Petit cours d’histoire de Belgique/p09/ch1

Maison d'édition Albert De Boeck (p. 151-155).



CHAPITRE I

Révolution française. — Conquête de la Belgique
par les Français[1]


1. Causes de la révolution. La révolution française de 1789 est le grand fait historique qui clôt les temps modernes et ouvre la période contemporaine. Elle fut amenée par les iniquités de l’état social existant :

Le peuple payait presque seul les impôts, et les campagnards gémissaient toujours sous les corvées, les dîmes et les servitudes féodales.

La noblesse et le clergé formaient deux classes privilégiées, exemples de beaucoup de charges, et pour les nobles seulement il y avait accès à la magistrature et aux grades militaires.

L’autorité royale était si étendue, qu’une lettre de cachet pouvait priver sans motif un citoyen de sa liberté.

À la cour, foyer de corruption, s’engloutissait, dans des fêtes somptueuses et de folles dépenses, le produit de la sueur du peuple : les règnes néfastes de Louis XIV et de l’infâme Louis XV avaient épuisé les finances de la France.

Tous ces abus étaient mis en lumière et vivement flétris par des écrivains audacieux, propagateurs, en même temps, des idées d’égalité et de liberté. Leurs chefs étaient Voltaire surnommé le roi Voltaire, le président de Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau, l’écrivain le plus éloquent de son siècle.

2. La révolution. — Le vertueux, mais faible Louis XVI, se voyant en présence d’embarras financiers inextricables, convoqua les États généraux (1789). Ceux-ci, à peine réunis, s’érigèrent en Assemblée générale constituante, et jurèrent de ne se séparer qu’après avoir donné une constitution à la France. L’opposition des classes privilégiées ne put empêcher la Constituante, inspirée par le grand orateur Mirabeau, d’établir en France l’égalité et la liberté, et de réorganiser le pays.

1° Elle abolit les titres de noblesse et les privilèges, et déclara tous les Français admissibles aux emplois civils et militaires.

2° Elle décréta la liberté des cultes, de la presse, de l’industrie et du commerce.

3° Elle transforma l’organisation administrative et l’organisation judiciaire.

1° Elle prit enfin des mesures énergiques pour améliorer la situation financière.

En 1791, la Constituante déclara son œuvre terminée et le roi signa la Constitution.

1. Guerre avec l’Autriche. — Bataille de Jemappes (1792). — Pendant ce temps, la noblesse avait quitté la France, s’était retirée en Allemagne, et s’y préparait à rétablir par la force l’ancien ordre de choses. Le roi essaya vainement de l’y rejoindre : il fut reconnu à Varennes et ramené à Paris. Alors la Prusse et l’Autriche alliées sommèrent l’Assemblée législative, qui avait remplacé la Constituante, de réintégrer Louis XVI dans la plénitude de son pouvoir, et les nobles dans leurs privilèges. Le peuple de Paris, au paroxysme de la fureur, arracha de son palais l’infortuné Louis XVI, qui fut enfermé au Temple (10 août 1792) ; et quelques jours plus tard les Septembriseurs, envahissant les prisons de Paris, y massacraient trois mille nobles ou prêtres détenus comme suspects.

Cependant les Prussiens s’avançaient par la vallée de la Marne : Dumouriez avec ses héroïques volontaires, les refoula à la glorieuse journée de Valmy. Puis il se porta sur les Pays-Bas, et sa grande victoire de Jemappes lui donna la Belgique.

4. La Terreur en France. — Le 21 septembre 1792, la Convention avait succédé à l’Assemblée législative. Elle proclama la république, mit en accusation Louis XVI, qui fut condamné à mort et exécuté le 21 janvier 1793. Alors commença l’effroyable régime de la Terreur. Le parti des Montagnards, qui avait pour chefs Robespierre, Danton et Marat, s’empara de la direction des affaires. Il fit périr la malheureuse reine Marie-Antoinette, nuis tout le parti des Girondins, et bientôt même des Montagnards exaltés tels que Danton. La guillotine fonctionna sans trêve : d’horribles tueries épouvantèrent toute la France. Enfin, Robespierre renversé monta lui-même à l’échafaud (1794).

