’oreiller, elle était partie, et Petite Nell la suppliait, la conjurait de revenir.

Et, dans son ardeur, elle se serait jetée hors du lit, si une main ne l’eût retenue. Mais la petite malade, toujours inconsciente, ne sentait pas la douce pression de cette main ni le regard plein de tendresse qu’on attachait sur elle, ni les larmes toutes chaudes qui tombaient parfois sur sa pauvre figure.

Assise près du lit, dans le fauteuil de Maxime, la garde-malade poursuivait sa veille, le regard fixé sur la petite figure blanche qui se détachait à peine de l’oreiller.

Depuis quelques instants, Petite Nell semblait moins agitée, ses lèvres avaient peu à peu cessé de remuer, son souffle devenait plus lent, plus égal, par moments même elle paraissait dormir. Était-ce la fin, était-ce le commencement ? personne n’aurait su le dire.

La nuit passa, l’aube paraissait déjà, remplissant la chambrette d’une teinte grise et confuse, quand Petite Nell ouvrit les yeux.

Elle avait dormi, pour la première fois, mais… que s’était-il donc passé ? Elle pouvait respirer sans peine, sans douleur, et pourtant… elle était couchée, oui, tout étendue dans son grand lit, mais, comme elle avait rêvé ! elle en était encore fatiguée.

Et… et voilà tante Olympe, assise dans son fauteuil. Ah ! oui, elle se souvenait de tout maintenant, elle avait eu un grand mal de tête et sa tante lui avait conseillé de se coucher et sans doute elle avait veillé près d’elle ; pauvre tante Olympe ! Mais… se trompait-elle… rêvait-elle encore ?… La tête qui s’appuyait sur le fauteuil de Maxime, était-ce bien celle de sa tante ?

Petite Nell essaya de se pencher en avant. Oui, bien sûr, elle rêvait encore, car ces jolis cheveux châtains, partagés sur ce front pâle, un peu fatigué, n’étaient pas ceux de tante Olympe ; ces beaux sourcils bruns n’étaient pas non plus les siens, cette bouche grave, un peu austère, ces mains blanches qui reposaient sur la robe noire de la dormeuse, ne lui avaient jamais appartenu.

De plus en plus perplexe, Petite Nell ferma les yeux pour échapper à cette nouvelle vision. Quand elle les rouvrit, un gai soleil remplissait la chambre et… elle venait d’apercevoir, au pied du lit, cette même figure inconnue, qui lui sembla se pencher sur elle d’un air anxieux.

Petite Nell resta immobile.

— Je crois que je rêve, murmura-t-elle, en passant la main sur son front.

L’apparition eut un sourire qui laissa voir à Petite Nell deux rangées de dents très blanches.

— Non, dit-elle, vous ne rêvez plus.

— Mais alors…

— Mais alors, vous voudriez savoir qui je suis et ce que je fais ici ?

— Oui, madame.

— Pour commencer, il ne faut pas m’appeler « madame » ; je ne suis que la sœur de votre médecin, sa sœur Hélène, et je suis ici pour vous soigner, et maintenant vous allez vous dépêcher de vous guérir, n’est-ce pas ?

— Me guérir, répondit la fillette, alors, j’ai été malade ?

— Oui, très, très malade, répondit Mlle  Steinwardt ; mais vous êtes mieux déjà, beaucoup mieux.

— Et… et c’est vous qui m’avez soignée, dit-elle ; je ne comprends pas… oh ! si, je comprends, vous êtes une infirmière.

Mlle  Hélène sourit de nouveau.

— Il n’est pas nécessaire de comprendre, dit-elle, et son regard enveloppait la fillette comme d’une chaude caresse.

Petite Nell n’ajouta rien, ses faibles bras étaient passés autour du cou de sa garde-malade, sa joue était pressée contre la sienne, elle avait compris !…