5. Excès des Français en Belgique. De son côté, la Belgique avait connu de tristes jours. Nos pères avaient accueilli les Français avec enthousiasme, car ceux-ci faisaient briller à leurs yeux de séduisantes perspectives d’indépendance et de liberté. La Convention déclara l’Escaut affranchi. Puis elle envoya en Belgique trente commissaires chargés d’administrer le pays en attendant que le peuple eût élu un nouveau gouvernement. Mais ces commissaires se signalèrent bientôt par une tyrannie insupportable, et dévalisèrent le pays : ils pillèrent les arsenaux, les musées et les bibliothèques, et brûlèrent les châteaux et les couvents.

En même temps, ils fondèrent dans les villes des clubs[2] où s’assemblaient la lie de la populace pour entendre des déclamations les plus insensées. Ces démagogues sollicitèrent de la Convention la réunion de notre pays à la France. En conséquence, un décret appela les Belges à se prononcer sur cette question par la voie du suffrage universel. La première assemblée se tint à Mons : cent cinquante Jacobins[3] se tenaient en armes auprès des urnes. Ceux qui s’opposaient à l’annexion furent chassés à coups de sabre, et les Jacobins, restés maîtres de la place, votèrent la réunion à l’unanimité. La même comédie se joua partout. Et le 1er mars 1793 un décret de la Convention déclara que, à la demande unanime (!) des Belges, notre pays était réuni à la France.

6. Bataille de Neerwinden et de Fleurus (1793-1794). — Le 18 mars 1793. Dumouriez fut vaincu par les Autrichiens à Neerwinden, et les Français furent chassés de la Belgique. Mais le 26 juin 1794, le général Jourdan défit les Autrichiens à Fleurus, et la Belgique reconquise, fut soumise pendant sept mois à un affreux régime. Les Français levèrent dans les villes des contributions militaires énormes, plus de quatre-vingts millions ! En outre, ils faisaient des réquisitions ruineuses : le 17 juillet 1794, Namur reçut l’ordre de fournir, le jour même, 24.000 livres de pain et 4000 sucs de grain : le 20, 800 literies complètes, paillasses, matelas, couvertures, etc., : le 21, le sixième de tout le bétail et de tous les chevaux, toute l’huile, le savon, le goudron, la poix, les cordages, le panier, etc. Tout cela se payait en assignats, panier-monnaie qui, émis à partir de 1789, avait déjà perdu presque toute valeur. « Quand vous nous aurez enlevé tous nos cuirs, toutes nos toiles, nos draps disaient les magistrats de Bruxelles, sera-ce avec des assignats que nous ferons des souliers, des habits, des chemises ? Mangerons-nous des assignats quand nous n’aurons plus de pain ? Bientôt même, nos ouvriers n’auront plus d’outils pour travailler, et il ne nous restera plus que des yeux pour pleurer, en attendant que la mort les éteigne ! » Cette exploitation éhontée ne prit fin qu’en 1795.

1. Conquête de la Belgique par les Français. — La révolution française de 1789 fut suivie d’une guerre entre la France et l’Autriche. Le général Dumouriez défit les Autrichiens à Jemappes, en 1792, et conquit la Belgique. Mais il la perdit à la journée de Neerwinden, en 1793. Enfin, le général Jourdan vainqueur à Fleurus, en 1794, réunit définitivement nos provinces à la France

2. Décret d’annexion. — En 1795, la réunion de la Belgique à la France fut officiellement prononcée. Notre pays fut divisé en neuf départements, administrés par des préfets. C’étaient :

Le département  de la Lys. chef-lieu Bruges.
 de l’Escaut. » Gand.
 de Deux-Nèthes. » Anvers.
 de la Meuse infér. » Maestricht.
 de la Dyle. » Bruxelles.
 de l’Ourthe. » Liège.
des Forêts. » Namur.
 de Sambre-et-Meuse » Mons.
 de Jemappes. » » Luxembourg

Ils étaient divisés en arrondissements régis par des sous-préfets, et en communes administrées par un maire et des adjoints, assistés d’un conseil communal.

Le 17 octobre 1797, le général Bonaparte, à la suite de sa brillante campagne d’Italie, contraignit l’Autriche à signer le traité de Campo-Formio, par lequel cette puissance renonçait à tout droit sur les Pays-Bas.

  1. Il nous parait inadmissible que les élèves puissent quitter l’école sans avoir une idée suffisante de la période mémorable qui s’étend de 1789 à 1815.
  2. Club : société politique.
  3. Jacobins : démagogues exaltés.